A l’affiche 2005
Tout ce que vous avez entendu au sujet de ce film est vrai: Ce n’est pas une suite au quatre épisodes précédents, mais une “réinvention” (BATMAN REBOOT, tiens). C’est un retour aux origines plus ou moins réalistes pour le super-héros. C’est le film qui mettra finalement Christian Bale au rang des acteurs bien connus. Et, finalement, ce sera effectivement un des blockbusters les plus réussis de l’été 2005.
Vous connaissez sans doute déjà la trame de base: Riche playboy se dotant d’une identité secrète afin de combattre les criminels et ainsi venger la mort de ses parents. Question intrigue, BATMAN BEGINS ne s’éloigne pas trop de la marque laissée par BATMAN (1989) de Tim Burton: Histoire d’origine, accompagnée d’un sinistre complot où les méchants cherchent à répandre un gaz mortel à travers Gotham City. Mais tout est dans la manière de raconter l’histoire, direz-vous…
Et vous auriez parfaitement raison: Les meilleurs aspects de BATMAN BEGINS sont dans la façon de traiter d’éléments connus. La batmobile est un prototype militaire, Bruce Wayne passe des années à s’entraîner pour devenir Batman et même l’origine de la chauve-souris comme symbole est expliqué de façon astucieuse. La réalisation à la fois majestueuse et terre-à-terre de Christopher Nolan réussit même à nous intéresser durant le long processus durant lequel Wayne devient Batman. En comparaison, on reste presque déçus devant l’inclusion de clichés de films de super-héros tel “le sinistre complot qui peut être arrêté au dernier moment”.
C’est loin d’être parfait (Katie Holmes n’a pas la présence requise pour nous faire croire en son personnage, les scènes d’action sont filmées de trop près et la trame sonore manque de panache) mais c’est tout à fait satisfaisant. Dommage que le titre BATMAN RETURNS est déjà pris, parce qu’il serait tout à fait approprié à cet épisode. On se surprend déjà à attendre la suite…
Fantastic Four
A l’affiche depuis une semaine, mais bon: FANTASTIC FOUR est toujours sur les écrans, et si sa bonne performance lors de sa première fin de semaine ($50M) est une indication, ce film finira comme un des bons succès de l’été 2005. Les critiques n’ont pas été tendres au sujet de ce film, mais s’agit-il vraiment d’un désastre artistique?
Pas tout à fait. En revanche, le premier mot qui vient à l’esprit au sujet de FANTASTIC FOUR (surtout si peu de temps après BATMAN BEGINS), c’est “ordinaire”. Rapidement suivi de “terne”, “morne” et “convenu”. Si le film livre au moins le strict minimum de ce que l’on s’attends à voir lors d’un film de super-héros, l’effort s’arrête là, à peine au-dessus du seuil de satisfaction. Le scénario est l’équivalent d’une peinture par numéros, la réalisation ne croque jamais dans le matériel et les acteurs laissent toute la place à des effets spéciaux moins que fantastiques.
L’intrigue est certainement la partie la moins intéressante du film: cinq personnes se voient transformées par des rayons cosmiques lors d’une expérience qui tourne mal. Un d’entre eux devient maléfique et doit affronter la bande des quatre autres. Hé oui, une autre histoire d’origine.
Pour la profondeur psychologique, on repassera: s’il y avait des possibilités à explorer les personnalités menant aux super-pouvoirs (Ben Grimm comme le gars solide, Richard Reed comme celui qui s’étire dans trop de projets, Johnny Storm comme la tête brûlée du groupe, etc.) le scénario et le calibre des acteurs ne s’intéresse pas à ces choses: Jessica Alba comme Sue Storm parvient à peine à trouver le registre émotionnel d’un personnage condamné à vouloir être invisible. Comme hottie de service, ça va. Comme incarnation d’une fille réprimé, certainement pas! Si le film réussit de temps en temps, c’est à représenter la joie de Johnny Storm à la découverte de ses pouvoirs: autrement, les tentatives de dramatiser l’exclusion que les pouvoirs imposent aux personnages semblent plus maladroites (re; l’épisode de la bague de fiançailles) qu’affligeantes.
De façon plus globale, FANTASTIC FOUR faillit spectaculairement à intégrer les conventions bêtes des super-héros dans un contexte réaliste. Avouons-le: les BDs super-héroïques se sont développés dans une insolation émotionnelle qui a rendu le sous-genre incompatible avec le monde tel qu’il existe. (Une objection aussi valide pour la SF, note.) Ce n’est pas trop mal lorsque ça reste confiné à une BD de vingt-quatre pages, mais dans un film, il faut soit adapter le monde ou bien le super-héros en conséquence pour qu’il y ait parité tonale (ce que BATMAN, X-MEN et SPIDER-MAN ont très bien fait). Ce n’est pas le cas ici: toutes les invraisemblances inhérente aux scénarios de super-héros viennent s’échouer sur l’idée du monde réel qui entoure les personnages: on passe le film a grincer des dents et dire “oui, mais…” Et ne parlons pas des dialogues!
Bref, imaginez mon haussement d’épaule comme réaction finale au film. Difficile d’être plus enthousiaste après que BATMAN BEGINS, les SPIDER-MANs, les X-MENs et plus particulièrement THE INCREDIBLES aient démontré la “bonne” façon de livrer un film de super-héros aux audiences d’aujourd’hui.
Kung Fu Hustle
Il est évident que KUNG-FU HUSTLE est un excellent film. Mais n’imaginez pas pour autant pouvoir y amener toute la famille.
Si vous avez déjà vu le délicieux SHAOLIN SOCCER (2003), l’oeuvre du réalisateur/comédien chinois Stephen Chow vous sera immédiatement familière: Mélange de comédie et d’arts martiaux, avec des référents culturels qui risquent de passer bien au-dessus des têtes occidentales. KUNG-FU HUSTLE est une parodie, soit, mais de quoi? Si vous ne connaissez rien des conventions des films d’arts martiaux, imaginez voir SCARY MOVIE sans rien connaître des teen slashers et vous aurez une idée du ton de certains passages.
Bref, faudra être un cinéphile patient et aventureux pour laisser au film tout le temps nécessaire pour se réchauffer. La première demie-heure de KUNG-FU HUSTLE est un mélange d’impressions contradictoires: Un peu de violence brutale (n’amenez pas les tout-petits), un peu de comédie grossière, un peu de jazz, un peu d’action… ce n’est qu’une fois bien engagé dans son deuxième acte que Chow révèle toute la folie démesurée de son film. Une des forces de KUNG-FU HUSTLE est de se surpasser en contenu loufoque, scène après scène.
Le tout finit par un combat-à-tout-casser aussi ridicule que la finale de MATRIX REVOLUTIONS, mais dans un registre intentionnellement comique. On en reste le souffle coupé, à la fois par les scènes spectaculaires (on aura rarement vu autant d’effets spéciaux numériques dans un film d’arts martiaux) que par le sentiment d’avoir vu quelque chose à la fois mystifiant et hilarant. Le public général ne suivra probablement pas, mais tant pis; tout comme KILL BILL, KUNG-FU HUSTLE est un cadeau pour les fans.
Narni-Boaaaf
Vous devez d’abord savoir deux choses: Je n’ai pas lu la série Narnia de C.S. Lewis et j’ai une très basse tolérance pour la fantasy ordinaire. Si j’ai attendu aussi longtemps avant d’aller voir l’adaptation cinématographique de The Lion, The Witch and the Wardrobe (plus familièrement: Narnia 1), c’est que je ne voyais honnêtement aucune raison d’y aller à part pouvoir en parler ici et ailleurs. La bande annonce ne m’a pas particulièrement enthousiasmé, le battage publicitaire m’a laissé froid et les critiques ne semblaient pas délirantes. Étant donné ces obstacles, ma bête satisfaction devant le film a les allures d’un éloge.
Quand Woody Allen blaguait que Eighty percent of success is just showing up, il aurait tout aussi bien pu parler de l’intrigue du film: Ah, vous êtes des humains? Heureusement, nous avons une prophétie à votre sujet! Voici des armes: tentez de ne pas trop vous mettre dans les jambes de La Magie et on vous donnera les clés du royaume. Boaf.
Mais le tout roule de façon raisonnablement plaisante. On y retrouve les meilleurs castors numériques depuis MEN WITH BROOMS. Comme KING ARTHUR, il y a une bonne séquence sur glace et une bataille finale spectaculaire. Les effets spéciaux sont bien faits. Tilda Swinton y est. Les enfants-acteurs ne sont pas trop agaçants. Si les simplifications du film sont occasionnellement exaspérantes (ne me parlez pas des tactiques militaires) et la réalisation ne fait guère plus que de livrer la marchandise, ce n’est tout de même pas trop mal.
Certains redoutaient que l’allégorie religieuse de la série fasse de leurs petits chous cinéphiles des robo-chrétiens bien cérébro-lessivés. Ils peuvent se calmer: seuls les plus paranoïaques verront ici autre chose qu’une histoire de fantasy pour enfants. En soi, il y en aurait beaucoup plus à dire sur les mauvais réflexes enseignés aux enfants par la fantasy elle-même (promotion des systèmes autocratiques, simplifications éhontées, remplacement de la logique par La Magie, etc.) que par les relents vaguement catholiques de l’œuvre de CS Lewis. J’avoue avoir été agacé par plusieurs, plusieurs passages invraisemblables, et ce n’est pas des cris du type “mais c’est pour les enfants!” qui vont me convaincre de laisser passer ces choses.
Mais j’avoue avoir été intéressé du début jusqu’à la fin. Plus ou moins. C’est sans doute à cause des castors cockneys.
Petit Film SF obscur
Hé oui, c’est le grand jour: pas moins d’un mois après le dernier épisode de Star Trek, voici que le dernier Star Wars arrive sur nos écrans. (Dans les deux cas, les paris sont ouvert pour voir combien de temps le “dernier” restera dernier) Que reste-t-il à dire sur ce film? Peu importe les critiques (généralement positives, il est vrai), vous irez le voir. Bon, mauvais, peu importe: La seule question qui reste à élucider, c’est “est-ce que c’est satisfaisant?”
Ce n’est pas une question sans importance, puisqu’elle présuppose (raisonnablement) que le but le plus important d’Épisode 3 n’est pas d’être un bon film plutôt que de remplir les attentes d’un public déjà tout prêt. Ce public connaît déjà le début et la fin de l’histoire; reste à lui livrer quelque chose qui frappe toutes les bonnes notes en chemin.
