Congres 2010: La grande tournée pan-continentale
(En guise d’explication: En trois semaines successives de mars-avril 2010, j’ai assisté à quatre événements litéraires dans trois pays et deux continents différents. Les quatre billets suivants furent originalement publiés sur fractale-framboise.com en mars-avril 2010. J’ai choisi le les présenter sous forme d’un long billet étant donné la continuité de l’aventure pour les lecteurs.)
Première étape: World Horror Convention 2010
Jouez au détective, chers lecteurs: Où me trouve-je présentement? Un indice:
Ah, mais vous êtes forts à ce jeu. Effectivement, je suis en plein centre-ville de Brighton, United Kingdom. Ville balnéaire par excellence pour tous les Londoniens, c’est un terrain de jeu par excellence pour bonne quantité d’Anglais, et ce depuis très longtemps: Jane Austen en parlait dans certains de ses romans, mods et rockers se sont affrontés ici durant les années 1960s et plus récemment, c’est sur la plage que s’est tenu certains des raves les plus gigantesques de l’histoire britannique, mené par nul autre que Fatboy Slim.
Mais vous vous doutez sans doute que je ne suis pas ici pour parler Austen, émeutes ou musique techno. Pourquoi donc suis-je ici? Un autre indice pour ceux qui auraient déjà oublié le titre de ce billet:
Extraordinaire! Vous êtes imbattables au jeu des devinettes!
Car c’est à Brighton que c’est tenu la World Horror Convention de 2010. Pour la première fois, l’événement a quitté l’Amérique du Nord et est venu hanter le Royaume-Uni. 600 personnes (on en a refusé) se sont rencontrés dans le vénérable hôtel Royal Albion pour discuter, réseauter, boire et dormir en pure horreur.
Ce fut un bien bon congrès. Mais pour apprécier pourquoi, il est nécessaire de remonter un an dans le temps, pour s’intéresser au désastre que fut la World Horror Convention 2009 de Winnipeg…
«Personne n’ose reconnaître l’existence de la WHC de Winnipeg»
En fait, pour ceux qui ne connaissent rien au congrès mondial d’horreur, il sera peut-être utile d’aller relire le billet que j’avais écrit peu après la WHC de 2007 à Toronto. Plusieurs des mêmes constatations restent vraie. Mais ce qui est de plus en plus évident avec le recul, c’est que la WHC de Toronto était exceptionnellement réussie, et a fait beaucoup pour prouver que la WHC méritait d’être considérée comme un congrès de classe mondiale au même titre que la Worldcon ou la World Fantasy Convention. L’impact de la WHC 2007 a été dramatique pour moi: Je me suis mis à lire beaucoup plus d’horreur, et ce que j’ai appris à un panel a mené, quelques mois plus tard, au catalogage numérique de toute ma collection de livre.
Si bien que lorsque la WHC s’est à nouveau pointé au Canada en 2009, je me suis dit que je n’allais jamais avoir de meilleur excuse pour visiter Winnipeg. L’horreur n’est pas mon genre d’attache, mais le fandom y est sympathique, et les discussions sont intéressantes.
Puis je suis arrivé à Winnipeg. Pour nos lecteurs européens et ceux qui ne connaissent pas autant le Canada-anglais, il faut dire que Winnipeg a une très mauvaise réputation. C’est la métropole canadienne du crime violent; le taux de pauvreté y est beaucoup plus haut que dans les autres grandes villes canadiennes; c’est également reconnu comme un ville où il vente toujours et y fait tout aussi souvent très froid –même par les standards canadiens!
Une partie de tout cela s’explique par le fait que Winnipeg était une destination essentielles lorsque la plupart des gens et des marchandises voyageaient à travers le Canada par chemin de fer. Winnipeg ne s’est jamais tout à fait remis de la montée des transports aériens commerciaux, et se promenant à travers la ville d’aujourd’hui, il y a amplement de signes d’une métropole flétrie, d’une ville laissée derrière dans le temps.
Vous comprendrez alors que Winnipeg n’est pas une destination aussi attirante que Toronto ou Brighton. Vraiment pas aussi attirante, si bien que je me suis occupé à compter le nombre de têtes dans la salle lors des cérémonies d’ouverture de la WHC 2009 pour parvenir à un total de… 27 personnes. Incluant les organisateurs. Et cela allait rester un sommet pendant tout le weekend: Même avec une programmation à un seul courant, je n’allais plus jamais voir plus de 15 personnes dans une pièce en même temps.
