Meta: Interrogatoire de fin d’année
La pièce est grande et vide, une seule chaise occupant le centre de l’espace. La seule source de lumière est une petite ampoule suspendue au-dessus de la chaise. La porte s’ouvre, révélant deux solides gaillards traînant UN BLOGGUEUR INFRÉQUENT à la tête recouverte d’un sac de toile. Ils l’amènent au centre de la pièce, attachent solidement son torse, ses mains et ses pieds à la chaise, puis repartent sans retirer le sac de toile.
Bloggueur: Hello? On m’avait promis une vente de livres usagés!
Soudainement, d’un coin obscur de la pièce, UNE INTERROGATRICE D’EXPÉRIENCE fait son apparition dans le cône de lumière.
Interrogatrice: Non, ce n’est pas une vente de livres usagés.
Elle retire le sac de toile.
Bloggueur: Ça ne semble pas être une salle de cinéma non plus.
Interrogatrice: Non, c’est un interrogatoire!
Bloggueur: Mais pourquoi?
Elle met des lunettes et examine une liste.
Interrogatrice: Nos sources nous indiquent que vous avez écrit sur votre blogue à peine plus d’une douzaine de fois depuis six mois.
Bloggueur: J’étais occupé.
Interrogatrice: ET VOS LECTEURS, EUX? Selon nos sources, vous avez voyagé à Calgary pour la World Fantasy Convention, lu des douzaines de livres, rédigé un roman, joué à Grand Theft Auto IV, envoyé vos cartes de Noël-
Bloggueur: -j’ai également pelleté mon entrée de cours, subi la grève d’OCTranspo, fait mon épicerie, bossé mes heures de travail régulières et réparé ma toilette, mais pas bloggué sur ces sujets pour autant. J’étais occupé. Et je présume ne pas m’être fait enlevé pour aucune de ces choses.
Interrogatrice: Ah, mais c’est là que vous vous trompez. Vous souvenez vous d’avoir parlé à un de vos lecteurs la fin de semaine dernière, et avoir plaisanté que la seule façon d’avoir le temps le blogguer, c’est si on vous kidnappait et qu’on vous demanderait vos critiques à la pointe d’un revolver?
Bloggueur: Euh…
Elle dégaine un Desert Eagle chromé et le pointe en sa direction.
Interrogatrice: Ce n’est pas aussi drôle maintenant que ça vous arrive, n’est-ce pas?
Bloggueur: Décidément, il est temps que l’administration Bush cesse ses programmes d’écoute électronique. Pouvez-vous pointer ça dans une autre direction?
Interrogatrice: Ce n’est pas comme si j’en aurai besoin. Un bloggueur opine, c’est dans sa nature. Il serait plus difficile de le faire taire.
Bloggueur: Mais j’ai comme un manque d’inspiration…
Interrogatrice: Ce n’est pas un problème, vos lecteurs m’ont fourni une liste de questions. Commençons par une facile: Quels sont les meilleurs films de l’année jusqu’ici?
Bloggueur: C’est impossible à répondre à cette question! Tout n’est pas encore sorti à Ottawa, et avec la grève, je n’ai pas eu le temps de tout voir-
Interrogatrice: Imaginez qu’on vous force à répondre en vous mettant un automatique à côté de la tempe.
Bloggueur: Bon, Ok, à ce moment-ci, j’aurais de la difficulté à déloger The Dark Knight Returns, Wall-E et Cloverfield de ma liste. Les trois films ont des problèmes, mais c’est du solide.
Interrogatrice: Pas d’Iron Man?
Bloggueur: Un peu surévalué, mais pas trop loin derrière, en bonne compagnie de Body Of Lies et The Bank Job. Généralement parlant, ça a été une année de compétence, pas de succès stellaires.
Interrogatrice: Qu’est-ce qui a vraiment échoué?
Bloggueur: Faudrait commencer par The Happening, mais ça c’était une faillite tellement évidente qu’elle était divertissante. Sinon c’est tout droit aux mauvais polars: entre des nullités telles Bangkok Dangerous et Deception, il y avait de quoi se punir en salles cette année.
Interrogatrice: Est-ce que vous avez quelque chose à dire sur Grand Theft Auto IV?
Bloggueur: C’est un jeu remarquable, et sans doute un des meilleurs environnements virtuels disponible sur le marché. Mais faites-vous une faveur: ne l’achetez pas tout de suite. Votre ordinateur n’est pas assez puissant pour mener le jeu, le logiciel est encore plein de problèmes techniques et le cirque des protections anti-pirateries est tellement encombrant qu’il est insupportable aux acheteurs du jeu et donne raison aux pirates.
Interrogatrice: On me chuchote qu’il vous reste une pile de jeux à jouer?
Bloggueur: Plus de jeux que de temps, hélas: Entre Crysis: Warhead, Left 4 Dead, Far Cry 2 et des jeux plus vieux tells Prey et Neverwinter Nights 2, il y aurait moyen de sombrer pour toujours dans les limbes du divertissement. C’est triste à plus d’un égard, parce qu’il y a un an que je veux écrire au sujet du renouveau de la science-fiction dans les jeux vidéos entre Crysis, Portal, Bioshock, Dead Space, Mass Effect et la série Half-Life 2… la prochaine fois, peut-être.