Il aurait été permis d’en douter après la déception des épisodes 1 et 2, mais il faut croire que ça a pris tout ce temps pour que George Lucas apprenne à maîtriser ses instruments. Sans être un chef d’oeuvre, l’épisode 3 correspond aux attentes et fait bien le lien entre tous les épisodes. La longue séquence d’ouverture est exactement ce que l’on s’attends d’un film titré “guerre des étoiles” et les effets spéciaux représentent le meilleur de ce qu’ILM a à offrir. L’intrigue est plus sombre, et le film vous comblera si vous avez un fétiche pour la décapitation robotique. Mieux encore: Jar-Jar n’y est que pour trois secondes. (Hélas, il n’existe aucun lien direct entre “décapitation robotique” et “Jar-Jar”)
Mais il faudra être un fan pour apprécier: La structure narrative du film ne tiens pas debout sans le support des autres films de la série. Pire encore: à nouveau, l’écriture du film est à en hurler de rire, allant de mièvreries à des évidences plates, en passant par un traitement superficiel d’enjeux politiques clairement trop sophistiqués pour l’approche brute du scénariste. Les acteurs ne font pas vraiment mieux, pris comme ils le sont avec des répliques boiteuses: seuls Ewan McGregor et Ian McDiarmid s’en tirent mieux que les autres (les Écossais à la rescousse!) Nathalie Portman est sacrifiée dans un rôle de poupée de porcelaine. Je prédit que la réplique de Yoda “Good relations with the Wookies, I have” deviendra une punchline de service dans les conversations entre fans. (Déjà 11 résultats sur Google -dont un article immanquable du Weekly Standard-, et ce billet-ci sera le 12e!)
Peu importe, bien sûr: je serais surpris que vous lisiez ceci avant d’avoir vu le film. Allez-y, amusez-vous: il faudrait être particulièrement grincheux pour ne pas être satisfait par le résultat. Mais c’est une fin attendue et appropriée à une série qui a déja trop longtemps durée: en matière de SF au cinéma, il serait peut-être temps de ranger ses jouets et de passer à autre chose.
Serenity
Je vous avais parlé de la série Firefly il y a quelques semaines, en attendant la sortie du film-suite. Voilà, c’est fait: SERENITY est maintenant à l’affiche, et la question “bon ou mauvais?” n’est peut-être pas aussi importante que “satisfaisant ou pas?” Tout comme REVENGE OF THE SITH plus tôt cette année, SERENITY est avant tout conçu pour un groupe préexistant de fans. Mais pour réussir au box-office, le scénariste/réalisateur Joss Whedon doit non seulement combler les attentes de son public cible, mais aussi aller chercher une audience un peu plus large et beaucoup moins bien prédisposée. Est-ce possible?
La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit à la fois d’une excellente suite à la série et d’un film de space-opera potable. La mauvaise, c’est que l’aspect science-fictif de la série est toujours aussi ridicule et que la densité du film fait en sorte que certains personnages (Kaylee!) sont oubliés au passage.
Pour les fans, SERENITY parvient au moins à calmer leur furie à voir une histoire si prometteuse se faire couper en plein vol: Le film contient suffisamment de développements dramatiques pour occuper six épisodes et permet de renouer avec tout l’équipage. Le premier quinze minutes du film est un tour de force dramatique, volant d’une situation à l’autre, se donnant le luxe d’un long plan ininterrompu, expliquant juste assez de matériel pour (r)embarquer tout le monde à bord. La rentrée atmosphérique initiale du Serenity possède un impact primaire que l’on n’avait pas vu depuis longtemps en SF média. Dès le départ, nous sommes en bonnes mains.
Le reste de l’intrigue se déroule à un rythme effréné mais approprié. L’action se déplace d’un endroit à l’autre, plusieurs batailles ponctuent le développement du film et certains personnages progressent au-delà de ce qu’ils étaient dans la série. (Dire que ce ne sont pas tous les membres de l’équipage qui survivent au film a de quoi vous intéresser, non?) Vers la fin de l’histoire, les données ont été réarrangées comme à la fin d’une saison: À quoi ressemblera la suite? Au moins le fan a de quoi être satisfait. Ultimement, Joss Whedon réussit au moins à remplir son but primaire: satisfaire ceux qui ont rendu possible cette suite inusitée à une série annulée.
La où le fan moyen pourrait rechigner, c’est à voir la densité nécessaire à un film prendre préséance sur le rythme particulier d’une série télévisée. SERENITY, c’est comme passer 90 minutes avec des amis que l’on n’a pas vu depuis des années: Peu importe la qualité de l’expérience, ça nous laisse sur notre faim. Mal et River sont clairement les héros du film: le reste des personnages sont un peu bousculés dans leur sillage. J’ai également des réserves en ce qui a trait à plusieurs éléments de la dernière demi-heure du film, mais en discuter plus profondément serait gâcher la fin du film pour ceux qui ne l’ont pas vu.
Reste à savoir si le cinéphile moyen, sans aucune connaissance de Firefly, saura trouver satisfaction dans le film. Il est fort possible que oui: si rien d’autre, SERENITY livre une bonne aventure de space-opera primaire (lire: un film de SF de série B), avec suffisamment de poursuites, d’arts martiaux et de batailles spatiales pour satisfaire ceux qui sont à la recherche de telles choses. L’intrigue roule à un bon rythme, l’atmosphère est sympathique et les dialogues sont suffisamment astucieux pour plaire. Il y a des effets spéciaux, une fille qui fait du kung-fu et des gros fusils: sûrement qu’il y a un public pour ce genre de chose? (Les critiques semblent, au moins, assez favorables: 80% au tomatomètre, et 74% au métascore. Brillant!)
Ceci dit, ceux qui n’aimaient pas certains des aspects de la série ne seront pas plus contents ici. Plusieurs fautes dramatiques que l’on apprend à tolérer au petit écran sont un peu plus agaçantes au cinéplex. Les premières lignes de dialogue du film dressent un portrait scientifiquement ridicule de l’univers dans lequel se déroule la série. Les reavers restent technologiquement impossibles. Les vaisseaux spatiaux sont encore à des magnitudes trop près l’un de l’autre. La chorégraphie de certaines scènes est chancelante. Les batailles sont toujours deux fois trop longues. Le mélange western/SF semble toujours aussi forcé. La densité d’idées reste assez basse. Firefly est peut-être une bonne série, mais ça reste loin d’être de la bonne SF.
Mais pris dans son ensemble, SERENITY est un film satisfaisant, qui n’aura pas de difficulté à laisser derrière lui des atrocités telles THE CAVE, A SOUND OF THUNDER ou bien même THE ISLAND. Les fans, eux, auront déjà commandé leur billet et le DVD des mois à l’avance. Pas d’erreur: SERENITY est ce qu’ils voulaient voir depuis l’annonce de la fin de la série. Maintenant, espérons que le film sera suffisamment populaire pour permettre à Whedon de conter le reste de son histoire.
Sin City
Je pourrais passer des pages à écrire mon admiration pour le réalisateur Robert Rodriguez, mais je me bornerai aujourd’hui à ne dire que je n’ai pas manqué un seul de ses films au cinéma depuis la sortie de THE FACULTY. Il livre toujours la marchandise, et c’est pourquoi l’idée de le voir adapter la BD Sin City de Frank Miller avait quelque chose de rassurant.
SIN CITY est arrivé en salles hier et le résultat est aisément un des films les plus remarquables de 2005. Sans en dire trop (il faut tout de même que je garde une certaine exclusivité pour ma chronique Camera Oscura chez Alibis), disons que c’est le genre de film noir que l’on obtient après avoir distillé la noirceur de quinze films noirs. Ultra-violent (le “18A” sur le billet d’entrée n’est pas une exagération, tout comme l’expression “le sang éclabousse les personnages”), doté d’une narration hardboiled quasi-continue et d’une personnification primaire (tous les hommes sont des brutes, toutes les femmes sont des…), SIN CITY se complaît dans les clichés du cinéma noir en pleine connaissance de cause.
Pour les cinéphiles, ce film est immanquable: En matière d’adaptation, SIN CITY casse la baraque et s’empare du style noir-et-noir de Frank Miller, livrant un résultat visuellement à mi-chemin entre le film noir, la bande dessinée et le cauchemar. Savant mélange d’effets spéciaux et d’imagination sombre, SIN CITY repousse un peu plus les frontières de la grammaire cinématographique. Peu importe son succès en salles, ce film sera sans doute un jalon important dans l’évolution du cinéma stylisé.
Cela ne veut pas dire que ce sera nécessairement un succès en salles. Violent à un niveau qui fera sourciller même les habitués du cinéma criminel, stylisé à un point tel que le film échappe à la réalité tel un évadé de prison, SIN CITY s’adresse à un public de connaisseurs. Qui dit audacieux ne veut pas nécessairement dire populaire.
Mais même un succès modeste pourrait s’avérer profitable, car Rodriguez a su contrôler le budget de son film: Malgré la distribution étonnante (vous reconnaîtrez aisément une douzaine d’acteurs) et les effets spéciaux quasi-continus, SIN CITY a coûté à peu près $40M(US) et voyagera bien à l’extérieur de l’Amérique anglophone. Ça n’en prendra pas beaucoup à Dimension Films pour faire de SIN CITY un film profitable. (Via Box Office Mojo, le film a fait $12M sa première journée. Le quart, presque le tier de son budget…)
Et il y a là une tangente à prendre au sujet du cinéma de demain, qui saura prendre des chances et éviter le piège du dénominateur commun en livrant la marchandise à faible coût… mais ce sera pour une autre fois, peut-être à la sortie du DVD de SIN CITY.
The Amityville Horror
Il n’y a qu’une seule raison pour aller voir le remake 2005 de THE AMITYVILLE HORROR en salles: pouvoir profiter de 90 minutes relativement tranquilles durant lesquelles s’interroger sur la déchéance du film d’horreur d’aujourd’hui.
Non mais; quel a été le dernier film d’horreur a vous avoir fait peur? THE RING, peut-être? Et avant? THE BLAIR WITCH PROJECT, qui date (déjà) de 1999? La vaste majorité des films d’horreur contemporains peuvent être regardés sans l’ombre d’un frisson. Souvent ramenés au stade de comédie pour adolescents (ne me parlez surtout pas de SCREAM, aaargh, SCREAM…), les films d’horreur existent surtout parce qu’ils ne coûtent presque rien à produire et parce qu’ils attirent, peu importe les circonstances, une certaine audience indulgente.
