Congres 2008: Entre Polaris et Readercon
Deux fins de semaines, deux villes, deux congrès, 2,200+ kilomètres, cinq nuits d’hôtel, des centaines de dollars d’essence –et ne disons pas combien ont coûté les douzaines de nouveaux livres que j’ai ajouté à ma collection. Voilà comment j’ai passé les deux dernières semaines, entre Toronto, Ottawa et Boston (par voie de Montréal) à profiter d’une conjonction favorable d’horaires, d’amis, d’événements et de jours de congé. Je suis passé d’une convention ultra-média (Polaris) à un congrès ultra-littéraire (Readercon) en quelques jours, trajet aussi inusité qu’instructif en leçons sur la fausse uniformité du fandom SF.
Mais rappelons les évidences pour ceux qui ne sont pas familiers avec les événements en question : Polaris est une convention dédiée à la SF média. Originalement connue comme Toronto Trek, l’événement en était à sa 22e édition, avec le mélange habituel d’acteurs, d’auteurs, d’activités purement faniques et de salle de vente surtout remplie de jouets et autres dérivés de la SF audiovisuelle. Readercon, en revanche, est un événement dédié à la SF littéraire, avec une salle de vente presque strictement dédiée à l’écrit (même les T-shirts en vente sont couverts de mots amusants) et une proportion stupéfiantes de participants professionnels au monde de la SF&F. C’était mon premier passage à Polaris et mon troisième à Readercon : vous ne méritez pas de points pour deviner lequel est mon événement favori. En fait, j’avouerai qu’une fois exclu Boréal, Readercon est mon congrès SF préféré : La densité d’information est stratosphérique, et on n’y retrouve pas les distractions faniques d’événements plus inclusifs. Comme je disais l’an dernier, Readercon est tout ce que je veux d’un congrès SF et rien de plus.
Vous vous doutez sans doute que je n’ai plus d’intérêt pour la consommation omnivore de SF média (j’ai fait mon temps dans les tranchées de Babylon 5), et encore moins pour les manifestations faniques les plus excessives. Polaris n’est pas ma tasse de thé, bien que je me suis longtemps demandé si je n’aurais pas avantage à aller y jeter un coup d’œil, au cas où j’y découvrirais quelque chose d’intéressant. Puisque Readercon et Polaris partagent habituellement la même fin de semaine de juillet, j’ai rarement eu à me poser la question si je devrais aller à Polaris ou pas. Mais un accident de planification ayant repoussé Readercon 2008 à la troisième fin de semaine de juillet, cette année était différente. D’autant plus que la ville-reine ontarienne n’avait pas que Polaris à son horaire durant la deuxième fin de semaine de juillet : la Toronto Comicon et le Toronto Outdoors Arts Exhibit étaient également à l’affiche, en plus des distractions torontoises immanquables (Bakka-Phoenix Books, HMV-Yonge, The Beguiling, World’s Biggest Bookstore, BMV, etc.) et quelques rencontres prévues avec des ami(e)s. N’ayant jamais réussi à me rendre à Ad Astra en Mars pour cause de rhume post-ICFA, il me restait encore une case à cocher dans mon quota annuel de visites à Toronto.
Bref, c’est ainsi que je me suis retrouvé au Doubletree Airport Hotel de Missisauga, à contourner Xena, Darth Vader, un escadron de Stargate SG-1 et plus de goths que je ne le pouvais l’imaginer. Les costumes ne sont pas une cible facile à Polaris, pas quand la moitié des gens sur place portent un costume en quelque part entre un simple bustier de cuir et des costumes corporels d’Alien. Le bureau d’enregistrement étant de l’autre côté de l’hôtel, je me suis rapidement rendu compte de deux choses : C’était un vaste hôtel, et il y avait beaucoup de monde sur place. Alors que les congrès SF généralistes Con*Cept et Ad Astra sont habituellement des affaires intimes d’environ 400-500 personnes, Polaris semblait remplir un espace beaucoup plus grand avec au moins le double de congressistes. Même en restant loin des salles où se déroulaient la programmation, il y avait pas mal de vie et de couleurs entre les costumes omniprésents et le bruit de fond élevé des conversations enthousiastes. Sitôt payé mon inscription, un superviseur a demandé aux gens dans le corridor de rester près des murs : quelques secondes plus tard, une patrouille de gens déguisé en soldats de la série Stargate ont « patrouillé le secteur », un exercice qui les a mené au deuxième étage où ils ont découvert et vaincu un autre groupe de congressistes déguisés en Aliens.
Bienvenue à Polaris.
