Essai: Les incontournables de la SFQ
(Les billets suivant furent originalement publiés sur fractale-framboise.com en avril 2005 )
Ainsi vous voulez découvrir la Science-fiction canadienne-française en dix livres? Je relève votre défi. Au cours des deux prochaines semaines, je vais révéler, billet par billet, ce que je considère être les dix livres incontournables de la science-fiction d’ici. Cette liste, bien personelle, se veut une introduction à la SF canadienne-française et une piste d’enquête pour ceux qui aimeraient en savoir plus. À noter que ma liste s’intéresse très spécifiquement à la science-fiction: Les amateurs de fantasy et de fantastique devront composer leurs propres listes.
Une précision importante: Je ne prétenderais pas être objectif en ce qui concerne les auteurs et éditeurs des dix livres sélectionnés. Je les ai tous rencontrés. Ils me connaissent. Le milieu de la SF d’ici est suffisamment petit que ce genre de conflit d’intérêts est inévitable.
Ceux qui étaient à Boréal 2004 (ou qui possèdent une copie du fanzine Brins d’Éternité #4) connaissent déjà cinq des dix choix de ma liste.
La liste:
- Chroniques du pays des mères, Elisabeth Vonarburg
- La Taupe et le Dragon, Joël Champetier
- Escales sur Solaris, dir. Joël Champetier et Yves Meynard
- Chronoreg, Daniel Sernine
- Phaos, Alain Bergeron
- Anthologie de la science-fiction québécoise contemporaine, dir. Michel Lord
- L’enfant du cinquième nord, Pierre Billon
- Tesseracts Q, dir. Elisabeth Vonarburg et Jane Brierley
- Corps-machines et rêves d’anges, Alain Bergeron
- Coeur de fer, Joël Champetier
- Et après?
(Introduction à cette série)
À toute seigneuresse, tout honneur: Mon premier incontournable est Chroniques du pays des mères, de “la grande dame de la SFQ”, Élisabeth Vonarburg.
Il s’agit d’un incontournable à la fois parce que c’est une grande oeuvre de science-fiction, mais aussi parce qu’il s’agit d’une formidable introduction à une des meilleures écrivaines du Québec. Vonarburg connaît une renommée internationale (son premier roman fut publié en France, trois de ses livres furent publiés aux États-Unis par Bantam et elle fut une invitée d’honneur de la convention Wiscon en 2001, parmi tant d’autres distinctions) et les forces de ce roman démontrent aisément les raisons de son succès.
L’histoire, que je me voudrais de gâcher, se déroule dans une société matriarcale post-apocalyptique que l’on découvre morceau par morceau. SF sociologique, soit, mais aussi une science-fiction qui tiens pur et dur aux valeurs que sont la curiosité, l’intelligence et la raison. Même ceux qui penseraient êtres insensibles à la SF soi-disant féministe trouveront ici un livre plein de surprises, construit autour d’une héroïne sympathique et d’une intrigue bourrée de secrets.
On trouvera difficilement ailleurs dans la SFQ une oeuvre plus ambitieuse en matière de construction de monde et d’extrapolation sociale… à l’exception de la pentalogie Tyranaël, de la même auteure. Mais attention: Vonarburg écrit à un niveau littéraire supérieur, et ses livres sont mieux lus comme ils sont écrits: avec grande délibération. Ceux pour qui la SF veut dire guerre des étoiles et prose tâcheronne auront ici une mini-révélation.
Publié en trois éditions francophones (Québec/Amérique, 1992; Livre de Poche, 1996 et Alire, 1999) et deux éditions anglophones (In the Mothers’ Land, Bantam Spectra, 1992 et The Maerland Chronicles, Tesseracts, 1993), ce livre a tout rafflé sur son passage (Prix Boréal, Prix Aurora Award, GPSFFQ, etc.) Ce n’est rien de moins qu’un classique de la SFQ qui rivalise aisément d’intérêt avec les oeuvres de Ursula K. LeGuin et Sheri S. Tepper. À lire absolument.