Qui plus est, l’horreur -avec son public adolescent volage et transitoire- fonctionne souvent à coup de vagues. Lorsqu’il ne s’agit pas d’un engouement passager pour des meurtriers en série toujours plus inventifs (I KNOW WHAT YOU DID LAST SUMMER, etc.), on en revient aux vampires, aux loups-garous et, plus récemment, aux zombies. BLAIR WITCH a entraîné dans son passage une mode “reality horror” qui, heureusement, n’a pas fait long feu. Avec THE RING, on en est maintenant à une vague d’inspiration japonaise, mais qui semble s’étouffer étant donné, oui, l’insuccès de THE RING 2.
Mais ce qui nous ramène à AMITYVILLE HORROR, c’est la vague des remakes. FREDDY VS JASON. EXORCIST 0. TEXAS CHAINSAW MASSACRE. DAWN OF THE DEAD. Bientôt: HOUSE OF WAX. Dérivés encore moins imaginatifs qu’à l’accoutumé, ces films vivotent sur des réputations souvent surfaites et sur la vague promesse d’un “renouveau” illusoire. Si l’horreur est en grande partie basée sur le choc de l’insolite, un remake n’est-il pas un contresens éhonté?
Dans le cas de THE AMITYVILLE HORROR, il faut avouer que les fautes du film dépassent le simple manque d’originalité. Il y a moyen d’être dérivatif et intéressant (la version 2004 de DAWN OF THE DEAD l’a prouvé) mais dans ce cas-ci, c’est complètement raté. Ce film de maison hantée “basé sur une histoire vraie” (il serait plus exact de parler d’une véritable supercherie) s’embourbe dans son souhait d’être réaliste: Pour les audiences contemporaines, ce ne sont pas des craquements sourds qui impressionnent. THE AMITYVILLE HORROR reste tiraillé entre une réalité ennuyeuse et des débordements fantaisistes indulgents. On notera que les deux scènes-choc les plus efficaces du film surviennent durant les dernières dix secondes du film, et qu’il s’agit de petits chocs simples, mais complètement déconnectées du reste du film (comme les meilleurs moments de THE GRUDGE, tiens)
Pour le reste, soupir, que dire? Comme dans BLADE III, Ryan Reynolds continue de briller dans de mauvais films. Il est sans doute la seule chose que l’on voudra retenir d’un film anodin, à la cinématographie moche et à la réalisation terne. L’audience à l’avant-première à laquelle j’ai assisté a passé l’essentiel du troisième acte à rigoler aux moments soi-disant horrifiques. Dans mon cas, j’ai réalisé que mon humble bungalow avait trop de dignité pour se laisser hanter de façon aussi ridicule que la maison à Amityville.
War of the Worlds
Il était permis de douter du pire à l’annonce du projet WAR OF THE WORLDS: Qu’en resterait-il après avoir passé à travers du duo Spielberg/Cruise. Quelle dose de saccharine serait déversée sur la satire sociale de H.G. Wells? Quelles manipulations hollywoodiennes serait-elles insérées au milieu de l’invasion pour plaire au grand public?
Mais qu’on soit en mesure de se rassurer: Si WAR OF THE WORLDS (2005) n’est pas un film parfait, il en demeure quand même qu’il s’agit d’un bien meilleur que ce à quoi on aurait pu s’attendre. C’est un film d’horreur bien solide, techniquement admirable, peut-être un peu long et épisodique, mais pas sans sa part d’audace.
Il sera impossible d’en discuter sans commencer par mentionner le côté particulièrement vicieux de certaines scènes. La pièce d’anthologie du film est certainement l’attaque initiale des extraterrestres (le mot “martien” ne s’applique peut-être pas ici), une scène de terreur extrême qui n’a pas peur d’exploiter les images de 9/11 pour parvenir à donner un sentiment d’impuissance à l’audience. Spielberg revient ici à ses origines de DUEL et POLTERGHEIST, n’épargnant aucun truc pour donner une frousse exemplaire. C’est techniquement très bien fait et si ce n’est pas parfait (la scène du sous-sol est trois fois trop longue), c’est bien plus intéressant que prévu. Sur le plan cinématographique, je ne suis pas un fan du style hyperréaliste exhibé ici, mais certains plans de caméras sont excellents sans être trop flamboyant.
Au niveau des acteurs, Tom Cruise ne se fait pas prier pour salir son image de bon gars tout américain: Son personnage est véritablement déplaisant, du moins au début du film. (Mlheureusement, Dakota Fanning semble passer la moitié du film à crier, ce qui devient vraiment agaçant à la longue.)
En ce qui concerne la thématique de l’oeuvre originale, le scénario reste d’une fidélité surprenante au message de Wells. Ici aussi, c’est l’histoire d’un empire suprême dévasté par un envahisseur surpuissant. C’est également la conclusion originale en deus ex machina (ex naturalis?), non sans deux ou trois scènes où des choses explosent grâce aux héros américains. Mais le sentiment d’impuissance devant la force supérieure des envahisseurs demeure entier. Le héros passe tout le film à fuir, même devant ceux qui tiennent à se battre à tout prix. Presque audacieux, considérant la psyché américaine de ces temps-ci. Plusieurs y verront sans doute le côté “soft” de Spielberg; parions qu’ils n’auront pas lu l’oeuvre originale.
Malheureusement, il reste des problèmes. Tel que suggéré plus haut, il y a des longueurs. Il y a des invraisemblances logiques assez énormes, non la moindre étant le pré-positionnement des vaisseaux à des endroits très convenables. Il y a également plusieurs faiblesses dans la structure du scénario et les motivations de certains événements: Si le film contient plusieurs scènes mémorables, le tissus les reliant ensemble est nettement moins convaincant.
Mais en tout et partout, c’est un films surprenant: Il va plus loin que prévu, touche des cordes sensibles, demeure aussi fidèle que possible au thème du livre et laisse à un artisan du cinéma tel Spielberg toute la latitude pour s’amuser un peu. Peut-être pas un incontournable au cinéma, mais (éventuellement) un bon choix vidéo. Se classera probablement dans le cinq meilleurs films de SF&F de 2005.
Je n’ai pas l’intention de passer mes fins de semaines à me taper des séries classiques de SF, mais suivant mon retour à la Matrice, voici que je tiens à vous présenter le somptueux coffret Alien Quadrilogy (parce que “Alien Tetralogy” faisait trop ordinaire, je suppose), qui rassemble en un seul endroit les quatre films de la série ALIEN, ainsi qu’une masse impressionnante de matériel supplémentaire. Pour vous donner une idée de la chose, chaque film est disponible en deux éditions (originale et révisée, chacune commentée par une piste audio) et chaque film est accompagné d’au moins deux heures de documentaires. Plus un neuvième disque avec encore plus de matériel ancillaire. Ouf!
Pour les fans de la série (et croyez moi, il faut être fan pour en finir avec les 30 heures de matériel supplémentaire), ce coffret est à peu près ce qui se fera de mieux jusqu’à la réédition des films en haute résolution. En plus d’une présentation quasi-parfaite des films, il y a suffisamment d’information documentaire ici pour vous donner l’impression d’avoir tout vu au sujet de ces films. N’y manque que le menu du lunch des acteurs pendant le tournage. En ce qui me concerne, j’ai profité de la longue fin de semaine pour écouter les éditions spéciales des films avec la piste de commentaires, en plus de me taper les making-ofs. S’il n’y a rien dans le coffret qui changera votre idée sur les films, on y découvre tout de même quelques détails intéressants, des comptes-rendus assez honnêtes et un gag amusant.
ALIEN, bien sûr, est un classique du genre horreur/SF, une pièce d’atmosphère qui tient bien la route aujourd’hui malgré les douzaines d’imitateurs qui ont tenté de recréer la même histoire de “bestiole spatiale” depuis 1978. Beaucoup de style, un sens visuel assuré et quelques choix audacieux, comme le dernier 18 minutes sans dialogue. Du tout bon, même vingt-cinq ans plus tard, même si l’effet de surprise n’y est pus. L’édition spéciale du film n’ajoute pas grand-chose, bien qu’il soit intéressant d’avoir accès à ces scènes quasi-légendaires, y compris la scène du “cocon” qui allait mener à une bonne partie de la mythologie subséquente.
Le documentaire au sujet d’ALIEN est fort intéressant, surtout parce qu’avec un peu de recul, les conflits entre les créateurs du scénario sont expliqués avec soin. Les écrivains Dan O’Bannon et Ronald Shusett ont beau s’être fait évacuer du projet assez tôt, leur scénario original n’incluait pas les machinations de la méchante corporation Weyland-Yutani, machinations qui allaient former une bonne partie du matériel pour les films suivants. Sur un autre thème, y a quelque chose de rassurant à voir Ridley Scott en pleine possession de ses moyens, même au tout début de sa carrière.
ALIENS est un de mes films favoris -toutes catégories confondues- et un autre regard n’enlève rien à l’impact du film. Bien conçu (un modèle pour tous ceux qui veulent écrire “une suite”), bien écrit, bien réalisé et bien exécuté, le film a très bien vieilli. Seulement quelques effets spéciaux semblent démodés aujourd’hui. L’édition spéciale est définitivement préférable à celle qui est parue en salle: Plus de matériel, plus de profondeur et quelques images intéressantes. Je demeure impressionné par le rythme du scénario, qui construit son suspense honnêtement, et ne contient finalement que trois scènes d’action -mais quelles scènes!
Un tel film, sans doute le film aux effets spéciaux le plus complexe de l’ère pré-digitale, mérite un excellent documentaire, et c’est ce que livre le quatrième disque du coffret. Des entrevues et du matériel d’archive cernent bien la production du film, y compris les conflits qui opposaient James Cameron aux artisans anglais sur le plateau de tournage. Les férus d’effets spéciaux en auront pour leur argent alors que l’on nous démontre le déploiement de techniques utilisées pour réaliser les images du film.
ALIEN 3 a toujours été le mal-aimé de la série, et même une édition spéciale avec 30 minutes supplémentaires (!) ne réussit pas à rehausser l’impact du film. Il y a un nouveau début, une nouvelle sous-intrigue et une fin légèrement différente, mais le tout reste aussi terne et ennuyeux que dans l’édition originale. Aucun personnage ne mérite notre sympathie. Pire encore: malgré la réalisation visuellement intrigante de David Fincher, aucun moment ne reste en mémoire bien longtemps. Et, bien sûr, le film crache au visage des fans en leur niant les éléments qui les amenaient à cette suite. Pas particulièrement avisé quand le reste du matériel n’est pas particulièrement intéressant. Est-ce une surprise si Fincher n’est interviewé nulle part dans le coffret? Chose rare: Même la piste de commentaire audio du film reconnaît les failles du film.
