Essai: Boston: Triomphe et désastres d’ingénerie
L’an dernier, ma destination-tourisme fut Boston, coïncidant avec Noreascon4, la mouture 2004 de la Worldcon. En bon petit touriste débutant, je me suis naturellement plongé dans la lecture d’ouvrages et de ressources au sujet de la ville. Étant immédiatement sympathique aux grands projets d’ingénierie, je suis tombé, chemin faisant, sur une coïncidence étrange: Comment Boston (en plus d’être la ville hôte du célèbre MIT) s’est avéré être au centre du plus grand projet d’ingénierie civile de l’histoire des États-Unis, mais aussi le site de ce qui aurait pu être sa plus grand catastrophe.
Après la pause: Tous les détails, agrémenté de photos prises lors de mon voyage à Boston en septembre 2004.
(pause)
Le triomphe, d’abord: Au début des années 80, les urbanistes de la ville de Boston ont constaté que les problèmes de circulation de la ville, déjà légendaires, allaient sans cesse empirer jusqu’à ce qu’en 2010, la cité soit congestionnée seize heures par jour, jour après jour! Bref, quelque chose devait être fait. Mais l’autoroute principale de la ville, le Fitzgerald Expressway, était une autoroute à six voies surélevées, en plein centre-ville, passant à quelques douzaines de mètres des gratte-ciels. Impossible de rénover l’autoroute existante et tout aussi impossible de construire une autre autoroute ailleurs au centre de Boston. Les ingénieurs ont donc pris la seule solution qui leur restait: Creuser un tunnel. D’ou le sobriquet “Big Dig”.
Creuser un gros tunnel. L’ancienne autoroute n’avait que six voies? Pfah, le nouveau tunnel en aura de huit à dix! Mais attention: Creuser un tunnel en plein centre-ville, sans interrompre le flot de trafic sur l’ancienne autoroute, n’est pas une mince affaire. Il fallait composer, entre autres, avec des conduites d’électricité, d’eau, de gaz, de données. Oh, et un métro. Sans compter les fondations des gratte-ciels existants. Et tout ça à côté de l’océan Atlantique. Pour ce faire, les ingénieurs responsables du projet ont dû développer de nouvelles techniques: Des façons de congeler le sol avant de l’extraire, pour pouvoir travailler sans risques et effondrements. Des ingénieurs du reste du monde sont venus étudier les techniques développées et étrennées à Boston.
Les chiffres sont tout bonnement ahurissants: Le projet a coûté 14.6 milliards de dollars (américains), pris plus d’une douzaine d’années, sorti 12 millions de mètres cubes de terre du sous-sol Bostonien et coûté la vie à quatre travailleurs. Ce n’est pas pour rien que le projet est cité comme étant “the largest public works project in the history of the world”. Et c’est sans compter ce qui fut détruit après la construction: La démolition de l’ancienne autoroute a libéré 27 acres de terrain libre en plein milieu d’un des centres-villes les plus courus du monde. De quoi faire saliver développeurs et environnementalistes.
Qui plus est, le tunnel du centre-ville n’est qu’une partie du projet de rénovation: Il faut aussi compter sur le nouveau pont Zakim Bunker Hill, “the widest cable-stayed bridge in the world” et le tunnel Ted Williams étendant l’autoroute I90 jusqu’à l’aéroport Logan. Ouf!
Au moment ou j’écris ces lignes, le projet tire à sa fin: Le tunnel est plus ou moins terminé et l’autoroute surélevée n’existe plus. Restera à terminer les derniers travaux et, finalement, continuer l’aménagement des espaces libérés au centre-ville. Chapeau à Boston!
Mais remontons vingt-cinq ans plus tôt, pour en arriver à un projet qui continue de faire rougir certains Bostoniens. Parlons donc de la tour Hancock.
Dès sa conception, le projet suscite sa part de controverse: Cette tour de 60 étages, la plus haute de Nouvelle-Angleterre, est construite dans un quartier historique de Boston, à côté de l’église Trinity et de la bibliothèque publique de Boston. On craint que l’architecture ultramoderne de la tour vienne corrompre la majesté classique des édifices environnants. Mais I.M. Pei, l’architecte de l’édifice, est un peu plus astucieux que ses critiques, et spécifie des fenêtres réfléchissantes. L’effet est saisissant: La tour reflétant tout ce qui l’entoure, elle ne domine pas autant le paysage qu’elle le rehausse. A distance, elle devient une charpente qui s’estompe dans le ciel, teinté de bleu ou parsemée de nuages selon la météo. Au sol, elle reflète le granite des édifices environnants.
Un succès, donc? Du point de vue esthétique, oui, mais du point de vue pratique, non, surtout quand l’édifice commence à perdre ses fenêtres en pleine construction.
Imaginez la scène: des panneaux de verre renforcé de 250 kilos, quittant leur place dans la façade de l’édifice pour aller s’éclater à la base de la tour. Le 20 janvier 1973, nuit venteuse, au moins 65 des 10,000 vitres de l’édifice se sont fracassées à la base de la tour. Miraculeusement, aucun blessé.
Les fenêtres continuèrent à tomber durant les semaines suivantes. Par avril, près d’un acre carré de la façade de l’édifice était recouvert de contre-plaqué peinturé noir comme mesure temporaire. Les habitants de la ville se mirent à désigner l’édifice sous le sobriquet du “Plywood Palace”.
Mais il y avait pire encore, tel que révélé dans un célèbre article du Boston Globe: le 6 mars 1975, un ingénieur suisse nommé Bruno Thurlimann informa les propriétaires de l’édifice qu’à moins de corrections sévères et immédiates, leur édifice allait s’effondrer.
That’s right. Falling down. Like a dead tree in the forest. (…) Thurlimann’s discovery is the most astonishing of all these events. He announced that, according to his calculations, under certain rare but entirely possible wind conditions, the Hancock might fall over. Most amazing of all, it would fall on its narrow edge.
Le vent, la forme de l’édifice et quelques erreurs durant la construction de la tour menaçaient de se combiner pour créer un effet de résonance harmonique. Laissé à elle-même, la tour, tel le pont de Tacoma Narrow se détruirait étant donné certaines conditions météorologiques. Des correctifs furent apportés au bâtiment. Des codes de construction furent amendés. L’édifice tiens toujours.
Ironie du sort, la construction autodestructrice de la tour Hancock n’avait rien à voir avec le problème des fenêtres tombantes: Ce problème-là était dû à la construction trop rigide des fenêtres, nécessitant le remplacement des 10,000 panneaux de verre par un arrangement plus souple.
Qui plus est, un autre problème fut corrigé peu après la construction de l’édifice: La tour était conçue pour fléchir avec le vent, mais le faisait trop bien; les locataires des étages supérieurs sentaient le tangage de la tour. Un mécanisme correctif plus tard, et -hop- problème atténué.
Désastre? Je mange mes mots: Il s’agirait plutôt d’une série de hacks qui ont réussi à empêcher ce qui aurait pu être une catastrophe humiliante. Tout comme on contourne une autoroute désuète en creusant dessous.
Boston, capitale des astuces d’ingénierie civile!