(Introduction à cette série)
Mon deuxième incontournable s’impose en partie parce qu’il s’agit d’un des très rares livres de SF d’ici à aborder une histoire de Hard-SF sous l’optique du thriller. Qui plus est, c’est également un des meilleurs livres d’un auteur aux multiples talents. Il s’agit de La Taupe et le Dragon, de Joël Champetier.
Suspense d’espionnage futuriste se déroulant en grande partie sur une colonie nommée la Nouvelle-Chine, La Taupe et le Dragon est un pur roman d’aventure qui tire son inspiration à la fois de la hard-SF classique et des histoires à la James Bond. Champetier a l’audace de s’attaquer à la construction d’un monde ambitieux; une colonie d’ethnicité chinoise (avec toutes les contraintes socio-culturelles que cela implique) établie sur un monde à deux soleils (avec les complications que l’on imagine). Ici, un agent terrestre (Réjean Tanner) est chargé de retrouver et d’interroger une source bien placée dans le gouvernement néo-chinois. Mais si les choses tournent mal, Tanner a d’autres instructions…
C’est à la fois un roman sombre et divertissant: sombre, parce que Champetier est trop sagace pour ne livrer qu’une bête histoire d’espionnage: Il y a des complications, des choix difficiles et une finale mitigée. Mais ne croyez pas que La Taupe et le Dragon est un livre déprimant, parce qu’il laisse en fait un souvenir de satisfaction à lire une histoire écrite selon les règles de l’art. Celles du roman noir, d’abord, mais aussi celles de la science-fiction bien imaginée: les doubles soleils de la Nouvelle-Chine ne sont jamais trop loins des préoccupations des habitants de la colonie: cécité précoce, horaires particuliers et colorations habituelles ne sont que trois conséquences parmi tant d’autre. Le sentiment d’immersion dans une culture étrangère est aussi particulièrement réussi.
Les autres qualités littéraires du livre sont tout aussi satisfaisantes. L’écriture est d’une limpidité exemplaire, chose parfois rare dans la SF d’ici. Le protagoniste est bien typé, parfois confiant et parfois douteux de ses propres compétences. Le rythme du roman est à point: ne soyez pas surpris de lire ce livre en un après-midi.
D’abord publié en 1991 chez Québec/Amérique, La Taupe et Le Dragon fut révisé pour sa republication aux éditions Alire en 1999. Qui plus est, le roman a également fait ses preuves sur le marché international. La version révisée fut traduite par Jean-Louis Trudel (sous le titre The Dragon’s Eye) et publiée en version cartonnée en 1999 par Tor Books, suivie d’une édition en trade paperback un an plus tard. Mais peu importe la langue que vous choisirez pour aborder ce livre, votre plaisir de lecteur est garanti!
(Introduction à cette série)
Les romans, c’est bien beau, mais ignorer les nouvelles est une erreur lorsque l’on veut dresser un portrait des oeuvre incontournables de la SFQ. Plusieurs écrivains à découvrir n’ont jamais écrit autre chose que des nouvelles. Tôt ou tard, il faut dénicher une anthologie pour explorer ce qui s’est accompli sur les longueurs plus courtes.
Et peu d’anthologies sont aussi satisfaisantes qu’Escales sur Solaris (Vents d’Ouest, 1995), une collection de douze des meilleures nouvelles parues dans des pages de la revue Solaris entre 1988 et 1994. On y retrouve quelques-uns des classiques de la SFQ: “Le Huitième registre” d’Alain Bergeron. “Coeur de fer” de Joël Champetier. “Le Projet” de Harold Côté. Et tant d’autres…
Le tout agrémenté d’une “Présentation sous forme d’historique” et d’une illustration couverture intrigante de Pierrette Lambert. Qui plus est, c’est un beau livre, le genre de trade paperback que l’on peut mettre dans les mains de n’importe qui sans l’ombre d’un embarras.
