A l’affiche 2013: Le cinéma SF au XXIe siècle
Bienheureux soient les retraités du secteur public et parapublic québécois : non seulement sont-ils à la retraite (tout de même!), mais ils peuvent profiter de la température hivernale pour rester blottis chez eux et lire la plus récente édition de Reflets, un journal trimestriel de l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (imprimé à 30 000 exemplaires!) qui contient — entre autres — un dossier portant sur la science-fiction.
Bien mené par le rédacteur en chef Yves Hébert (qui mentionne aussi Solaris et Brins d’éternité un peu plus loin dans la revue), ce volet SF comprend :
- « La science-fiction, une autre façon de se questionner », un mot bien senti d’Élisabeth Vonarburg sur la raison d’être de la science-fiction
- « Isaac Asimov : imaginaire et raison, même combat », survol de Jean-François Chassay au sujet de la carrière de l’écrivain américain bien connu
- « De la force centripète à l’attraction centrifuge : la science-fiction québécoise », article bien documenté de Claude Janelle sur la place de la SFQ depuis une dizaine d’années
- Une courte, mais éclairante « Entrevue avec un adepte de science-fiction, Joël Champetier » par Yves Hébert
- …. et « Miroir déformant? La science-fiction au cinéma », un billet de ma plume sur les thèmes abordés par les films SF depuis quelques années
Ceci dit, l’article que vous aurez le plaisir de lire dans Reflets n’était pas le premier texte que j’ai écrit pour ce dossier SF. Ma première version était plus généraliste et moins intéressante; à la demande fort justifiée du rédacteur en chef, j’ai recommencé à neuf et creusé un peu plus dans les thèmes inexplorés par cette première mouture. Mais alors que je fais le ménage dans mes archives, et que je me plains de ne pas avoir suffisamment écrit pour Fractale framboise cette année, voici cette première version… de quoi vous donner envie d’aller chercher un exemplaire deReflets.
(Pour ceux qui se posent la question : non, le journal ne semble pas être disponible en ligne, et il faut probablement être membre de l’AQRP pour être abonné. Demandez-le à vos parents. Cependant, je vois que les plus récents dossiers du journal ont été mis en ligne, alors il est possible que ce dossier daté décembre 2013 y soit aussi placé d’ici peu. Je ferai une mise à jour de ce billet si c’est le cas. Bonne nouvelle! Le dossier science-fiction est présentement disponible comme téléchargement PDF de 3.4 Mo.)
Le cinéma SF au XXIe siècle
Depuis Méliès, le cinéma de science-fiction (SF) a toujours été synonyme d’effets spéciaux et d’images mémorables, et cette association demeure intacte aujourd’hui. Comme expérience visuelle, toujours difficile de faire mieux que l’immersion en planète extraterrestre dans Avatar (2009), les poursuites frénétiques de Total Recall (2012) ou bien la complexité visuelle invraisemblable des scènes d’action du récent Star Trek: Into Darkness (2013). Budgets faramineux et imaginaire SF vont souvent de pair à Hollywood, tout comme les résultats financiers : des dix films les plus populaires au box-office de 2012, pas moins de neuf relevaient de SF ou de fantasy.
Car au vingt et unième siècle, tout le monde est amateur de science-fiction : le genre n’est plus marginalisé comme dans les années 1950 ni même considéré comme un extrême du goût populaire comme dans les années 1980. Quand un film de superhéros-contre-extraterrestres comme The Avengers trône au sommet du box-office nord-américain avec 660 millions $ de recettes (soit approximativement 76 millions de billets vendus), force est d’avouer que le cinéma SF n’est plus un phénomène culte.