Les racines de cette faillite assez complète deviennent apparentes lorsque l’on s’attaque au sixième disque du coffret, un documentaire d’une candeur surprenante qui démontre bien que le film était une cause perdue dès le départ. Le studio avait en tête une date de sortie bien avant d’avoir une bonne idée: David Fincher s’est fait projeté sur le projet sans scénario, mais avec des acteurs et des décors. Le reste ne fut que catastrophe. Mais on peut se rassurer en ce disant que c’aurait pu être pire: Le disque comprends également un mini-documentaire sur “Wooden Planet”, un concept original de Vincent Ward qui est, de loin, encore moins bon que ce qui a fini par être porté à l’écran. (Une planète en bois. Peuplée de fondamentalistes. Avec un Alien mouton. Je n’invente rien.) C’est le plus intéressants des quatre disques -documentaires: tout le monde adore les films à succès, mais n’est-ce pas plus fascinant de parler d’une œuvre qui ne fonctionne pas?
Et cela nous amène à ALIEN RESURRECTION, le quatrième et sans doute le plus bizarre des films de la série. Avec Jean-Pierre Jeunet aux commandes, le film finit par être un mélange d’humour et d’horreur, de technologie et d’action. Parfois ça fonctionne et parfois non, mais au moins on ne s’ennuie pas souvent. (Je reste toujours avec l’impression que c’est une adaptation d’une des BDs Aliens de Dark Horse Comics) Quelques scènes mémorables et plusieurs innovations à la mythologie Alien font toute la différence avec le troisième volet de la série. Une piste commentaire audio superficielle mais fort amusante complète le tout.
Le quatrième disque-documentaire est aussi le plus frustrant, ne s’intéressant en profondeur qu’à certains éléments spécifiques du film et oubliant de présenter un portrait de l’ensemble de la production. Y manquait sans doute le recul historique pour exposer les bonnes petites histoires de la production. En tant que conclusion à la série, le tout se termine par quelques idées au sujet d’un ALIEN 5: Aller sur Terre ou bien remonter la piste des Aliens jusqu’à leur planète d’origine. (“Et pourquoi pas les deux?” demande ce scénariste-en-herbe en pensant à un remix de WAR OF THE WORLDS.)
Finalement, un neuvième disque un peu superflu complète la collection. Le topo sur Bob Burns, collectionneur d’artefacts de la série, est amusant, mais le reste du matériel se répète un peu, bien que les férus de bande-annonces trouveront une collection complète des teasers et trailers de la série sur ce neuvième disque. Un livret-souvenir fort bien fait complète le tout.
Je n’ai que des compliments pour ce somptueux coffret, qui traite chaque film avec respect et récompense les fans de la série avec un montant d’information qui approche la surcharge. Les quatre disques-documentaires sont intéressants et l’inclusion de matériel supplémentaire dans des éditions spéciales des quatre films est la bienvenue. Mon équipement audiovisuel manque de sophistication pour juger la qualité audiovisuelle des films, mais je dois dire que même le premier ALIEN a l’air d’un film récent: le travail de restauration sur ces joyaux est impressionnant. Vraiment du très bon travail, parfois surprenant de par la candeur des sentiments exprimés, mais rien de moins qu’un incontournable pour les amateurs de la série. Un coffret définitif, du moins jusqu’à ce que Fox saute à pieds joints dans le DVD à haute résolution.
Parlant de Fox, on retrouve un petite gag amusant se trouve au sein de ce coffret: l’interface de chaque disque annonce un accès à travers l’intranet de la méchante corporation Weyland-Yutani.
Puis, pour une demi seconde sur les disques-films, on peut apercevoir un menu décrivant les autres activités de la compagnie. Et voila donc qu’entre “Industrial Terraforming and Colonization” et “Special Weapons Divison”, on trouve… “Neo-Conservative News Network”. Comme quoi le vaste empire Fox a ses dissidents, surtout à Hollywood…
Une dernière pensée, à contempler la production subséquente des réalisateurs de la série: BLADE RUNNER, THE ABYSS, SEVEN et LE FABULEUX DESTIN D’AMÉLIE POULAIN ont tous suivi un film ALIEN dans la production de leurs réalisateurs respectifs. Si ce n’est pas une sélection du tonnerre, ça…
Le coffret date déjà un peu (il est paru à la fin 2003) et des éditions unitaires des quatre films –incluant leurs disques-documentaires respectifs- sont maintenant disponibles sur les tablettes. J’encouragerais cependant les fans de la série à se procurer le coffret plutôt que quelques-unes des quatre éditions singulières. En plus du joli boîtier, du neuvième disque et du livret-souvenir, l’Alien Quadrilogy est conçu comme une seule unité, avec des références aux autres films de la série et une présentation consistante d’un disque à l’autre. De plus, vous savez que vous n’achèterez jamais ALIEN 3 seul, alors pourquoi ne pas tout simplement acheter le coffret pour les deux premiers films et redécouvrir les deux autres comme boni?
On est un fan ou bien on ne l’est pas. En ce qui concerne la trilogie de film inaugurée par THE MATRIX, il est impossible de nier que je suis un amateur convaincu. J’étais présent aux premières représentations d’après-midi pour tous les trois films. Je suis retourné voir les deux premiers film au cinéma une seconde fois. J’ai acheté les cinq DVDs (y compris THE ANIMATRIX et THE MATRIX REVISITED) dès leur parution. Et, cochon de consommateur que je suis, je me suis également procuré THE ULTIMATE MATRIX, ce méga coffret sur dix DVD qui représente sans doute seulement le deuxième jalon d’une stratégie d’exploitation financière destinée aux gens comme moi.
Acheter le coffret est une chose. En profiter complètement en est une autre, surtout quand chaque film de la trilogie est doté de deux pistes de commentaires audio. À plus de deux heures par film, il faut compter sur au moins douze heures pour se taper tout ce matériel. Et à considérer les longueurs du deuxième et troisième film, on ne blâmera personne de préférer aller jouer dehors plutôt que de re-regarder ces films.
Mais un concours de circonstance m’a récemment cloué au divan pendant quelques jours et si mes yeux devaient rester fermés, mon esprit et mes oreilles avaient besoin d’un peu de divertissement. Allez hop; j’ai ressorti la trilogie des boules à mites. Ce que j’y ai découvert ne changera pas la vie de personne, mais les fans pourraient être agréablement surpris.
THE MATRIX étant passé au rang des classiques depuis sa sortie, je n’ai pas à vous expliquer ma fascination pour le film. Sens visuel impeccable, scènes d’action savamment construites, illusion de profondeur philosophique, concepts science-fictionnels bien utilisés: tout dans ce film crie, si pas au génie, au moins à la compétence énergétique, ce qui est encore trop rare au cinéma. En ce qui concerne les deuxièmes et troisièmes films, mon avis est généralement positif, mais beaucoup plus mitigé: Comme la plupart d’entre vous, j’ai été exaspéré par les longueurs de MATRIX RELOADED et la flaccidité de MATRIX REVOLUTIONS. J’adore toujours certaines des scènes d’action des deux derniers films (la poursuite automobile reste une pièce d’anthologie, et le travail de caméra virtuelle lors des combats entre Néo et les Smiths est très prometteur) mais la loi des rendements décroissants est démontrée par le troisième film de la trilogie: peu importe l’effort et l’argent coulé dans des effets spéciaux époustouflants, ils sont plus efficace lorsqu’ils sont limités à cinq minutes plutôt que vingt.
Si les pistes de commentaires audio sur les trois films n’ont pas dramatiquement altéré mon opinion, elles me permettent de l’informer et de l’affiner. Il faut savoir qu’il y a deux séries de pistes. La première est celle des philosophes Cornel West (qui a un petit rôle dans les deux derniers volets comme “Councillor West”) et Ken Wilber, deux intellectuels qui sont aussi des fans avoués de la série. De l’autre côté de la médaille, les critiques de cinéma Todd McCarthy, David Thomson et John Powers offrent un regard nettement plus critique sur la trilogie.
Les critiques, d’abord: Ici, aucun fan! McCarthy et Powers sont des critiques de film réguliers pour des publications assez prestigieuses (Variety et Vogue, respectivement) alors que Thomson est un auteur spécialisé dans le sujet. Si ils sont plutôt satisfaits du premier film, leur opinion des deux derniers est cinglante. Préparez-vous à être frustrés si vous ne partagez pas leur opinion: En plus de passer beaucoup trop de temps à ricaner de ce qu’ils voient à l’écran, plusieurs de leurs commentaires sont des tangentes sur l’histoire du cinéma qui n’ont que très peu de choses à voir avec le film qu’ils commentent. Beaucoup de questions sans réponses (“What was the first film, you think, that showed beams of light through bullet holes?“), mais pas beaucoup d’illumination cinématographique.
Les trois critiques n’ont manifestement aucun intérêt particulier pour les films d’action ou de SF. McCarthy (je crois) débute même son intervention au sujet de THE MATRIX en disant qu’il n’a aucun intérêt à regarder un film qui lui demande d’imaginer un monde autre que le nôtre: il trouve ce genre d’exercice futile et inutile. Bref, un parfait anti-amateur de SF. À un moment particulièrement amusant et amer lors de MATRIX REVOLUTIONS, ils avouent même ne plus rien y comprendre, tout en reconnaissant que certaines personnes écoutant le commentaire pourraient probablement tout leur expliquer.
Et pourtant, il se dégage parfois de leurs commentaires quelques parcelles d’intérêt. Powers (je crois) suppose à un moment une métaphore politique implicite à l’univers MATRIX: un univers technophile blanc, parfait et illusoire, fondé sur une société multiraciale chaotique et opprimée. Pas mal, tout comme leurs suggestions constructives au sujet des deux derniers films, qu’ils regardent avec une frustration montante. Ils ébauchent même un “critics’ cut” des deux derniers films, dans un effort de sauvegarder ce qu’ils préfèrent de la trilogie. Malgré leur approche essentiellement réfractaire, ils marquent des points lorsqu’ils expliquent ce qui ne fonctionne pas dans une scène, ou bien ce qui aurait pu être fait pour améliorer tel ou tel passage. C’est malheureusement un commentaire très éparse (ils parlent, au mieux, seulement le deux tiers du temps), mais ne soyez pas surpris si vous vous surprenez à vouloir vous obstiner avec eux.