Bref, le désastre. Boréal 2009 avait deux ou trois fois plus de personnes sur place que la World Horror Convention 2009. Plusieurs personnes ont tenté d’expliquer cet échec spectaculaire en montrant du doigt la crise économique, mais alors que le reste des congrès (y compris la Worldcon, y compris la WFC) s’en sont tout de même bien tiré, il faut tout de même regarder ailleurs. Winnipeg a obtenu la WHC en partie dû à l’effort d’organisateurs déterminés (le légendaire couple Mansfield, au sujet desquels presque tous les fans canadien-anglais peuvent raconter des histoires invraisemblables) mais ceux-ci n’avaient essentiellement aucune feuille de route en fandom d’horreur. Ajoutez-ca à l’idée d’aller passer du temps à Winnipeg le premier mai (pour avoir été sur place à ce moment, disons que la météo était toujours quasi-hivernale) et il faut à peine être surpris par l’idée que tout le monde est resté à la maison. Je suis moi-même sorti explorer Winnipeg plutôt que rester au congrès, et a payé cher mon billet d’avion pour revenir une journée plus tôt. De plus, j’ai réussi à lire tout Anathem de Stephenson durant mon voyage Winnipegois.
Heureusement, les fans et professionnels de l’horreur ne sont pas restés à la maison cette année. (En fait, je crois qu’il y a plus de Canadiens à Brighton -y compris Claude Lalumière et Natasha Beaulieu- qu’il y avait de gens à Winnipeg au complet.) La WHC Brightonienne fut organisée par une bonne partie de l’équipe de la WHC Torontoise, et leur crédibilité est exceptionnelle. (Je remarque aussi que les Mansfields ne sont pas sur place cette année…) Ceci étant également la première WHC anglaise, il s’agissait d’un événement-phare pour réunir, pour la première fois, une bonne partie des sommités du fantastique britannique.
«Un hôtel peut être trop historique»
Pour les nord-américains qui, comme moi, découvrent l’Angleterre par le biais d’un congrès à Brighton, le choc peut être remarquable. Brighton était vieille lorsque l’Amérique était neuve, et le torticolis invraisemblable des routes, plans d’hôtel, trottoirs et ruelles montre à lui seul le poids du vécu accumulé dudit vieux continent. Les lits sont courts, les chambres d’hôtel sont à peine chauffées, les douches sont glaciales… bienvenue dans un hôtel-boutique construit alors que l’électrification était de la haute technologie. Les robinets de ma chambre clament fièrement “1924” et s’il existe deux manières de se rendre d’un bout du Royal Albion à l’autre, les deux demandent un excellent sens de l’orientation (et une petite carrure)
Bref, nous sommes dans les vieux quartiers de Brighton. En revanche, le reste de la ville réussit assez bien à faire l’équilibre entre héritage et modernité. Le giga-mail commercial Churchill Square côtoie le dédale Harrypotteresque des ruelles The Lanes. Le gigaplex Odeon existe pas trop loin du Duke of Yorks, première salle de cinéma construite en Angleterre (1910!) et les petites rues courbées ont des magasins de jeu vidéo. Brighton est la ville où viennent dépenser les Londoniens pour la fin de semaine, et cet apport d’argent est visible dans les rues propres, l’effort fait pour rendre l’endroit aussi distrayant que possible, et toute la place est réservée à la plage de galets.
La densité de restaurants est exceptionnelle, le centre-ville comporte tout ce que veut le touriste ordinaire, et il y a tellement de choses à voir qu’il n’est pas déplacé de quitter le congrès pendant une heure ou deux pour aller explorer les environs. En me promenant sur le quai, j’ai rencontré une Londonienne d’adoption qui était en ville pour une entrevue qui, espérait-elle, allait lui permettre de quitter l’infâme Londres pour revenir là où elle se sentait plus confortable: Brighton.
J’ai l’impression que je vais m’ennuyer de Brighton moi aussi.
Mais entre-temps, il faut composer avec un hôtel où le lobby s’emplit instantanément à chaque intermission entre panels. Une salles des marchands qui donnerait une crise d’apoplexie à des pompiers américains. Une connexion internet capricieuse. “Welcome to historical Brighton” disaient-ils… est-ce que l’on peux faire ça au Hilton la prochaine fois?