Au-delà des histoires, il y a aussi moyen -par cette anthologie- de découvrir la revue Solaris, qui depuis 1974 continue d’être le phare central de la SFQ. Si vous aimez la science-fiction québécoise (ou canadienne française, ou francophone), vous devez vous abonner à la revue. (Conflit d’intérêt; je collabore à la revue.) Tout au moins jetez un coup d’oeil sur cette collection, et vous y verrez une douzaine d’histoire qui n’ont rien à envier à ce qui a été écrit ailleurs.
(Introduction à cette série)
J’avoue que mon quatrième choix ne me plaît pas autant que certains des neuf autres. Mais qu’est-ce que sont quelques objections quand on considère que c’est le premier titre qui me vient à l’esprit lorsqu’on insiste sur tous les mots de l’expression “Science-fiction québécoise”?
Chronoreg, de Daniel Sernine, reste à ce jour le roman d’anticipation à surpasser lorsque l’on discute d’un Québec futur. Ici, le Québec (indépendant, bien sûr) est en guerre contre Terre-Neuve et le reste du Canada pour le contrôle des ressources hydro-électriques du Labrador. Dans ce décor évolue Denis Blackburn, agent secret, chargé d’une mission périlleuse. Jeux-vidéos mortels, bases sous-marines et drogues permettant de remonter dans le temps ne sont que trois des éléments du monde dans lequel il évolue.
C’est de la science-fiction et du thriller d’espionnage, mais on est loin du charme hard-SF classique de La Taupe et le Dragon: Chronoreg est beaucoup plus sombre. Ce roman reste surtout une vision complète d’un futur alors possible (paru en 1992 chez Québec/Amérique avant d’être réédité en 1999 chez Alire, Chronoreg était d’abord situé en… 2005.). Il y a eu beaucoup de romans de SF publié au Québec, mais celui-ci est un des rares à s’intéresser au sort de la province dans un futur relativement proche.
Qui plus est, c’est un livre d’une accessibilité exemplaire: Le thème et l’intrigue ont beau être downbeat, il est impossible d’arrêter de lire une fois bien ancré dans la narration: Sernine se surpasse et le résultat est un livre qui se lit comme un regarde un film. Si j’ai quelques objections en ce qui concerne la plausibilité techno/politique de l’arrière-plan et si je suis naturellement réticent à m’enthousiasmer pour des livres déprimants, je n’ai tout de même aucune réticence à désigner Chronoreg comme un des incontournables de la SFQ.
(Introduction à cette série)
La plupart de mes choix datent des années 1990s pour deux bonnes raisons: Premièrement, il s’agissait de la première décennie où des oeuvres marquantes ont parues en format livre plutôt que dans des revues. Deuxièmement, cela prends du temps avant que lecteur et critiques s’entendent pour désigner telle ou telle oeuvre comme étant incontournable.
Mais nul distance n’a été nécessaire pour acclamer Phaos d’Alain Bergeron (Alire, 2003), comme une oeuvre marquante dès sa publication. Il ne s’agissait pas autant d’un succès soudain que de la concrétisation de plusieurs années d’attentes. Bergeron a la réputation d’être un des écrivains les plus intelligent du milieu de la SFQ pour une bonne raison: des douzaines d’excellentes nouvelles (dont “L’homme qui fouillait la lumière”, noyau à partir duquel s’est formé Phaos) avait laissé présager tout un premier roman pour adultes.
Après des années d’attentes, le roman est finalement paru en 2003, un peu à la surprise générale. Histoire post-cyberpunk de trahison corporative et d’informatique de pointe (entre plusieurs autres sujets d’intérêt), Phaos est une oeuvre d’un souffle rarement vu en science-fiction d’ici. Bergeron utilise des trouvailles techno-scientifiques avec une aisance déconcertante: les amateurs de hard-SF trouveront ici une histoire digne d’être comparé à Sterling, Egan et compagnie.
Ce n’est pas un livres sans fautes (la deuxième moitié est de moins en moins intéressante; il y a quelques erreurs de science; on peut longtemps discuter de certains choix au niveau de l’intrigue) mais il est impossible de ne pas être profondément impressionné par l’ouvrage. Avec Phaos, la SFQ prouve qu’elle est capable de rivaliser avec ce qui se fait ailleurs dans une veine techno-scientifique qu’il n’est pas donné à tous d’essayer.