Les trois pistes de commentaires audio avec les philosophes sont un peu plus intéressantes. Dès le départ, West et Wilber sont des fans avoués de la série, et leurs dissertations sur Descartes, Baudrillard et la nature pseudo-manichéenne de l’univers MATRIX sont parfois interrompues par des “this is cool!” fort amusants de la part d’intellectuels d’un tel niveau.
Mais la véritable valeur de leurs commentaires se trouve dans une explication approfondie des thèmes et des influences de la série. Selon Wilber, l’univers MATRIX se divise en trois parties: Le corps (Zion), l’intellect (Matrix) et l’esprit (Machine City) (“Body, Mind and Soul”), chaque partie respectivement représentée par les couleurs vert, bleu et or. La trilogie MATRIX représente essentiellement une quête (menée par l’unité Neo/Trinity) pour unifier ces trois composantes afin d’assurer leur épanouissement mutuel.
Livré dru de la sorte, ça semble presque trop invraisemblable. Mais Wilber est convaincant, et West est bien d’accord. En ce qui me concerne, la confirmation est venue tard dans le troisième film, alors que j’ai réalisé (en écoutant Wilber) que Neo-Trinity se dirige vers Machine City dans l’espoir d’établir… une nouvelle trinité. Bamf! J’admire aussi le point de vue de West sur la trilogie, alors qu’il fait remarquer que si le premier film est strictement manichéen dans son approche (Matrix=mauvais, Zion=bon), les deuxièmes et troisièmes films rendent cet univers beaucoup plus complexe et nettement plus intéressant. West a également un point de vue fascinant au sujet des convictions dogmatique de Morpheus (“Shut up! He is The One!“) et ses parallèles politiques. Il y a beaucoup plus (ces commentaires sont un mini-cours de philosophie en soi), mais ces trois concepts et les exemples qui s’y attachent valent une considération plus approfondie, considération que l’on a tendance à oublier au milieu des scènes d’action et des bla-blahs interminables.
Ça ne change pas vraiment mon opinion du troisième film (qui, même après ces explications astucieuses, s’égare en scènes inutiles), mais ça le rend plus intéressant que je ne l’avais cru. Plusieurs des remarques de Wilber et West énoncent de vagues soupçon que j’avais entretenu à la sortie de REVOLUTIONS, mais que je n’avais jusqu’ici pas réussi à cerner à ma satisfaction. (Et, en passant, on remarquera à nouveau le titre à double-emploi de rEVOLUTIONs, tout comme RELOADED était un spoiler pour la grande révélation du deuxième film.)
En revanche, les hypothèses de Wilber et West (qui, nous dit-on, ont eu beaucoup de conversations avec les frères Wachowskis) nous montrent également qu’il aurait été possible de faire encore plus de choses intéressantes avec cette structure thématique. En ce qui me concerne, par exemple, on n’a jamais expliqué de façon satisfaisante la présence du Mérovingian ou de Séraph: beaucoup d’allusions à leur histoire commune (“He was like you when he first came here“, “Ah, the fallen angel“, etc.), mais peu de payoff. Peut-être s’agissait-il d’une tentative de garder du matériel pour The Matrix Online (que je suivrai à distance, sans jouer), à moins que les Wachowskis aient manqué d’assurance lors de l’écriture des scénarios…
Le reste du coffret ULTIMATE MATRIX n’est pas non plus sans intérêt: En plus des making-ofs plus volumineux que les films eux-mêmes, il y a quelques documentaires généraux sur la philosophie et la science derrière l’univers Matrix. Les amateurs de SF seront surpris d’y voir apparaître Bruce Sterling, Rudy Rucker et John Shirley.
Bref, quelques heures agréables pour un fan, à revisiter l’univers MATRIX une autre fois. Il va sans dire qu’il faudra être déjà convaincu de la valeur de la série pour se taper tout cela à nouveau; ce n’est pas un exercice que je conseille à quiconque. Mais si c’est votre cas, je peux vous confirmer que Les Philosophes, au moins, ont quelque chose d’intéressant à dire. En ce qui me concerne, j’aurais au moins un sujet de conversation supplémentaire à mes prochaines conventions de science-fiction…
Il s’est passé quelque chose d’inusité durant la fin de semaine dernière: Hollywood a fait plus d’argent au box-office qu’à pareille date l’an dernier.
Ne riez pas. La grand sujet de conversation à Los Angeles depuis quelques semaines était au coeur de l’intersection de l’art et du commerce qu’est devenu l’industrie du cinéma: Jusqu’à dimanche dernier, le total des recettes au box office pour chaque fin de semaine de 2005 avait été plus bas qu’en 2004. Même avec STAR WARS: EPISODE III!
Aucun besoin d’ajouter que ce genre de tendance a de quoi rendre plusieurs gens riches et célèbres extrêmement nerveux. A Hollywood, cash is king, et il y a longtemps que les résultats du box-office se chiffrent en dollars plutôt qu’en billets vendus. Si les signes indiquent que les revenus s’effondrent… que reste-il?
Mais en réalité, l’industrie cinématographique récolte tout simplement les fruits de plusieurs tendances de sa propre création. Prises ensembles, elles suggèrent la fin du cinéma tel qu’on le connaît.
Je n’ai pas besoin de vous expliquer ce qu’est l’inflation. À moins d’une crise économique, tout coûte toujours plus cher d’année en année, y compris les films. Alors que les billets coûtaient, en moyenne, $2.05 en 1975 et $4.35 en 1995, ils en sont maintenant à $6.40 et continuent de grimper. (Note: Mes chiffres mes suggèrent que l’inflation des billets de cinéma est maintenant généralement consistante avec le taux d’inflation général, bien que la montée vertigineuse du prix des billets entre 1998 et 2002 a rattrapé beaucoup du terrain perdu lors d’une stagnation entre 1988 et 1994.)
L’impact de l’inflation est considérable:
- De un, alors qu’un film avec des recettes de plus de $100millions était jadis un événement, ce n’est plus aussi rare aujourd’hui (Il y en a déjà neuf en 2005 alors que j’écris ces lignes, y compris des films aussi insignifiants que THE PACIFIER.)
- De deux, “the biggest movie ever” perds de son sens quand on calcule en dollars plutôt qu’en nombre de billets vendus. C’est pourquoi GONE WITH THE WIND demeure le film le plus populaire de tous les temps: ses $198M de 1939, plus re-éditions, vaudraient $1,293M aujourd’hui, alors que TITANIC et ses $600M de 1997 ne valent “que” $821M.
- Ce qui nous mène inévitablement à notre troisième impact: Même s’il est rassurant pour les Hollywoodiens de dire que tel ou tel film (SPIDERMAN II l’an dernier, REVENGE OF THE SITH en 2005) brise tous les records du box-office, le sale petit secret des studios est qu’il est possible d’accomplir ces exploits avec de moins en moins de cochons payants.
Étant donné ces facteurs, il va de soi que l’annonce d’une chute en dollars absolus a de quoi flanquer la frousse aux magnats de l’industrie: quand même l’inflation ne peut masquer une chute dans les gens qui vont au cinéma, c’est exposer le grand mensonge à la base de toute une industrie.
Oui, cette chute au box-office pourrait s’agir d’un épiphénomène. Oui, 2005 est en baisse sur 2004, qui était en hausse sur 2003, qui était en baisse sur 2002, qui était en hausse sur 2001 et 2000. Mais le nombre de gens qui se rendent au cinéma est, selon plusieurs études, stagnant depuis des années. Et les tendances que nous allons maintenant explorer suggèrent qu’il s’agit d’un déclin irréversible.
J’avoue vous avoir caché tout un facteur dans l’analyse précédente: Il n’y a pas que le box-office qui compte de nos jours! Grâce aux ciné-clubs et à l’adoption massive du format DVD, le marché vidéo est maintenant devenu essentiel. Prenez un film, n’importe quel film, et vous verrez qu’il fera autant d’argent sur DVD qu’au box-office. Les quinze titres les plus vendus l’an dernier ont tous fait plus de $98M. Le marché de la location n’est pas trop mauvais non plus: les quinze titres les plus populaires de 2004 ont tous fait plus de $54M. Qui plus est, tous ces chiffres ne sont valides que pour l’Amérique du Nord: le marché mondial double habituellement ces résultats.
(Pour un aperçu hebdomadaire du marché de la location sur DVD, cette page est à conserver. Vous y verrez, entre autres, que les films rapportant plus d’argent sur DVD qu’au box-office ne sont pas particulièrement rares.)
Bref, le cinéma en tant qu’endroit n’est devenu qu’une façon parmi tant d’autre de distribuer des films et d’en retirer des profits. Malgré le glamour et l’image sentimentale qu’ont les cinémas dans nos esprits, il n’y a rien de particulier dans ce mode de distribution. (Sauf peut-être l’avantage de la primeur.) Avec l’explosion du marché vidéo, il n’est pas exagéré de dire que la vaste majorité des visionnements de films se font maintenant à la maison. Vous avez remarqué comment “j’ai vu ça au cinéma” est devenu une marque de distinction?
Cette tendance ne s’inversera pas. Au risque de répéter des évidences, soulignons que…
- …de plus en plus de foyers ont des systèmes TV/DVD qui rivalisent de qualité avec les “vrais” cinémas. Un écran plat 6/9 de 50″ doté d’un système audio 5.1 est amplement suffisant pour épater la galerie, et ne coûtera même pas $4000. De plus, ce système peut être utilisé avec toute une collection DVD existante et servir à regarder les événements sportifs.
- …le différentiel de prix entre cinéma et DVD s’amenuise à chaque année. Un DVD se loue pour $5 et s’achète pour $25, versus un seul billet à $10. Ajoutez le pop-corn, gardienne, stationnement, le temps requis pour se déplacer et, hum, il devient plus avantageux de saisir un DVD en faisant ses épiceries que d’aller “au cinéma.”
- …c’est tellement plus pratique à la maison! Vous voulez de la bière? De la nourriture saine, exotique ou (horreur) peu dispendieuse? Vous voulez prendre une pause, vous asseoir sur votre siège favori, regarder le film en bribes de quinze minutes pour prendre soin de vos enfants? Ce n’est pas au cinéplexe que vous serez en mesure de faire ces choses. Ce qui nous mène à…
- …les gens ne sont plus confortables au cinéma. Téléphones cellulaires, pieds sur les sièges, verbomoteurs incessants, nourriture abandonnée au milieu de la rangée: l’individualiste américain ne sait plus se comporter en public. Même un cinéphile pourtant sage comme moi avoue préférer un cinéma désert à un qui est bondé.