En revanche, la vue que j’ai sur le quai à l’écriture de ce billet, à l’écoute de Kim Newman interviewant Dennis Etchison, est imprenable.
«Zombies, zombies, zombies»
Mais pour s’intéresser au contenu de la World Horror Convention de cette année, apprécions les différences entre la WHC 2007 et celle de 2010. («Personne ne reconnaît l’existence de la WHC 2009»)
La première et plus grande différence est l’emphase naturelle sur l’horreur anglaise. L’atmosphère est différente, les références culturelles sont parfois subtilement décalées (les discussions sur les oeuvres marquant la jeunesse des panélistes mentionnent un autre ensemble séminal qu’en Amérique) et le contenu des panels discute d’un corpus très British: films de Hammer, anthologies Pan, etc.
Cette emphase britannique est également accompagnée d’une professionnalisation accrue de l’événement. Depuis des années, la WHC tente de passer d’un événement où se rencontrent des apprentis ou jeunes écrivains à un véritable congrès pour les professionnels et fans sérieux du genre. Comparé à Toronto, où un panel sur deux était destiné à l’apprenti-écrivain, Brighton semble plus porté sur la discussion entre professionnels, et le modèle WHC semble se calquer de plus en plus sur celui de la WFC.
Plusieurs invités-surprise sont venu enjoliver les choses. Neil Gaiman s’est présenté sur place pour interviewer James Herbert, et en a profité pour tenir une séance de signature: sa file s’est étiré à travers tout l’hôtel. John Ajvide Lindqvist, romancier et scénariste de Let the Right One In, s’est avéré être un panéliste charmant, sympathique et parfois hilarant. Ailleurs au congrès, Dennis Etchison, Kim Newman, Ian Watson, Tanith Lee, Chelsea Quinn Yarboro, Ramsey Campbell, Tim Lebbon et plusieurs autres ont laissé une impression.
Mais ce qui vous intéresse, c’est sans doute l’état du genre circa 2010. Alors, qu’est-ce que l’on peux retenir des discussions à Brighton?
Plusieurs choses ont beaucoup changé depuis 2007. En 2007, Twilight n’existait pas; l’urban fantasy n’était pas aussi populaire; et le zombie était en ascendance.
Maintenant, le zombie est le monstre du moment, et les professionnels ne sont pas confiants que cette popularité se maintienne plus longtemps (on parie maintenant quelques sous sur les loups-garous) En panels, au moins deux personnes ont exprimés des visages de dégoûts à l’idée de romance paranormale avec zombies, suggérant que cette vague est sur le point d’entrer sa phase décadente. Ce qui explique sans doute la collection mangaesque “MARVEL ZOMBIE COMICS” distribuée dans le sac destiné aux participants du congrès.
(Ah oui: les livres gratuits. Là, Brighton s’est surpassé et approche la WFC: Le sac de cette année comprenait une douzaine de titres, y compris un livre-souvenir et un programme à couverture rigide.)
La montée de Twilight et autres oeuvres d’urban fantasy a également changé la donne de l’industrie. Tel que mentionné à quelques reprises durant le congrès, la popularité de Twilight est à double tranchant: Si elle démontre la popularité des tropes d’horreur et le potentiel d’étendre les frontières du genre, il s’agit également d’une version si édulcorée des mythes fondamentaux du genre qu’il y a un risque perçu de voir le genre s’étirer jusqu’à en perdre sa distinction.
La montée de l’urban fantasy / paranormal romance concerne également une partie des professionnels (c’est à dire: ceux qui n’en écrivent pas) qui craignent pour le noyau dur du genre. Il y a un sentiment d’envahissement du genre par des gens qui ne sont pas intéressés à en explorer le ramifications. L’Urban fantasy tirant des ficelles de romances, de thriller, d’action en plus de l’horreur, cela laisse le genre entre quatre ou cinq chaises.
Bref, tout ne va pas complètement bien en horreur. En revanche, j’ai entendu beaucoup moins de références révérencielles au boom des année 1980, un autre signe que le genre commence à prendre confiance en son état actuel. La salle des marchands était bien nourrie (et surtout concentrée sur les livres britanniques: Ah, pourquoi n’ais-je pas acheté “Queen Victoria, Demon Hunter”?) et il y avait peu de prédictions de crash imminent même après une année difficile pour toute l’industrie de l’édition.