Il s’agit d’un modèle d’événement bien différent de ce qui se fait en fandom plutôt-littéraire : En plus de la programmation régulière sur l’écriture, la science et les séries télévisés, ces conventions médias (auquel on associera les congrès d’anime tels Otakuthon qui avait lieu à Montréal en fin de semaine) paient des acteurs hollywoodiens pour être sur place, donner des conférences et signer des autographes. (Vous voulez une photo avec un d’eux? Ça vous coûtera 30$.) Polaris 2008 comptait, entre une douzaine d’autres invités, Terry Farrel (Dax, Trek :DS9), Rachel Luttrell (Teyla, Stargate) et Gareth David-Lloyd (Ianto Jones, Torchwood). Quelques auteurs plus traditionnels étaient également au rang des invités d’honneur, dont des connaissances telles Peter Watts et David Nickle avec qui j’ai passé un bon moment.
Un tel modèle axé sur les vedettes du petit écran aura de quoi rebuter quelques lecteurs de ce blog. À quoi bon entendre parler des acteurs? (« Ça dépend des acteurs », me répond-t-on inévitablement.) Chose certaine, le coût conséquent du congrès est évident dès l’inscription : $50 pour une seule journée, et à ce prix on ne vous donne même pas une copie du livre-souvenir du congrès. Congressistes de seconde classe, on vous marque avec un bracelet fluorescent et on vous laisse se débrouiller avec un horaire photocopié qui indique les titres des événements, mais pas les participants. (Et si vous espérez trouver une liste complète des participants en quelque part, je vous souhaite bonne chance.)
Comme vous pouvez vous en douter, je juge une bonne partie des congrès sur la programmation, et la grille-horaire de Polaris avait ses… particularités. J’ai déjà relevé comment la grille-horaire ne mentionnait pas les participants, mais je n’ai pas encore mentionné comment il y avait des courants de programmation entiers dédiés à Battlestar Galactica, Doctor Who et Stargate (tous bien indiqués d’un glyphe distinctif) Et le niveau de discussion peut être assez… basique. L’unique panel sur l’écriture auquel j’ai assisté a consacré ses 10 dernières minutes à explique pourquoi l’autoédition était préférable aux presses de vanité, ce qui est un peu, de mon point de vue de lecteur, comme expliquer pourquoi il est préférable de se faire tuer par un Predator plutôt qu’un Alien. Mais ne rions pas trop vite : il y avait de quoi trouver quelque chose d’intéressant dans la quinzaine de courants continus, et on me dit que la vaste majorité des tables rondes étaient très bien fréquentées. La programmation d’intérêt scientifique me semblait intéressante, et la discussion à laquelle j’ai assisté au panel sur « le lent apocalypse » était aussi bonne qu’à des tables-rondes similaires à la Worldcon. (En revanche, Peter Watts avouait ne pas comprendre pourquoi et comment une des tables rondes les plus populaires de tout le congrès portait sur The Starlost.)
Ailleurs au congrès, il y avait une exposition artistique assez convenable, une aire fanique où j’ai fini par travailler sur le site web de Con*Cept en compagnie de leur webmestre et une salle de vente où les jouets prenaient le dessus sur les livres. Les lecteurs à Polaris avaient peu de choses à se mettre sous la dent à part des livres auto-publiés et une petite table tenue par la chaine Chapters/Indigo. J’ai réussi à y acheter un livre (si si), mais c’est parce que Derwin Mak était sur place pour signer des exemplaires de son premier roman. Pour le reste, il fallait aimer les figurines, les photos autographiées, les bijoux… Joël Champetier ajoutera peut-être sa propre expérience passée à Polaris il y a quelques années, mais une chose est certaine : si la majorité des Polaristes lisent, ce n’est pas immédiatement évident, ni leur mode de consommation SF favori.
En revanche, Readercon est, comme l’indique son nom, un congrès pour les lecteurs et leurs formes mutantes : écrivains, critiques et éditeurs. Ce n’est pas un accident si le tout se déroule près de Boston, une des villes les plus éduquées au monde. Ce n’est pas non plus un accident si une bonne fraction (du quart au tiers) des participants sont associés professionnellement, de près ou de loin, à l’industrie de la SF&F et si les panélistes doivent démontrer des publications à leur actif avant d’être mis au programme. Le niveau des discussions est très, très élevé, au point de friser l’hermétisme pour ceux qui n’ont pas un bagage bien établi de connaissances en la matière. La SF média n’y est abordée que lorsqu’on peut y trouver un angle politique ou littéraire digne d’intéresser les habitués du congrès. Et la salle de vente, nous l’avons déjà dit, ne comporte que des objets qui alignent des mots un après l’autre.