Interrogatrice: Vos lecteurs me demandent de vous torturer pour connaître vos livres favoris de l’année.
Bloggueur: Généralement parlant, ça oscille entre trois livres de non-fiction parus avant 2008: The World Without Us d’Alan Wiseman, Friday Night Lights de H.R. Bissinger ou The Omnivore’s Dilemma de Michael Pollan. Pour les cinéphiles ottaviens, il y a A Theater Near You d’Alain Miguelez pour en apprendre sur l’histoire des cinémas à Ottawa. En science-fiction, il est difficile de contourner Little Brother de Cory Doctorow, mais je n’ai pas été particulièrement impressionné par la SF adulte cette année. Peut-être Neuropath de Scott Bakker, Implied Spaces de Walter Jon Williams, ou bien Saturn’s Children de Charles Stross. Parlant de Stross, sa série des Merchant Princes est tout à fait réussie jusqu’ici, mais je ne peux en conseiller la lecture avant que ne paraissent les deux derniers tomes.
Interrogatrice: Et ailleurs qu’en SF?
Bloggueur: Je me suis concentre sur des auteurs plus que des œuvres. J’ai fini de tout lire Michael Connelly cette année, et c’est sans aucun doute un des meilleurs auteurs de polar procéduraux du moment. Dans une veine plus humoristique, il est difficile de battre les comédies criminelles floridiennes de Carl Hiaasen. Et en matière de thrillers bien menés, personne n’arrive à la cheville de la série Reacher de Lee Child. Mais pour des techno-thrillers complètement débridés, je vous recommande Matthew Reilly, dont les livres seraient trop excessifs pour Jerry Bruckheimer.
Interrogatrice: Nos agents ont infiltré vos fichiers, et ont constaté que vous avez lu pas moins d’une vingtaine de romans d’horreur cette année. Des conclusions?
Bloggueur: Après des années moribondes, il y a une nouvelle génération d’écrivains qui commence à s’établir. Ils sont dans leur trente-quarantaine, ils ont grandis à lire du Stephen King et écouter des films sur VHS, et la respectabilité littéraire ne les intéresse pas autant que les chocs horrifiques. Brian Keene, David Wellington et Scott Sigler me semblent être trois des meneurs, et ce n’est pas un accident s’ils se sont établis via l’Internet avant d’obtenir des contrats de publication plus traditionnels. Dans une veine plus littéraire, Joe Hill a fait sensation avec Heart Shaped Box, et c’est un succès bien mérité. Je pense que l’horreur est présentement en plein essor, et que ce sera une catégorie à surveiller pour les prochaines années.
Interrogatrice: Des découvertes à nous faire partager en bande dessinée?
Bloggueur: A People’s History of American Empire de Howard Zinn: un manuel d’histoire gauchiste sous forme de BD, à la fois pernicieux et essentiel. Les collections de la série Boondocks. Les deux tomes de la reprise de la série The Spirit par Darwyn Cook. La série Flight est époustouflante. Et si vous n’avez pas lu Watchmen, de grâce, il est temps!
Interrogatrice: Est-ce qu’il y a eu des déceptions littéraires cette année?
Bloggueur: Quelques-unes. Je suis resté muet à propos de la plupart d’entre elles, mais Zoe’s Tale de John Scalzi a montré que l’homme n’était pas infaillible; réchauffer la même histoire que The Last Colony sous un angle pas-si-différent, ça ne valait peut-être pas le prix du livre. Snuff de Chuck Palahniuk a également été assez mineur, un recul après Rant. J’ai été incapable de m’intéresser à Incandescence de Greg Egan.
Interrogatrice : Qu’avez-vous pensé de la World Fantasy Convention de Calgary?
Bloggueur : Moins grandiose que celle de Saratoga l’an dernier et généralement décevante au niveau de la programmation, mais une WFC à la hauteur de sa propre réputation. N’importe quel congrès avec une table-ronde sur comment tuer des personnages dans une série, en compagnie de Tad Williams, George R.R. Martin et Steven Erikson, a quand même quelque chose de bien. J’aime bien Calgary, le congrès était bourré de professionnels, j’ai revue quelques bonnes connaissances, et j’ai eu un sac de livres gratuits. Ce qui était étrange, cependant, c’était le contraste entre un congrès sérieux de fantasy et un centre-ville bourré de gens célébrant l’Halloween; il y avait plus de costumes à l’extérieur de l’hôtel qu’au congrès!
Interrogatrice: Hmmm… Ça semble être tout pour les questions qui m’ont été fournies par mon client.
Bloggueur: Bon, vous allez me laisser partir, alors?
Interrogatrice: Pas si vite. Quelqu’un sera ici dans un moment pour vous convaincre d’ajouter un fil RSS au site Solaris…
(Rideau)