Ça, c’est du point de vue du spectateur. Mais le dernier point nous amène de l’autre côté de l’industrie, où il faut souligner d’autres évidences…
- …les gens ne savent plus se comporter au cinéma: Pour les propriétaires, c’est une situation sans gagnants. Il faut engager plus d’employés pour torcher la salle sitôt terminé le film, espérer que personne ne dérange la projection, vendre les billets à des gens incapables de se décider et ainsi de suite. L’alternative trop souvent pratiquée: Ne rien faire et espérer que les désagréments ne seront pas suffisamment systématiques pour éloigner les cinéphiles.
- …les cinémas ne profitent pas par le box-office. Les profits du propriétaire proviennent de la nourriture, pas des billets. Ça a toujours été vrai, mais jamais autant que depuis quelques années et les manigances de FoxLucas pour soutirer une portion de plus en plus importante du prix du billet. Durant la première semaine de projection d’un film, 70-90% du box-office va au distributeur plutôt qu’au cinéma en tant que tel. Cette proportion s’amenuise progressivement le plus longtemps le film demeure à l’affiche. Sauf que les studios n’assurent la promotion du film que les premières semaines: Il n’est plus rare de voir les recettes d’un film fondre de plus de 50% de la première à la deuxième fin de semaine. Les films qui vendent bien pendant plus de quatre semaines sont infréquents, surtout lorsqu’il faut accomoder trois ou quatre nouveautés par semaine.
- …la période d’exclusivité ne cesse de diminuer. Vous avez sans doute remarqué que les films apparaissent de plus en plus vite au ciné-club. À l’exception des films de Noël, un délai de trois à cinq mois semble être devenu la norme entre le lancement du film et son arrivée sur DVD. Fini, aussi, la période d’exclusivité où l’on pouvait louer mais pas acheter: le consommateur d’aujourd’hui veut tout, (presque) tout de suite! Pour les propriétaires de salles de cinéma, cependant, ce manque de patience n’est pas pratique: Au moindre désagrément du client (“je vais en vacances”, ou bien “je travaille sur mon patio pour les trois prochaines semaines”), il évite de sortir, le film disparaît du cinéma et le client ne s’en formalise pas trop, puisqu’il paraitra sur vidéo d’ici quelques semaines.
- …les deux derniers facteurs combinés ensembles ont changé le modèle de l’industrie. Plutot que de cultiver un film pendant des semaines, encourager le bouche-à-oreille et laisser au public l’occasion de découvrir des films, Hollywood s’est rabattu sur le modèle hit-and-run (ou shock-and-awe, au choix): Un bombardement publicitaire tout-azimuts pendant une semaine en espérant attirer une audience durant les trois premiers jours (peu importe les critiques), puis un passage rapide à autre chose sitôt le lundi suivant arrivé. Résultat: des budgets de marketing parfois aussi importants que celui de la production du film lui-même. Autre résultat: ce sont les propriétaires de cinéma qui se mordent les doigts quand un film s’écrase la deuxième semaine. Il y a présentement trop d’écrans pour le nombre de cinéphiles, puisque…
- …les propriétaires des chaînes de cinéma ont été trop enthousiastes à prendre de l’expansion. La fin des années 1990 en a été une de boom économique dans le domaine du cinéma. La construction de multiplexes de plus en plus gros a atteint son apogée durant cette période. Douze écrans! Seize écrans! Vingt-quatre écrans, ah-ha-hah! (Les choses ont changées rapidement: Le mégaplex si familier ne célèbre que son dixième anniversaire cette année.) Mais qui dit expansion dit aussi rationalisation. Il est plus simple de gérer un gigantesque établissement servant tout un indicatif régional que de s’intéresser à un éventail de petits cinémas à deux ou trois écrans dans chaque quartier. D’où un changement dramatique dans le nombre et le type de cinémas: de plus en plus gros, de plus en plus isolés. Dans la seule région d’Ottawa, nous sommes passés de 17 cinémas en 1998 à 10 en 2004: Beaucoup plus d’écrans, mais moins d’endroits où se déplacer. Mais cette rationalisation ne s’est pas fait sans heurts: en 2001, trois des cinq plus grandes chaînes de cinéma américaines étaient techniquement en faillite. La situation n’est pas aussi grave aujourd’hui, mais ce n’est qu’à la suite d’une consolidation importante (aux États-Unis, AMC veut acheter Lowes et au Canada, tiens, Cineplex Odeon vient d’acheter Famous Players…) et de plusieurs, plusieurs fermetures.
Tout cela mis ensemble dresse le portrait d’un futur assez différent pour les cinémas. Loin de garder une position de divertissement pour les masses, les cinémas se positionnent (ou se sont déjà positionnées) comme un produit de luxe! Si vous voulez une situation analogue, pensez au modèle de l’édition américaine: Une première édition grand format cartonnée pour les riches, puis une édition de poche à couverture souple pour les masses. Les films pourraient bien finir par être vendus de la sorte: une sortie initiale au cinéma pour les riches, les cinéphiles et… les critiques, suivi par la sortie en vidéo pour le reste de la population qui n’obsède pas sur cette forme de divertissement. Pensez à ce qui est arrivé aux pièces de théâtre…
Si je serais un consultant de marketing, je terminerais sans doute mon rapport par un ensemble de recommandations visant à assurer le futur des cinémas. Suivant sur ma lancée du “modèle de luxe”, j’entrevois…
- …une hausse du prix du billet. Vous n’avez encore rien vu à 10$: Pourquoi pas 15$? Pour ce prix: plus d’employés, un “surveillant” assigné à chaque salle et une absence de publicité avant le film et dans le foyer de l’établissement.
- …un retour à l’atmosphère haut de gamme. Fini la confusion entre un multiplexe et un terminal d’aéroport: une décoration somptueuse, reconnaissant l’héritage cinématographique et laissant derrière les arcades préfabriquées pour adolescents.
- …des sièges plus grands, plus confortables et plus éloignés les uns des autres. Puisque nous avons établis que les cinémas sont rarement remplis à craquer et que les gens ont de la difficulté à être confortables au cinéma, pourquoi ne pas modifier l’agencement des sièges en conséquence? Enlevez un siège sur trois, espacez-les (ou groupez-les en groupes de deux, pour les couples) et installez-y des gadgets utiles: projecteurs de sous-titres, prises pour écouteurs, horloge, etc.
- …une meilleure attention au service et une tolérance moindre pour les disruptions. La présence d’un surveillant assigné à chaque salle est pleine de possibilité. La livraison de nourriture à son siège est sans doute utopique, mais peut-être pas une surveillance accrue des cinéphiles. (Ceci dit, l’Alamo Drafthouse semble très bien s’en tirer avec la formule film-et-bouffe.)
- …une emphase sur la qualité de l’expérience. Écran de bonne taille. Projection digitale. Système audio certifié THX. Calibration hebdomadaire. Luminosité optimisée pour les films et non pour sauvegarder les ampoules. Acoustique et positionnement des sièges parfaits. Pour 15$, il faut que la présentation audiovisuelle soit optimale, de loin supérieure à ce que l’on a à la maison.
- …une attention accrue aux gens plus âgés. Rappel: les baby-boomers vieillissent et les jeunes aiment mieux jouer aux jeux vidéo. Ci haut, je n’ai pas inclus la présence de surveillants et des afficheurs de sous-titres pour rien. (Qui plus est, qui sera prêt à payer 15$ pour un billet de cinéma? Exact; pas les ados.) Bien sûr, on n’intéressera pas beaucoup de septuagénaires à des films tels FANTASTIC FOUR, ce qui nous amène à…
- …l’offre de films différents. Sans nous amener à parler de qualité artistique (ce que nous n’avons pas encore fait dans ce billet et qui est un enjeu distinct de toute façon), il y a un manque assez cruel de films destiné à une audience autre que les adolescents. Depuis un an, THE PASSION OF THE CHRIST, FAHRENHEIT 9/11 et SIDEWAYS (entre autres) ont connu un bon succès en s’adressant à un public atypique. Peut-être serait-il possible d’en tirer des leçons?
Ce qui précède n’est qu’une liste de suggestions. Moi même, je ne crois qu’à moitié dans ce modèle “de luxe”, qui existe déjà sans faire fureur (Voir Arclight) et qui fonctionne mieux comme alternative que comme principe dominant. Mais ce qui semble évident, c’est que le cinéma existe maintenant dans un environnement de divertissement beaucoup plus compliqué. Étant donné l’aisance par laquelle on peut passer son temps, les multiplexes sont clairement sur la pente menant à l’obsolescence. Et ce n’est pas le box-office de FANTASTIC FOUR la fin de semaine dernière qui changera les choses.
Et, remarquez, nous n’avons encore rien dit sur la qualité des films…
En cette journée de sortie de HITCHHIKER’S GUIDE TO THE GALAXY (Un film que certains attendent depuis le début des années 80), laissez-moi dépoussiérer ma routine au sujet des films adaptés de bande dessinées, de livres chéris ou de séries télévisées des années 70s: Voici le déroulement typique de la vie d’un fan lorsqu’il apprends qu’une oeuvre essentielle à son enfance (dans ce cas-ci, “SHMURZL le magicien”) sera porté au grand écran:
Joie Orgasmique: “Ils vont faire un film à propos de Shmurzl!” En vingt-quatre heures, tous les fans de Shmurzl apprennent l’existence du film grâce à une campagne massive de courriels, de blogs, de messages sur les listes de discussion. La productivité mondiale baisse de quelques nanopoints alors que tous réfléchissent à qui ils envisagent dans le rôle principal.
Saine Tension Créative: Même si le fan n’a aucun talent en écriture, en cinématographie ou en réalisation, les trois nouvelles de fan-fiction écrite au crayon de plomb en sixième année font d’eux un expert en toutes les facettes de la production du film. Les décisions initiales au sujet du projet (“Jack Black jouera Shmurzl!”) sont invariablement accueillies avec scepticisme si pas un outrage à en faire frémir les activistes les plus convaincus. (“Enfer! Enfer et damnaaatiooon! Torchons la maison du réalisateur! Et exécutons-le alors que sa famille brûle!”)