Readercon, pour moi, est un événement aspirationel où je me tais et apprends en espérant développer mes lacunes, ce qui est un type de spectateur assez différent du badaud ébahi à Polaris. Ceci étant ma troisième visite à Readercon, le congrès devient de plus en plus confortable. J’ai passé, cette année, moins de temps à courir les kaffeeklatsches et séances de signatures (bien que j’aie quand même réussi à faire signer une demi-douzaine de livres), et plus de temps à parler à des gens en dehors d’événements à l’horaire –et pas seulement d’affaires pour Anticipation 2009. Car, après tout, c’est un des seuls endroits au moins où l’on trouve une telle concentration de discussions sur les genres de l’imaginaire, comment ils sont conçus, rédigés, publiés et consommés. Des nouvelles théories y sont discutées. Des affaires s’y brassent. La programmation est toujours inventive, même si les panélistes ne sont pas toujours à la hauteur des concepts énoncés. Les costumes sont rares et se confondent avec un style personnel excentrique qui, en autant qu’on peut le constater, fait partie de l’image de telle ou telle personne.
Mais j’imagine bien un Polariste s’ennuyer sec à un événement comme Readercon. N’ayant pas la liste des participants aux deux événements, je ne peux pas jurer qu’il n’y avait que moi et le collectionneur Peter Halasz inscrits aux deux événements, mais ce ne serait pas surprenant. Si l’évidence économique des salles de vente est aussi divergente, Readercon et Polaris sont à peu près aussi éloignés qu’il est possible de l’être sur le spectre SF prose/média. Ce n’est pas que les Polaristes ne lisent pas, ou que les Readerconiens n’ont pas de DVD, mais que les événements choisissent de privilégier diverses formes de SF… ce qui peut s’avérer un bon choix lorsque l’on a un budget limité et que l’on sait être incapable de répondre aux désirs de tous.
Est-ce un scandale? Pas nécessairement. Si les lecteurs bien-pensants de Fractale Framboise en trouveront à redire sur le manque de lettres des fans de SF média, j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’un choc momentané vis-à-vis nos attentes : nous sommes habitués à consommer de la SF sous forme écrite, alors qu’il s’agit que d’une forme bien spécifique (et minoritaire!) du genre. Mais tout comme la SF&F écrite trouve moyen d’accommoder mythologues, ingénieurs, humoristes et militaires, autant la SF&F dans son ensemble s’adresse aux lecteurs, costumiers, artistes et ceux qui préfèrent regarder un écran. C’est une force du genre, pardi : profitons-en!
Reste à méditer sur une question que je n’ai toujours pas réussi à élucider : les fans de SF média et les fans de SF écrite sont-ils intéressés à la même chose? C’est une interrogation tout à fait légitime : Si le Readerconien s’intéresse à la nature des idées, le processus de publication, l’aspect artistique de la prose ou la place des genres dans la société, le Polariste est-il plus intéressé dans le spectacle audiovisuel? Est-il surtout séduit par le wish-fulfillment de s’imaginer être autre en portant un costume? La SF média est-elle une porte d’entrée plus accessible au genre, la consommation de SF audiovisuelle étant moins exigeante que la lecture? Questions, questions, questions…
Mais je ne me sens pas d’humeur à déclarer une forme de fandom comme étant préférable à une autre. Tout dépend des intérêts du fan, je suppose : Chose certaine, Polaris avait beaucoup d’énergie, pas autant de fans obèses que vous ne le croyez, une diversité ethnique et générationnelle de loin supérieure aux autres congrès SF auquel j’ai assisté, ainsi qu’un sens de plaisir contagieux. Malgré la grandeur de l’hôtel, il n’y avait pas moyen de s’ennuyer. J’ai vu des congrès biens moins plaisants, à commencer par Ad Astra.
Donc lorsque je blague que Polaris est un congrès auquel je n’ai plus à assister, c’est plus une reconnaissance qu’il s’agit d’un événement bien compétent, mais destiné à un autre auditoire, tout comme je ne tenterais même pas d’inciter un non-lecteur à venir faire un tour à Readercon. Le fandom est vaste et contient des multitudes de manifestations, suffisamment pour plaire à tout le monde, peu importe ses sous-affiliations sous la grande bannière du fandom SF.
Si jamais vous vous êtes demandés « Hmm, qu’est-ce que ça donnerait si Readercon et Polaris seraient sous le même toit? », restez à l’affut de mes reportages sur Denvention3, la Worldcon 2008. Le tout commence le 6 août, et mon but est de vous donner une idée de ce qui vous attend à Montréal l’an prochain…