Essai: Civilization IV
Alors que les jeux vidéos deviennent de plus en plus immersifs et de plus en plus sophistiqués, il y a lieu de se demander si tout cela nous mène allègrement vers une époque où il sera possible de se divertir à mort —ou, tout au moins, jusqu’à ce qu’il ne nous reste plus aucune minute entre le sommeil et le travail.
La série de jeu de stratégie Civilization et moi avons, comment dire, une longue histoire ensemble. La première mouture du jeu est sortie en 1991 et j’étais un accroc dès 1992. Civilization II (plus familièrement “Civ2“) a occupé une bonne partie de mes temps libres durant les années 1990. C’est la série Civilization qui, en grande partie, a fait en sorte que j’ai abandonné le gaming assidu durant mes années universitaires: Quand il est possible de passer plus de 20 heures sur une seule partie, quelque chose doit être mis de côté.
Résumer l’attrait du jeu à des non-joueurs n’est pas facile: Dire que Civilization est un wargame est un peu simpliste étant donné que cette description n’insiste pas sur l’aspect de progrès technologique qui a donné son nom à la série. Civ permet au joueur de commencer au milieu de nulle part avec une simple tribu. Le but du jeu est de découvrir le monde, développer sa technologie jusqu’au 21e siècle et terrasser les imprudents qui voudraient s’opposer à vous. Culture, recherche, guerre et politique sont vos outils. S’il est possible de jouer des duels éclairs en deux ou trois heures, Il n’est pas rare de voir une “bonne” partie (vaste mappemonde, nombreux adversaires, victoire “conquête”) durer dix, vingt, trente heures.
Et il s’agit de dix, vingt, trente heures que l’on ne voit pas passer. Absorbé dans les détails d’une stratégie de domination mondiale, il est trop facile de se fondre dans la manie du “un tour de plus…” et de gaspiller une journée au complet sans même s’en apercevoir. J’aimerais prétendre que c’est mon tempérament obsessif qui me rends une proie si idéale à de tels divertissements, mais c’est sans compter le succès monstre que les diverses moutures du jeu semblent avoir sur toute une variété de personnes. Non pas que c’est une excuse, bien sûr.
Sur mes étagères, vous pouvez voir des boîtes de Civ2 et Civ3, ainsi que des jeux du même type, tels Alpha Centauri, Master of Orion II et III. Les boîtes de MoO3 et Civ3 (achetées à rabais) n’ont jamais été ouvertes: connaissant trop bien l’effet que de tels jeu peuvent avoir sur mes temps libres, j’ai préféré remettre de telles choses à plus tard —disons à ma retraite. Mais voilà que mon frère a eu la brillante idée de me donner le tout nouveau Civ4 pour le nouvel an…
Si vous vous demandez pourquoi que me suis fait discret en 2006, ne cherchez pas plus loin la réponse: j’ai été occupé à terrasser Jules César, Genghis Khan, Élisabeth et Isabelle. Dimanche dernier a été un flash-back à mes fins d’années du secondaire alors que j’ai passé, sans m’en apercevoir, de midi à 19h à éliminer l’empire espagnol de la carte. Comme façon de flamber une fin de semaine, hé bien, on ne trouvera pas plus frivole.
La bonne nouvelle, s’il y en a une, c’est que Civ4 est encore plus réussi que les itérations précédentes de la série. Les concepteurs ont réfléchi aux mécaniques du jeu et ont réussi à éliminer une bonne partie des mécanismes de micro-gestion absolument ennuyeux qui rendaient les Civs précédents si lassants à jouer. Ce n’est pas encore parfait (l’interface laisse à désirer; voir plus bas) mais c’est un pas de plus vers l’addiction la plus complète. Le perfectionnement de l’aspect “culture” donne une dimension supplémentaire (et réaliste) au pur jeu de guerre que pourrait devenir Civ: Une ville isolée au milieu d’une civilisation plus puissante peut faire défection sans conquête, menant à une “victoire culturelle” assez satisfaisante. Les mécaniques du jeu sont plus équilibrées, et il est maintenant essentiel de faire appel à plusieurs types d’unités militaires plutôt qu’une seule. Des douzaines de petits perfectionnements rendent le jeu plus amusant, plus intéressant et permettent de se concentrer sur les véritables aspects stratégiques.
Là où je déchante, c’est au niveau de l’interface… et ce sur deux aspects distinct.
Le premier est le manque de contrôle pour la manipulation des unités. L’interface du jeu est une merveille de complexité progressive, mais elle offre parfois une vue beaucoup trop limitée sur les unités militaires et rends frustrantes des opérations qui devraient être très simple (comme “que tous les bombardiers intacts attaquent les défenses de la ville”). Même l’écran de tri et sélection des villes n’est pas particulièrement utile. D’autres bourdes à gauche et à droite donnent l’impression d’un produit poussé un peu hâtivement hors du studio de programmation. (Une mise à jour assez solide, d’une taille de 50Mo, est déjà téléchargeable moins de trois mois après le lancement du jeu) On promet que tous les aspects de Civ4 sont simples à modifier… mais ce n’est pas un réconfort à ceux qui ne veulent pas se taper un peu de XML/Python.
Le deuxième problème de l’interface est nettement moins sérieux: à voir l’effort que le studio Firaxis a mis sur les graphiques et le son (avec films, musique, narration de Leonard Nimoy, modèles 3D des adversaires et monde virtuel où l’on peut passer du globe aux unités individuelles), tout cela est du gaspillage quand la plupart des véritables amateurs vont finir par désactiver toutes ces enjolivures au profit d’un jeu rapide et efficace. C’est le choix du studio, direz-vous, mais tout cela laisse un peu perplexe quand c’est si orthogonalement inutile à ce qui fait la force de la série Civilization.
Ceci dit, la crainte que j’ai devant l’emprise toute-puissante du jeu sur mes temps libres est un témoignage éloquent du succès de cet ajout à la série Civ. Ce qui est particulièrement ironique étant donné qu’une facette importante de la stratégie de marketing du jeu a été civanon.com, un site “Civilization Anonymous” décriant l’influence pernicieuse du jeu en des termes qui ne sont pas étrangers aux conseils anti-drogues. (Si vous avez la bande passante requise, n’hésitez pas à visionner “Learn the Truth About Civilization”) Ça laisse songeur, surtout que pour obtenir suffisamment de temps libre pour écrire ce billet, j’ai dû exiler un des deux CDs du jeu loin au bureau, de façon à ne pas être tenté de jouer juste un autre tour…