Quête obsessive d’information: En quelques heures, des sites web apparaissent partout sur la toile, spécifiquement dédiés à la dissémination de n’importe quelle parcelle d’information au sujet du film (“Dernière heure: Mo Henry est choisi pour agir comme monteur de pellicule sur Shmurzl!!!”) et à l’analyse songée de ces mêmes informations (“mo hnry t’un trouduc! sux0rs!”) Alors que les fans passent trois heures par jour pendant la production entière du film (18 mois) à discuter des moindres nuances réelles ou imaginées du film, leur familles sont tout simplement soulagées de voir qu’ils ne sont pas à nouveau en train de fabriquer des bombes à partir de plans trouvés sur l’Internet.
Conviction grandissante que la planète entière est sur le point de découvrir la magnificence de leur œuvre favorite: Alors que la production du film va bon train (ou, tel que lu sur les listes de discussion, “K’Sé UN DESASTE”), la machine publicitaire commence à agir. La première affiche, peu importe s’il ne s’agit que d’un logo qui n’a aucune ressemblance au produit final, est reçu par les fans avec des gestes répétitifs vigoureux. Cette folie ne cesse de s’accroître alors que sont révélés la bande-annonce “teaser”, la bande-annonce de deux minutes, l’affiche finale et, finalement, les publicités à la télévision. C’est à ce moment que le citoyen moyen réalise l’existence du film. Le fan, lui, voit finalement toute la population partager son intérêt dévorant pour Shmurzl.
Invulnérabilité lors du jour le plus important de leur existence: Jour du lancement du film. C’est l’apothéose. Il y a des pubs à la télé, des critiques dans les journaux, des articles dans la moitié des magazines à l’étalage, une novélisation à la librairie et des mentions à la radio. L’objet initial du film a été remis en magasins avec une campagne de marketing carrément dérivée du film. Le fan peut espérer entamer une discussion avec un parfait étranger au sujet de Shmurzl. De plus, le fan passe la journée à s’imaginer comment bon sera le film. (Il a, bien sûr, acheté ses billets pour la première représentation deux semaines plus tôt.)
90 minutes de montagnes russes émotionnelles: Le fan installe son derrière massif dans le siège du cinéma et ignore les reniflements exaspérés des gens jusqu’à cinq mètres de lui. Il a dans sa main suffisamment de pop-corn et de boisson gazeuse pour nourrir une petite famille du tiers-monde. Mais il n’a pas non plus oublié les six barres de chocolat, les nachos, frites, burger et la boite de mouchoirs tous si nécessaires à l’appréciation d’un film. Il n’est pas chez lui, mais il faut lui pardonner, car c’est la première fois depuis six mois qu’il est à l’extérieur. Et durant 90 minute, il redécouvrira des émotions dont il avait oublié l’existence: La joie, le suspense, la colère et la pyromanie. Le film a des moments de brillance et d’autres de nullité. Mais lesquels seront catalogués systématiquement par le fan? Exact.
Libération psychique: Le générique tourne (le fan en profite pour maudire Mo Henry une dernière fois), les lumières s’allument (révélant une montagne de déchets prête à être bulldozé au dépotoir le plus près) et les gens sortent (heureux de s’éloigner de cet homme bizarre qui a passé le film à couiner, crier les lignes du dialogue en même temps que les acteurs et qui a passé les dix dernières minutes à pleurer à chaude larmes.) Mais le fan, lui, voit sa vie changer du tout au tout. Car, finalement, il est libre. Peut-être aura-t-il besoin de voir le film à trois autres reprises pour en apprécier toutes les nuances, mais il s’est finalement libéré du poids du potentiel du film. C’est à ce moment que l’idée que le film est pourri et détruit à lui seul toutes les bonnes et heureuses mémoires de son enfance commence à s’infiltrer dans son esprit.
Dévastation lors de la collision avec le réel: Avec la sortie du film, la véritable place de Shmurzl dans l’imaginaire mondial est révélée à tous: Le film se classe sixième au box-office de la fin de semaine et personne n’en reparlera trois jours plus tard. Le fan voit l’importance microscopique de Shmurzl à ses contemporains et constate que Shmurzl n’aura plus jamais un profil médiatique aussi élevé. De cette constatation, de ce vortex de perspective total, il apprend l’humilité et sa véritable place comme cochon de consommateur dans notre société moderne. Plus jamais son imagination ne dépassera-t-elle les contraintes de son existence pitoyable. Mission accomplie.
Après toutes ces émotions, qui reste surpris lorsque les fanas s’embarquent immédiatement dans le prochain projet du genre?
Décembre est un mois cruel pour le cinéphile convaincu. En plus de la mauvaise température, voilà que se multiplient à l’écran les films favoris de l’oncle Oscar. C’est la même chose année après année; quarante-neuf semaines de films pour adolescents pour en arriver à trois semaines de films soi-disant respectables. Pendant ce temps, les associations de critiques tiennent leurs galas de fin d’année, donnant trop souvent des palmes à des films qui attendent toujours leur sortie au cinéma. Le cinéphile qui voudra dresser lui-même sa liste des dix meilleurs films de l’année devra ramer dur pour réussir à tout voir en salles à temps pour le 31 décembre.
Ceci tiens plus d’une conspiration capitaliste que d’un accident: Les aléas de la course aux récompenses (et des retombées monétaires que l’on associe à un film primé) font en sorte qu’une sortie tardive et bousculée est de loin préférable aux autres stratégies de marketing. C’est le cinéphile qui écope, surtout s’il est obsédé par le Top-10 ponctuel. Comment en sommes-nous arrivés-là?
Pour la clé de la réponse, commençons par le mot “Oscar”. Beaucoup ont rechigné devant la futilité des Oscars, il reste que cela demeure la récompense cinématographique la plus connue. Certains ont estimé qu’un Oscar peut être bon pour des recettes de douze millions de dollars supplémentaires, ce qui n’est tout de même pas rien. Ce à quoi on ajoutera à la fois le prestige d’un Oscar dans la salle de conférence des studios et la valeur monétaire d’un film toujours en demande des décennies plus tard. Bref, il est payant d’obtenir un Oscar.
Or les membres de l’académie qui votent pour les Oscars ont la mémoire courte. Un bon film sorti plus tôt durant l’année peut-être oublié en faveur d’un film plus ordinaire, mais toujours d’actualité. Pour cette raison, les studios ont tendance à sélectionner leurs “films à Oscars” et à les retenir dans les voûtes jusqu’en novembre, décembre ou janvier, de façon à ce que le film soit encore frais au moment de remplir le bulletin de vote. Et… ça fonctionne. Depuis 1996, seulement deux “meilleurs films” (GLADIATOR, mai 2000 et AMERICAN BEAUTY, septembre 1999) ont été lancé en salles avant novembre.
Les règlements pour les Oscars sont stricts: Pour se qualifier aux Academy Awards, “The films must open in a commercial theater, for paid admission, in Los Angeles County between January 1 and midnight December 31, and run for seven consecutive days.” Mais ce qui est présenté à L.A. ne se rend pas nécessairement partout ailleurs. Les distributions limitées s’intéressent d’abord à Los Angeles, New York, puis Chicago et Toronto. Le reste du continent… peut bien attendre.
Vous comprendrez qu’il y a beaucoup moins d’écrans disponibles “en province” que dans les grands marchés, et cela explique en partie le foisonnement soudain d’un tas de nouveaux film à la fin décembre. Bonne chance à naviguer l’horaire si vous voulez attraper les nominés aux Golden Globes, les choix des guildes critiques et les favoris pressentis aux Oscars. Alors que j’écris ceci, le tout récent MUNICH (de Spielberg!) ne joue que sur trois salles dans toute la grande région d’Ottawa.
Il n’y a, bien sur, aucune règle qui dicte que les cinéphiles doivent tout voir avant le 31 décembre. Plusieurs personnes parfaitement saines d’esprits attendent les films sur DVD ou sur les chaînes spécialisées sans avoir l’air particulièrement affectées. La manie du Top-10 “selon les règles de l’académie” affecte surtout les cinéphiles urbains qui peuvent se convaincre qu’il s’agit-là de quelque chose d’important. Le mot “obsession” n’est jamais trop loin.
Mais même en se libérant de la tyrannie du 31 décembre, la question reste toujours “pourquoi s’en donner la peine?”, surtout pour les cinéphiles moins convaincus et les amateurs de cinéma de genre. Comédie, action, thrillers, SF, horreur et fantasy figurent rarement dans la course aux Oscars, et il y a lieu de se demander si le genre de film primé par les récompenses de fin d’année (grands films importants, tragédies, biographies inspirantes, drames historiques épiques, etc.) est foncièrement meilleur, ou plus intéressant que nos films favoris. Nous avons tous en tête un “gagnant Oscar” que nous ne pouvons pas supporter (TITANIC? AMERICAN BEAUTY? A BEAUTIFUL MIND?), alors pourquoi donc se donner la peine d’aller voir des films qui risquent de nous ennuyer plus qu’autre chose?
Pensons-y plutôt comme d’une sélection nutritive, d’une occasion de diversifier ses horizons. De temps en temps, il y a des surprises: L’an dernier, je n’avais aucune occasion de voir SIDEWAYS avant que le film n’entre en considération pour les prix de fin d’année: le résultat m’a favorablement surpris. Cette année, c’est BROKEBACK MOUNTAIN qui (une fois passé les réflexes sarcastiques) s’avère jusqu’ici la surprise de la ronde aux Oscars: Je ne suis guère un amateur de tragédies romantiques ou de westerns (et après THE HULK, “a film by Ang Lee” est un avertissement bien plus qu’une pub), mais le film s’avère d’une accessibilité surprenante et d’un intérêt narratif continu.
Bref, les cinéphiles ont avantage à voir la course aux Oscars comme une épreuve imposée qui étends les horizons de leur menu habituel. Le jeu n’est pas sans risque (à voir FINDING NEVERLAND l’an dernier, ou bien A HISTORY OF VIOLENCE cette année, il y a de quoi se demander ce qui a impressionné les critiques.) mais comme vous a peut-être dit votre mère: “Prends-en un peu, c’est bon pour toi.”
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Pour ma liste de films à surveiller, j’ai tendance à me fier à oscarwatch.com, IMDB et la liste des nominations aux Golden Globes. Prenant en compte la liste des 17 films en tête des listes, voici ce qui me vient à l’esprit…
Manifestement, il me reste encore beaucoup de films à voir: CAPOTE, CINDERELLA MAN, CRASH, MATCH POINT, MEMOIRS OF A GEISHA, MRS. HENDERSON PRESENTS, MUNICH, PRIDE & PREJUDICE, THE PRODUCERS, THE SQUID AND THE WHALE ET WALK THE LINE. Certains sont déjà disponibles sur DVD; d’autres ne paraîtront pas à Ottawa avant la fin janvier.