Ce magnifique roman a tout remporté sur son passage: Prix Boréal, Aurora et Grand Prix de la Science-Fiction et du Fantastique Québécois. Un triplé impressionnant, mais pas aussi impressionnant que le livre ainsi récompensé. Phaos est non seulement un incontournable, mais un incontournable instantané.
(Introduction à cette série)
La deuxième anthologie de ma sélection ne couvre pas tout à fait le même créneau qu’Escales sur Solaris. Certains des auteurs sont les mêmes, mais pas les histoires; certainement, le livre s’intéresse à une période antérieure, allant (à peu près) de 1976 à 1986.
Mais le principal mérite de l’Anthologie de la science-fiction québécoise contemporaine (dir, Michel Lord), c’est d’être à peu près la seule anthologie à valeur pédagogique. Mon cours en SF&F à l’université d’Ottawa s’en servait comme ressource pédagogique. Je n’insinuerai pas que la reconnaissance académique est la seule mesure du succès de la SF d’ici, mais quand ça passe…
De façon peut-être plus incontournable, cette Anthologie réunit sous une même couverture souple plusieurs des auteurs de la première génération des écrivains de la SF d’ici, y compris (surtout) ceux qui ont depuis disparu du marché, et pas seulement des membres de l’étable Solaris. On y retrouve également, parmi d’autres surprises, une authentique nouvelle de SF d’Yves Thériault. (Si, si)
Question qualité littéraire, il y a des hauts et des bas, mais surtout une bonne représentation de l’oeuvre de certains auteurs. Ce livre a cependant le mérite de republier une de mes histoires de SF favorites (toutes langues, toutes ères confondues), soit “La Voix des étoiles” d’Alain Bergeron. Si ce n’était que de ce texte, le livre mériterait d’être lu. Joint à 19 autres textes d’une certaine importance historique dans un livre relativement peu dispendieux, hé bien, cela fait de l’Anthologie rien de moins qu’un incontournable. J’aimerais bien vous suggérer une ressource pédagogique plus récente, mais…
(Introduction à cette série)
Alors qu’avance notre liste d’incontournables, les sélections deviennent de plus en plus audacieuses. À certains égards, L’enfant du cinquième nord est un choix étrange. Pierre Billon a toujours maintenu que son roman, paru en 1982, n’était pas de la science-fiction. Au moment même que l’on décernait le prix Boréal à son roman, il a pris soin de se distancer du milieu de la SF.
Et pourtant, L’enfant du cinquième nord est notre incontournable qui, parions-le, a connu le plus grand succès. Publié par la maison d’édition générale Québec/Amérique, repris chez Quebec-Livres (tel qu’illustré), ce roman a réussi à briser les barrières qui séparent habituellement la SF de la littérature populaire. Si vous cherchez un roman de SFQ à mettre entre les mains des réfractaires au genre, c’est bien lui.
Mais que l’on ne s’y trompe pas, il s’agit bel et bien de SF. Un patient cancéreux en rémission contre toute attente, mais auprès duquel les appareils électroniques se dérèglent; des phénomènes qui échappent aux appareils de mesure; une sombre machination impliquant des fonctionnaires de haut niveau… Pas de doute, on nage ici en pleine littérature d’anticipation.
J’avoue avoir un certain attachement sentimental à ce livre: c’est un des rares romans à se dérouler à Ottawa et à faire des fonctionnaire ses héros. D’une lisibilité exemplaire et d’un rythme assez prenant, L’enfant du cinquième nord est avant tout une réussite de littérature populaire qui a comme caractéristique d’être de la SF. Vingt-cinq ans plus tard, Billon reste peut-être le Michael Crichton de la SFQ (“Non, je n’écris pas de littérature de genre, pouah!”) mais son oeuvre la plus connue parle pour elle-même et demeure, même aujourd’hui, un excellent livre.