Heureusement, cette visibilité populaire est accompagnée d’une capacité à combiner des sujets de réflexion pointue à des spectacles d’un divertissement assuré. Après une histoire d’amour d’une décennie avec la fantasy épique suivant le succès-monstre de la trilogie The Lord of the Rings, le cinéma hollywoodien est progressivement revenu à la science-fiction vers 2009, alors qu’un trio de films est venu (ré)affirmer la SF comme un genre sans limites, capable d’examiner des questions familières avec un regard neuf. District 9 de Neill Blomkamp s’intéresse à des extraterrestres échoués en plein Johannesburg pour examiner des thèmes d’isolation et de racisme : le héros est un fonctionnaire qui se voit littéralement aliéné et forcé de confronter des oppresseurs familiers. Moon de Sam Jones se sert de clones et d’intelligences artificielles pour méditer sur les notions d’individualité et de choix personnel. Pendant ce temps, Avatar de James Cameron profite d’immersion 3D pour livrer une fable traitant d’environnementalisme et d’exploitation culturelle. Dans les trois cas, les films sont des créations de cinéastes ayant consciemment choisi de travailler avec les outils de la SF. Si Cameron est un vétéran, Blomkamp et Jones sont relativement jeunes et, ayant été formé par les films de SF des années 1970-80 (dont ceux de Cameron), comprennent naturellement à quoi peu servir le genre.
Les années suivantes confirment la tendance. En 2010, Inception manie philosophie, onirisme et séquences d’action novatrices pour décrire les tribulations d’un homme aux regrets sentimentaux profonds. En 2011, Source Code propose un gadget permettant de revivre sept minutes en boucle dans un thriller où un héros malgré lui lutte contre la montre et parvient aussi à apprécier la richesse de la vie des gens qui l’entourent.
Même les plus vieux clichés du sous-genre sont rehaussés par ces nouvelles approches. Les années 2010-2011 ont vu une minivague de films d’invasion extraterrestre, et si la plupart sont déjà retombées dans l’oubli, certains se démarquent toujours : Super 8 profite des prémices pour rendre hommage aux films que tournait Steven Spielberg dans les années 1980, alors qu’Attack the Block transpose l’invasion dans les bas-fonds pauvres de Londres pour donner un film aussi divertissant que socialement provoquant. De son côté, le film britannique à microbudget Monsters présente l’invasion extraterrestre comme une infection, soulignant avec une déprime apocalyptique bien contemporaine la futilité de penser « gagner » dans un tel scénario.
Monsters fait aussi double emploi en montrant comment des effets spéciaux auparavant impensables sont maintenant à la portée de quiconque est équipé d’un ordinateur personnel et d’un peu de patience. L’effet des techniques de production numérique n’est pas seulement de multiplier le nombre de films de SF à l’affiche, mais de permettre une diversité d’approches alors que de plus en plus de cinéastes ont les moyens de présenter leur vision artistique sous forme de film. Il n’y a qu’à regarder Beast of the Southern Wild pour entrevoir l’avenir des Louisianais défavorisés, ou bien Mr. Nobody qui propose une vision rafraîchissante du destin dans un univers de possibilités quantiques.
Ceci dit, n’insistons pas trop sur les effets spéciaux, étant donné que le cinéma SF peut parfois très bien s’en passer : malgré une cinématographie haute en couleur, Limitless n’a pas besoin d’infographie pour décrire la vie de son protagoniste après avoir ingéré des médicaments décuplant son intelligence, alors que la comédie Robot & Frank se contente d’un simple costume de robot pour décrire avec affection l’histoire d’un voleur âgé, de son robot personnel et les avantages d’une mémoire défaillante… comparée à un cerveau électronique qui n’oublie rien.
Si ce survol kaléidoscopique (et pourtant bien incomplet) de la science-fiction cinématographique du vingt et unième siècle laisse à bout de souffle, c’est qu’il s’agit d’une réflexion éloquente de la portée de la SF à une époque science-fictionesque à plus d’un égard. La SF cinématographique d‘aujourd’hui est plus riche en signification, plus habile avec ses outils, plus accessible et plus diversifiée que jamais. N’hésitez pas : il y en a pour tous les goûts.