Et à voir l’énergie du weekend, les fans habillés en noir, la table bien nourrie d’annonces et de lancements, l’horaire à trois ou quatre courants, l’audience nombreuse aux panels, il n’y a pas de quoi craindre pour l’horreur et sa WHC. Le tout se déplace à Austin (Texas) l’an prochain, et alors que l’entrevue entre Kim Newman et Dennis Etchison arrive à sa fin (et que je vais devoir me déplacer ailleurs), je pense que ce serait une bien bonne excuse pour aller visiter le Texas…
Deuxième étape: Salon du Livre de Paris 2010
Alors, chers lecteurs, devinez où j’étais aujourd’hui?
Oui, mais encore, plus précisément?
Hé oui: Je suis passé faire un tour au Salon du Livre de Paris. Ma présence là-bas était accidentelle à plus d’un égard.
De un, je ne suis pas parisien, pas français et même pas européen (personne n’est parfait). C’est la première fois en 17 ans que je met les pieds hors l’Amérique du Nord, et ça a pris la World Horror Convention pour me déloger du nouveau continent. Si j’avais été sain d’esprit, je serais resté en Angleterre plutôt que de planifier un voyage-éclair de 48 heures à Paris avec aucun autre but que de prendre un tour guidé. Mais me voilà.
De deux, je ne savais même pas qu’il y avait un Salon du Livre de Paris en ce moment-même. Je me souviens (maintenant) d’une remarque de Jean-Louis Trudel lorsque je l’ai informé de mes plans de voyage, mais ce n’était pas sur mon radar jusqu’à, en croisant la Seine sur le pont pour me rendre à la Tour Eiffel, je remarque une affiche annonçant le Salon. “Ah, bon, peut-être aurais-le temps d’y aller demain, après le tour guidé… c’est où, la Porte de Versailles?” Puis, une affiche m’a clairement indiqué “PORTE DE VERSAILLES: TOUT DROIT.” J’ai continué ma route tout droit jusqu’à ce que j’aperçoive l’entrée du salon. Destin de bibliophile ou pas, j’ai une chance folle pour ce genre de truc.
Précisons une chose: Le Salon du Livre de Paris et l’ultime mot en la matière dans le monde francophone. Le top du top. L’apogée apocalyptique de l’avilissement des auteurs. Les pauvres franco-américains qui pensaient que le Salon du Livre de Montréal était e la pure folie? Feh; imaginez un événement dix fois plus gros. (Jean-Louis Trudel, qui a fait les salons du livre de Sudbury jusqu’à Paris, doit bien rire dans sa barbe à la lecture de ce billet.) C’est d’une grosseur telle que l’on a de la difficulté à la représenter par image: Il faut être dans le hall d’exposition, à prendre dix ou quinze minutes à se rendre d’un bout à l’autre, pour saisir toute la portée. Le paradoxe, c’est que malgré sa taille, le salon reste navigable: En soirée du mardi, il y avait toujours suffisamment d’espace pour se déplacer sans vouloir trucider des lambins –à condition d’éviter les longues files pour signatures!
Ailleurs au salon, il y a au moins une douzaine de scènes d’animation, un petit quartier pour les amateurs de BD, des kiosques énormes (celui du Gallimard a à-peu-près la taille du Luxembourg. Ou, sans rire, du quart de la salle principale du Salon du Livre de l’Outaouais.), et de tout pour tous. Des éditeurs électroniques à une authentique presse à papier exhibée, à des gens obsédant sur le iPad, à des revendeurs de bijoux (mouais, pas trop certain de comprendre moi non plus), il y a de tout pour tous. Les différences entre les salons franco-américains sont parfois frappantes: Nos amis à Bragelonne ont un stand sensationnel, d’une taille propre à un éditeur majeur, alors qu’au Québec ils sont souvent réduits à un rayon.
Pendant ce temps, l’industrie canadienne-française de l’édition se trouve dans un simple stand “Québec Édition”, avec certains éditeurs d’importance aux salons canadiens réduits à un rayon (de Mortagne) ou quelques livres (Alire, présentant du Jacques Côté). Et ce en plus de tant d’autres stands dédiés à des pays ou régions spécifiques.