(Introduction à cette série)
“What!?“, vous entends-je dire, “Qu’est-ce que d’un livre anglophone vient faire dans cette liste d’incontournables de la SFQ?” Hé oui. Tesseracts Q, dir Élisabeth Vonarburg and Jane Brierley (Tesseracts, 1996) Un livre en anglais. Incontournable. Qu’est-ce qui s’est bien passé pour en arriver là?
Il faut savoir que Tesseracts, de un, est une série d’anthologies de SF canadienne-anglaise qui a toujours fait (en traduction) une place aux écrivain(e)s francophones. De deux, la maison d’édition Tesseracts était la seule avec l’intérêt et les moyens de solliciter une anthologie “best of” de la SFQ. Avec Tesseracts Q, de trois, les éditrices ont consciemment cherché à présenter un véritable tour d’horizon de la SF d’ici.
Le résultat est sans doute l’anthologie la plus représentative de la SFQ publié à ce jour, peu importe la langue. Vingt-deux histoires s’étalant de 1980 à 1994, traduites en anglais pour conquérir le marché cible des anthologies Tesseracts. Plusieurs classiques dans le lot, et une représentation à peu près complète des auteurs les plus marquants des deux premières décennies de la SFQ. La période couverte est similaire à celle d’Escales sur Solaris, mais Tesseracts Q couvre plus que la production d’une seule revue et réussit ainsi à présenter un aperçu beaucoup plus complet du panorama de la SFQ.
Il y a certainement plusieurs aspects moins plaisants à discuter lorsqu’on aborde ce livre; la mise en page surchargée, faite à la maison; l’impression sub-standard sur ce qui semble être une imprimante laser régulière; le côté de plus en plus daté de la sélection; l’idée même que l’anthologie la plus complète de la SFQ ne soit disponible qu’en anglais.
Mais peu importe: le résultat reste incontournable. Un excellent survol du sujet. Un livre fin prêt à être mis entre les mains de ceux qui dévorent la SF en paperbacks anglais. Si quelqu’un veux faire mieux, hé bien, qu’il(s) ou elle(s) commencent à y travailler.
(Introduction à cette série)
Bien peu d’auteurs figurent à plus d’une reprise dans cette liste d’incontournables. Mais Alain Bergeron est un cas à part: tout ce qu’il écrit mérite d’être lu, et la preuve la plus éclatante de cette affirmation se trouve sans doute dans le recueil Corps-machines et rêves d’anges. (Vents d’Ouest, 1997)
Treize récits, oscillant entre la hard-SF et la fantasy floue, couvrant une période allant de 1979 à 1995. J’ai déjà mentionné quelques-unes des histoires qui y paraissent: “L’homme qui fouillait la lumière”, “Le huitième registre”, “La Voix des étoiles”. Mais il y a plus, beaucoup plus. Des nouvelles qui amusent, qui dépriment, qui enchantent et qui, peut-être plus que tout, se comparent parfaitement bien avec tout ce qui se fait ailleurs.
La publication de ce recueil a été un événement: non seulement à cause de la qualité des nouvelles (ce livre allait récolter le Boréal, l’Aurora et le GPSFFQ), mais aussi dû à la présentation de l’ouvrage. Tout comme Escales sur Solaris, du même éditeur, Corps-machines et rêves d’anges est présenté en grand format, dignement réalisé et présentant l’allure d’un véritable ouvrage à conserver.
Bergeron est une présence sporadique en SFQ: ses silences peuvent s’étendre pendant des années alors qu’il travaille sur autre chose. Mais quand le résultat est un roman comme Phaos ou un recueil d’un tel calibre, l’attente en vaut toujours la peine.
(Introduction à cette série)
Mon dixième incontournable est le livre le plus court, mais peut-être aussi le plus amusant de tous. “Amusant” est un mot que l’on utilise rarement en SFQ, mais dans le cas de Joël Champetier, tout est permis. Mieux connu pour La Peau blanche, Champetier a pourtant connu un début de carrière à la Larry Niven, combinant hard-SF et SF humoristique dans une œuvre augurant bien pour ce jeune écrivain.