Pour le reste, BROKEBACK MOUNTAIN semble être le grand favori, et si le film peut réussir à impressionner même un grand sceptique sarcastique comme moi, je ne parierais pas contre ses chances avec les membres de l’académie. Je n’ai vraiment pas été impressionné par A HISTORY OF VIOLENCE, qui me parait être un film d’exploitation repensé pour les cinéphiles âgés. GOOD NIGHT AND GOOD LUCK m’a laissé tout aussi froid; j’avais l’impression qu’il s’agissait d’un film s’adressant déjà à ceux qui étaient convaincus de son message (McCarthy mauvais! Mauuuuvais!). Je reste partagé au sujet de KING KONG: superbe spectacle, mais chaque minute de ce film aurait pu être réduite à trente secondes. En revanche, je suis nettement plus enthousiaste au sujet de THE CONSTANT GARDENER et SYRIANA, deux thrillers géopolitiques à la fois importants, intelligents et intéressants.
Date des Golden Globes: 16 janvier. Date des Oscars: 5 mars.
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Étant donné ce qui n’a pas encore été vu, il est encore un peu tôt pour vous livrer un Top-10 définitif. Mais sans consulter mes notes, je vois déjà… un sorcier qui grandit, un lapin géant, une superbe morte, un Clooney barbu, deux super-héros en formation, une série qui tire sa révérence, un bédé transposée, un seigneur de la guerre et un jardinier tenace. Nous en reparlerons.
J’avais deux objectifs en tête quand je me suis procuré le coffret DVD “Firefly: The Complete Series” : De un, me préparer pour SERENITY (aka FIREFLY: THE MOVIE) à temps pour sa sortie en salle le 30 septembre prochain. De deux, découvrir pourquoi cette série de SF télévisée semble connaître un tel succès culte chez nos cousins geeks anglophones. S’agissait-il d’une bonne série? Était-ce (eeek!) de la bonne SF ou bien une autre occasion pour la Brigade Whedon de louanger les mérites de leur écrivain préféré?
N’étant pas encore un fan du Buffyverse (cela viendra, je le sais), je connais le nom “Joss Whedon” sans pour autant lui vouer une admiration sans bornes. Mais ce n’est pas le cas pour les légions de fans de Buffy et Angel, qui ont élevé Whedon au rang de demi-célébrité, chose que l’on n’avait pas vu depuis Joe Straczynski et Babylon-5. Firefly a été annoncé à grand coup publicitaire: une série de SF, fortement inspirée par le genre Western, d’un créateur adulé par ses fans. Que demander de mieux?
Hélas, la série n’a pas fait long feu. Maltraitée par Fox dans des créneaux horaires confus, peu prisée par l’audience mainstream, sans doute assez dispendieuse à produire, Firefly fut annulée après la diffusion de seulement onze des quatorze épisode alors complétés. Ce n’est pas un accident si la coffret annonce sans compromis “The Complete Series“: Tout est contenu dans cette boîte disponible à prix modique.
Ce qui nous ramène au contenu de ces quatorze épisodes. Firefly: mythe Whedonesque ou bonne série de SF?
Malgré certaines réticences, je suis assez fermement du côté de ceux qui vont louanger la série. Les critères d’évaluation d’une série épisodique ne peuvent pas être les mêmes que pour un roman ou un film se suffisant à lui-même: Les séries télé ne peuvent pas dépendre que sur des bonnes histoires ou d’une présentation raffinée. Ce qui nous pousse à voir et revoir une série, semaine après semaine, c’est la richesse des personnages et l’intensité des liens qui se tissent entre eux. Plus que n’importe quelle autre forme narrative, les séries télévisées nous invitent à tenter de comprendre un éventail de personnages, voire à s’en faire des amis imaginaires.
À cet égard, Firefly réussit à faire des merveilles en quelques épisodes. Les neuf membres de l’équipage du “Serenity” (un petit vaisseau de classe “Firefly”) sont bien campés, bien distincts et ont des liens dramatiques astucieux. Le jeu des acteurs est bien réussi et le dialogue aide à cerner les personnages (nous y reviendrons), mais Whedon a fait son travail quand est arrivé le moment de construire son équipe de protagonistes. On veut, tout simplement, revoir ces personnages épisode après épisode. Mis à part la menace constante de Jayne, il y a la maladie de River, les mystères du “pasteur” Book, la carrière d’Inara, la vie conjugale de Wash et Zoe, la tension romantique entre Kaylee/Simon et Inara/Mal… bref, l’équipage du Serenity a de quoi nous tenir occupé.
L’autre principale force de Firefly est propre aux séries de Whedon: Un sens du dialogue très bien mené, bourré de répliques intelligentes et de citations mémorables. (Je suis particulièrement épris de “Shepard, isn’t the Bible kind of specific about killing?” “Very specific. It is, however, somewhat fuzzy around the area of kneecaps.“) Whedon est à la fois suffisamment sarcastique pour plaire aux sensibilités Gen-X, et assez astucieux pour traiter d’authentiques sentiments d’une façon qui ne semble pas trop manipulatrice. Firefly, généralement parlant, sait que vous avez déjà tout vu de Star Trek et que vous êtes déjà familier avec les fondements des gadgets de la science-fiction: La série ne dépense pas trop de temps à réexpliquer la roue et s’adresse carrément à une audience un peu plus mature que d’autres séries télévisées. Il y a un réel plaisir à écouter les dialogues de la série, à la fois drôles, poignants et efficaces.
Je suis un peu moins épris de la construction de certaines intrigues. Au moins deux épisodes (“Shindig” et “Jaynestown”) s’achèvent rapidement et de façon peu satisfaisante. (En revanche, certains épisodes sont bien conçus et encore mieux exécutés, tels “The Message”, “Trash” et “Out of Gas”) Je constate également une certaine répétition dramatique: Au moins un personnage central se fait grièvement blesser à chaque épisode —heureusement qu’ils ont ramassé un docteur durant le premier épisode de la série!
Agacement inévitable pour une série télévisée, le développement de l’intrigue principale s’effectue également à pas de tortue: River reste psychotique pendant l’essentiel des quatorze épisodes, ce qui ne serait pas si mal si la série aurait duré les quelques cinq ans originalement planifiés, mais agace un peu lorsque ces quatorze épisodes sont tout ce qu’il y a à se mettre sous la dent. La plupart des autres personnages demeurent plus ou moins identiques du premier au dernier épisode, ce qui ne serait sans doute pas le cas si la série aurait durée plus longtemps.
Ç’est au niveau des éléments SF que Firefly perds beaucoup de points. Malgré une connaissance de base des éléments nécessaire à une série de SF, Firefly est handicapé par les nécessités logistiques et dramatiques de la SF filmée. L’espace n’est pas particulièrement infini pour les personnages de cette série. En fait, on pourrait dire qu’il est bondé: On y voit régulièrement des objets se croiser dans l’espace interplanétaire à des distances ridiculement courtes. L’intention de faire de Firefly un Western futuriste cause également sa part de problèmes, donnant lieu à des situations improbables où même des civils seraient en mesure de repérer les erreurs stratégiques commises par nos protagonistes mercenaires. Et ne me parlez pas de l’emploi maladroit des expressions chinoises dans la série: Je vis moi-même entre deux langages et les quelques mots de chinois insérés au milieu des dialogues paraissent forcée et artificiels, pas du tout comment quelqu’un utiliserait un peu d’anglais au milieu d’une conversation en français.
Une bonne partie de ces “erreurs” s’expliquent platement par les limites imposées à n’importe quel écrivain travaillant dans un médium visuel où chaque décor coûte quelque chose. Malgré ces contraintes, il y a tout de même de quoi être impressionné par le côté visuel de Firefly. Utilisant fréquemment des décors naturels (presque tous d’inspiration Western, bien sûr), la série fait également un bon emploi d’effets spéciaux et réussit à livrer un côté visuel qui rivalise avec beaucoup de films de série B. Mon épisode favori, “Ariel”, accomplit des merveilles en décrivant une infiltration d’un hôpital au milieu d’une métropole futuriste. Je reste un peu déçu des “erreurs intentionnelles” de présentation (zooms, profondeur de champ imparfaite et mauvais cadrages dans plusieurs séquences générées par ordinateur) mais ces imperfections savamment recherchées donnent effectivement une impression de dynamisme à la réalisation de la série.
Je laisserai à d’autres le soin de commenter sur le sex-appeal des gars de la série, mais je suis… comblé par nos héroïnes. À part River (un rôle jeune et évidemment incomplet), l’équipage féminin de Serenity est plus sexy que trois générations de Star Trek. Si Inara est la courtisane raffinée, je soupçonne que l’audience geek de la série en aura plus à dire sur l’hyper compétence de l’assistante-capitaine Zoe et le charme adorable de la mécano Kaylee. Évidemment, il n’y a pas que l’aspect physique qui plait: les actrices peuvent dépendre sur une très bonne écriture pour donner vie à leurs personnages.
Pour le reste, il y a beaucoup à admirer au sujet de Firefly, et encore plus à regretter au sujet de la fin trop hâtive de la série. Il y a lieu de se demander si l’attrait culte de la série n’est pas en quelque partie lié à son image de martyr. Regarder “The complete series” est un exercice frustrant, parce que l’on parvient à peine à cerner les grandes lignes de l’arc dramatique de la série. On voit la possibilité d’un complot corporatif, d’un personnage ambigu en la personne de Book, d’au moins deux unions romantiques en plus des difficultés conjugales de Zoe et Wash, ainsi que du développement de River en une espèce de surhumaine. Personne ne peut prédire ce qu’aurait été Firefly étendu sur cinq ou sept saisons. On ne peut que regretter que la série n’aie pas eu la chance de se rendre jusque là.
Heureusement, l’histoire continue: À la surprise de plusieurs, les ventes du coffret furent excellentes, à un point tel que Whedon a réussi à convaincre le studio Universal de le laisser produire un film continuant l’intrigue amorcée par ces quatorze premiers épisodes. Peut-être s’agira-t-il même d’un tremplin jusqu’à la conclusion de l’histoire, étant donné les rumeurs d’une trilogie de films. SERENITY sera sur les écrans le 30 septembre. Il va sans dire que j’y serai dès la première journée!
En ce qui vous concerne, allez donc jeter un coup d’œil sur ce coffret. Satisfaction garantie… peu importe vos attentes!