D’autres éditeurs mettent le paquet: Dargaud (et, je crois, d’autres éditeurs) avaient un grand stand entièrement dévoué aux bandes dessinées à couverture rigide: le gamin en moi aurait voulu y passer la journée. France Loisirs avait installé un parquet et transformé son stand en living room propre à la lecture. Hachette Livre a été plus loin, en ne présentant aucun livre et en fournissant un espace sobre, légèrement mystérieux et digne de rencontres professionnelles.
Bref, toute une expérience, et une qui remet les pendules à l’heure lorsque l’on discute (comme je le fais à chaque année) du Salon du Livre de Montréal. Allez, franco-américains, réservez vos billets pour l’édition 2011. Et pour les Parisiens, dépêchez vous: il reste une journée!
(J’aurais normalement ajouté une dizaine d’autres photos à ce billet, mais je suis au loin d’une connexion Internet vacillante. Allez cherchez les autres photo-reportages en-ligne…)
Troisième étape: Eastercon 2010
Alors, chers lecteurs, devinez où j’ai passé la fin de semaine?
Bon, d’accord, mais où plus précisément?
Oui oui, la blague se fait vieille… Mais j’étais effectivement l’une des 1300 entités inscrites à « Odyssey 2010 », le congrès britannique Eastercon de cette année. Se déroulant dans un hôtel près de Londres, Eastercon est un congrès de quatre jours qui profite du long congé pascal pour permettre aux fans d’imaginaire anglais (entre autres…) de se rencontrer. C’est sans doute l’un des plus grands congrès généralistes du Royaume-Uni, et c’est également une splendide excuse pour un Nord-Américain d’aller voir de quoi les cousins européens discutent lorsqu’ils sont entre eux…
Mais alors que je voulais écrire un rapport sur les différences entre les congrès des deux côtés de l’Atlantique, voici que mes observations m’amènent à une approche différente : comment et pourquoi, d’un côté ou l’autre de l’Atlantique, la formule traditionnelle du congrès anglo-saxon reste la même.
Cela débute dès l’entrée à l’hôtel, dès le premier regard posé sur les fans réunis dans le foyer. On sait immédiatement que l’on est à la bonne adresse, car le profil physique des fans est le même : les hommes portent des lunettes, la barbe et la queue de cheval. Les dames, peu importe leur âge, se comportent avec l’aisance de celles qui n’ont pas à se prouver : les plus vieilles ont une fière chevelure grise alors que les plus jeunes préfèrent la tenue goth-punk. Une bonne partie des fans sont des hommes dans la trentaine, habillés de noir, à la calvitie galopante, et souvent présents aux panels portant sur des sujets techniques. Beaucoup font de l’embonpoint. Presque tous font partie de la classe moyenne intellectuelle. La vaste majorité sont des Blancs, une étrange sélection au milieu d’une ville de plus en plus multiculturelle. Bref, on pourrait se trouver dans n’importe quel congrès de SF anglophone.
Au programme, plus ou moins la même chose qu’ici : des panels, des démonstrations, des présentations. Sujets : SF écrite, SF média, science, intérêts reliés. Eastercon étant un événement majeur au calendrier SF, on y voit des remises de prix (annonce des nominations aux Prix Hugo, remise des BSFA) et des discussions au sujet de l’avenir du fandom. Comme congrès généraliste, Eastercon dépend des intérêts de ses membres : ainsi a-t-on vu paraître à l’horaire des démonstrations de bondage. (Une version préliminaire de l’horaire, qui casait cette démonstration à 16 h dans une salle immédiatement après un panel pour enfants, avait causé toute une commotion sur les listes de discussion du congrès. Le tout est devenu un running gag pendant Odyssey, tel que lu dans la newsletter : « Number of Bondage/BDSM panels I’ve attended – 0. ») Puis, il y a la kyrielle de partys de chambre. Mais il y a eu aussi quelques événements spéciaux comme la retransmission en direct à quelques 900 fans du premier épisode de la nouvelle saison de Doctor Who. Les nominations aux Prix Hugo ont été annoncées dans une salle où se trouvaient près d’une douzaine de nominés (dont Chris Garcia, Farah Mendlesohn et Paul Cornell), en plus d’être retransmises sur le Web. Et Londres aura annoncé sa candidature (jusqu’ici sans compétition) pour la Worldcon 2014 : Eastercon, on le comprendra, est une destination majeure du calendrier SF.