Le recueil Cœur de fer (Orion, France) date de 1997, mais il présente cinq nouvelles datant de 1988 à 1994. Deux nouvelles humoristique, trois de hard-SF complètement pure: un délice pour les amateurs de SF plus classique.
Imaginez, donc: une plongée au cœur de la Terre; une visite dans un magasin extraterrestre; les tribulations d’un éboueur spatial; un mystère martien; un dilemme génétique. Avec ce recueil, Champetier ne montre pas seulement sa familiarité avec le corpus SF de l’âge d’or, mais aussi son aisance déconcertante à écrire de histoires que l’on ne peut s’empêcher de lire.
Bien écrit mais surtout clairement écrit, Cœur de fer fait penser aux recueils qui ont fait les bonnes années de la SF américaine à l’époque des paperback originals. Si vous voulez établir un lien entre la lecture aisée et la popularité des œuvres de Champetier, voire de son succès au grand écran, allez-y —je ne vous retiendrais pas.
Ce qui est dommage avec Coeur de fer, c’est qu’il s’agit du seul recueil de Champetier et, même conceptuellement, d’un trop petit livre: L’auteur a une bibliographie de plus de vingt-cinq nouvelles et il faut, faiblement, se contenter de cette collection-ci. Il serait simple d’écraser cet incontournable par un autre recueil encore plus irremplaçable. Peut-être un jour…
(Introduction à cette série)
Et c’est ainsi que s’achève cette série sur les incontournables de la SFQ. Pour ceux qui auraient manqué un ou plusieurs des choix, voici la liste complète:
- Chroniques du pays des mères, Elisabeth Vonarburg
- La Taupe et le Dragon, Joël Champetier
- Escales sur Solaris, dir. Joël Champetier et Yves Meynard
- Chronoreg, Daniel Sernine
- Phaos, Alain Bergeron
- Anthologie de la science-fiction québécoise contemporaine, dir. Michel Lord
- L’enfant du cinquième nord, Pierre Billon
- Tesseracts Q, dir. Elisabeth Vonarburg et Jane Brierley
- Corps-machines et rêves d’anges, Alain Bergeron
- Coeur de fer, Joël Champetier
Ne reste qu’à livrer quelques conclusions et prévisions, et à demander votre avis.
La première conclusion, c’est qu’en fait de liste d’incontournables, ça demeure encore une liste jeune et malléable: L’oeuvre la plus ancienne n’a même pas vingt-cinq ans, et regardant les noms qui se répètent, il y a clairement de la place pour des oeuvres d’autres auteurs, ou bien des romans (futurs) plus ambitieux des auteurs mentionnés. La présence de trois anthologies représentatives, dont une en langue anglaise, est un signe assez clair qu’il y a un créneau à remplir pour quiconque voudrait rassembler une nouvelle anthologie véritablement incontournable.
D’ici cinq ans, j’espère être en mesure de reviser la liste et de changer au moins la moitié des titres. Après une certaine consolidation (voyez la republication de plusieurs incontournables par les éditions Alire entre 1999 et 2001), il serait temps d’avancer et de voir de nouvelles oeuvres substantielles. Parmi les auteurs établis, il semble curieux de ne pas inclure ici des oeuvres de Francine Pelletier, Yves Meynard et Jean-Louis Trudel, mais aucun de leurs romans pour adultes ne me semble encore incontournables. Parmis les auteurs de la relève, j’ose espérer que Michèle Laframboise, Mehdi Bouhalassa et Mario Tessier passeront au roman adulte d’ici 2010, à défaut de voir leurs noms dans une anthologie incontournable.
Il va sans dire que cette liste reste centrée sur la science-fiction assez pure: Une liste englobant la fantaisie et le fantastique permetterait de recommander des oeuvres telles Ludovic (Sernine) et Sur le seuil (Senécal); J’ai beau prêcher pour ma paroisse SFictionelle, le milieu des genres de l’imaginaire est trop petit pour en ignorer une bonne partie.
Finalement, c’est à votre tour de faire des suggestions: Quels titres méritent d’être mentionnés dans cette foulée d’incontournables? Quels sont vos espoirs pour 2010?