Chose certaine, l’équipe d’Odyssey a fait un travail d’organisation formidable. C’est fou ce que l’on peut faire lorsqu’on mène un congrès de 1300 inscrits : plus d’une douzaine d’éditions du bulletin du congrès, de nombreuses affiches d’orientation, un programme varié et de haute qualité, une green room pour panélistes très bien menée, un hall principal transformé en salle audiovisuelle de haut niveau. Bref, des leçons à apprendre pour les organisateurs de congrès.
Il y a, bien sûr, des différences entre Eastercon et les congrès américains. La culture alcoolique (ahem — « la culture construite autour de la consommation d’alcool », écrirons-nous plutôt) est profondément enracinée ici, au point d’atteindre la pathologie occasionnelle. J’ai plutôt admiré le fan qui, à un party, avait un verre dans chaque main. Les références culturelles, surtout formatives, sont souvent très différentes : des blagues au sujet de « Clangers » m’ont mystifié jusqu’à ce qu’on m’explique tout au sujet d’une série télévisée des années 1970, après quoi j’étais plus informé mais pas nécessairement plus dans le coup. D’autres activités restent mystérieuses, peut-être inexplicables. (Morris Dancing?) Les accents sont aussi différents, mais c’est sans doute une des différences les moins importantes, surtout quand les panels réunissent à la fois des Européens et des Américains. Et c’est sans compter la bonne proportion d’auteurs plus rarement vus en Amérique : Iain Banks, Alastair Reynolds, etc.
Je crois également que l’hôtel choisi pour Odyssey 2010 serait inacceptable pour un congrès américain. J’ai déjà commenté sur l’architecture démente de l’hôtel choisi par Ad Astra, mais celle du Edwardian Radisson Heathrow est complètement démoniaque : couloirs où une seule personne peut passer, salles de conférence au bout de trois couloirs différents et tapies au milieu des chambres, ascenseurs menant à certaines salles de conférence mais pas d’autres sur le même étage, entrée dans une salle se trouvant derrière les panélistes, architecture parfois edwardienne, parfois asiatique, un plan sans bon sens… et c’est sans compter que l’hôtel a été construit récemment et en une seule fois, et non à coups d’ajouts lors de décennies d’évolution organique. Quel mystère que cet hôtel : ayant perdu certains de mes copanélistes entre la Green Room et la salle où se tenait un panel particulier, j’ai blagué qu’un trou noir devait se tapir dans certains corridors, et mes interlocuteurs ont trouvé l’hypothèse raisonnable…
Car (hé oui), j’ai aussi contribué au vaste festin pot-luck d’Eastercon. Ayant fait part de mon intérêt à discuter de modération et de SF non anglophone, je me suis retrouvé à modérer un panel sur la modération, et à suggérer des titres d’œuvres francophones non traduites. On m’a ensuite demandé de modérer un panel sur « Gender in Space Opera » (une commande difficile, mais réussie), et Cheryl Morgan a été bien gentille de faire de moi un participant non officiel au panel sur les congrès virtuels. (Que vous pouvez revivre ici)
Et c’est là peut-être la grande leçon, non seulement d’Eastercon 2010, mais aussi de la vaste communauté des congrès de SF partout dans le monde : si vous voulez y participer, si vous apprenez les codes sociaux de ces événements, vous pouvez entrer dans le foyer d’un hôtel sur un autre continent et trouver exactement le même type d’accueil que vous pouvez espérer dans un congrès près de chez-vous. Les fans voyagent, se rencontrent, établissent des traditions parce qu’elles fonctionnent pour tous. Quelle chance que de faire partie du fandom : c’est comme avoir une famille élargie un peu partout sur la planète!
Quatrième étape: Ad Astra 2010
Alors, chers lecteurs… où ais-je passé une partie de la fin de semaine?
Mais encore…?
Hé oui: Véritable saut de puce global après un périple européen, je suis effectivement passé faire un tour au congrès torontois Ad Astra. Ce fut une courte visite: j’avais d’autres choses à faire à Toronto (aussi hilarant soit-il de me lire écrire ces mots, il y a autre chose que des congrès dans la vie) et c’est donc pourquoi ma présence à Ad Astra se limita au seul samedi après-midi.
J’en reviens tout de même avec de bonnes nouvelles. Après des années de périclitation et des signes avant-coureurs peu prometteurs (admirez cet horaire avec panélistes et descriptions séparées!), Ad Astra a semblé reprendre du poil de la bête cette année: Il semblait y avoir plus de congressistes, plus d’auteurs, plus de fans et certainement plus de costumes. Au menu artistique: Beaucoup de zombies; énormément de steampunk. (Si vous écrivez rapidement, je vous prédit la grande vague de 2010: zombies steampunk. Et c’est pourquoi Cherie Priest a de bonnes chances d’obtenir le Prix Hugo du meilleur roman pour Boneshaker… mais nous nous éloignons du sujet.)
Pour faire changement, je n’ai pas assisté à un seul panel durant ma brève incursion en territoire adastresque: Même en me limitant aux corridors, à la salle de vente, au bar de l’hôtel, à la salle de lancement ou bien au salon transformé en séance de signature de masse, j’ai passé presque six heures en conversations diverses. J’ai salué Claude Lalumière et Murray Moore pour une troisième fois en autant de villes et de fins de semaines (ce sera étrange de ne pas les voir la semaine prochaine); discuté de romance-zombie avec David Nickle et Peter Watts dans un sombre recoin du bar; me suis peut-être fait embarqué dans l’organisation d’un mini-congrès cet automne; ai dis bonjour à quelques vétérans d’Anticipation –dont René Walling, maintenant pleinement transformé en nano-éditeur; me suis inscrit à Con*Cept 2010; ai renoué des liens avec divers éditeurs et auteurs rencontrés au fil des ans… bref, n’ai pas vraiment eu le temps de m’ennuyer.
J’en ai même appris pas mal sur ce qui se trame dans la région d’Ottawa de ces temps-ci. La grande nouvelle, c’est que le vénérable congrès Can-Con reprends du poil de la bête cette année, avec un événement prévu les 20-22 août prochain. (Hmmm: je prévois une autre trilogie de congrès consécutifs et pas nécessairement sur le même continent…) De plus, on m’a introduit à des auteurs locaux que je ne connaissait pas encore. Hayden Trenholm m’a présenté à Matthew Johnson, alors que Robert J. Sawyer a eu la gentillesse de me faire rencontrer Marie Bilodeau, qui lancera bientôt (à Ottawa!) le troisième volet de sa séries de fantasy Heirs of a Broken Land. Comme quoi je voyage tellement que les nouvelles de la maison doivent me rattraper ailleurs.
Le seul aspect d’Ad Astra qui continue d’empirer d’année en année est l’infâme “Toronto Don Valley Hotel & Suites”. Non pas que je le considère particulièrement débile après avoir subi l’Edwardian Radisson d’Eastercon, mais plutôt les environs: Toujours situé au milieu de nulle part, l’hôtel est maintenant entouré de condos huppés fraîchement construits qui ont aussi eu l’effet de faire disparaître les places de stationnement gratuites qui entouraient jadis l’hôtel: Les automobilistes qui voulaient assister au congrès pour trois jours ont, en théorie, dépensé plus d’argent pour stationner leur véhicule que pour s’inscrire à l’événement. Heureusement, le nouveau congrès littéraire torontois SFContario (19-21 novembre; pensez-y!) aura lieu au centre-ville, à distance de marche du métro.
Mais pour en revenir à Ad Astra, ce que j’ai vu avait de quoi plaire: Les costumes ont ajouté de l’atmosphère; la salle de vente occupait deux pièces; le lancement de l’anthologie Evolve était bien fréquenté; la galerie artistique était située dans une salle vitrée qui mettait en valeur des oeuvres d’art; beaucoup de professionnels torontois s’y trouvaient (ce qui n’était pas toujours le cas durant les année précédentes) et le tout semblait bien rouler. J’y a presque regretté ne pas y avoir passé plus de temps –non seulement parce que je n’ai pas réussi à rencontrer tous ceux qui s’y trouvaient (J’ai manqué Guy Gavriel Kay et Leah Bobet de peu), mais surtout parce que ça semblait un bon congrès.
Mais bon; pour l’instant, je vais devoir revenir à la vie normale après trois semaines de pérégrinations parfois rocambolesques. Ne pleurez pas trop au sujet des quelques fins de semaines sédentaires qui m’attendent d’ici Boréal 2010: J’ai une énorme pile de livres à lire, des nominés Hugo à critiquer, et des notes de voyage à mettre en ordre. De plus, il y a autre chose que des congrès dans la vie.