Meta: Le Français pour l’avenir – Destination (science-)fiction
Il n’y a pas à dire, la vie est bizarre: Lors de la fondation de Fractale Framboise, j’étais loin de me douter que le blog allait me permettre de retourner à mon alma mater pour corrompre des douzaines de jeunes esprits impressionnables à coup d’histoires de pieuvres parlantes dans l’espace. Et d’obtenir un lunch gratuit pour ma peine.
Laissez-moi vous expliquer.
C’est au début d’avril qu’un courriel intrigant est arrivé dans ma boîte aux lettres @fractale-famboise.com: L’organisatrice d’un événement intitulé “Le Français pour l’avenir – French for the Future” (un événement tenu simultanément le 25 avril 2006 dans 19 villes) était à la recherche d’animateurs pour des ateliers destinés à des étudiants anglophones du secondaire ontarien. L’organisatrice, ayant repéré ce blog, s’était dit que j’étais une personne idéale pour animer un atelier intitulé “Destination: Fiction”, atelier durant lequel de jeunes anglophones francophiles pourraient profiter des vertus de la fiction pour communiquer dans la langue de Molière.
Les paramètres étaient simples: Il y aurait deux ateliers d’une heure, et un maximum de vingt participants à chaque atelier. Il me reviendrait, en tant qu’animateur, de m’introduire, d’expliquer les bienfaits de la francophonie dans ma vie, d’expliquer l’atelier, de diviser les participants en groupes de discussion, de gérer les discussions de groupes et la présentation des conclusions. Puis, ce serait à moi de conclure l’atelier.
On avait déjà trouvé le thème de l’atelier pour moi: “Destination: fiction” Les participants seraient encouragés à imaginer un voyage en terre imaginaire, à noter les caractéristiques de l’endroit visité, et décrire le forfait de voyage qu’ils offriraient à d’autres.
Le tout se déroulant pas très loin de mon lieu de travail, je me suis dit qu’il serait intéressant (et pas trop coûteux) de tenter l’expérience. Et puis, comment passer la chance de claironner les vertus de la SF comme outil d’extrapolation à une jeune audience malléable? C’est comment je me suis retrouvé, huit ans après ma graduation, de retour sur le campus de l’Université d’Ottawa pour donner un atelier peut-être mieux intitulé “Destination: futur”
Car, avec l’assentiment de l’organisatrice, j’avais modifié le thème et le fonctionnement de l’atelier. Un changement tout simple: Puisque “Le français pour l’avenir” édition 2006 allait porter sur la francophonie et l’identité canadienne, pourquoi ne pas donner aux étudiants l’occasion de se projeter cinquante ans dans l’avenir? En trente minutes, ils auraient comme défi de nous présenter un forfait voyage imaginaire dans un 2056 bien différent. Quoi de mieux qu’un peu d’anticipation pour dévoiler les préoccupations d’aujoud’hui? Enrobez l’idée d’un peu de contenu SF (pieuvres parlantes dans l’espace! pour reprendre l’expression de Margaret Atwood), et le tour est joué:
2056. Vous aurez (tout juste) l’âge de la retraite! Heureusement que, grâce à votre machine dans le temps, vous pouvez tout visiter dès maintenant. À quoi ressemblera le futur? Que voulez-vous visiter? Quelles précautions spéciales vous seront nécessaires? Quels comportements d’aujourd’hui sont à éviter? Puisque votre argent n’aura plus cours valide, comment payer pour votre voyage? Que seront devenus le Canada et les Canadiens en 2056?
Pour simplifier la vie des participants, je leur ai fourni quelques pistes de réponses:
Quelques tendances qui risquent d’affecter le Canada durant les 50 prochaines années:
- Évolution démographique
- Changements climatiques
- La fin de l’ère du pétrole
- L’accélération du progrès technologique
- La redéfinition des superpuissances
Je me suis donc présenté au Pavillon Tabaret pour l’ouverture du Forum et les discours d’usage. Évidemment, ce Forum n’est pas organisé par l’Université d’Ottawa par pure bonté de coeur: il y avait un aspect de recrutement très honnête à vanter les mérites de l’Université à des étudiants de secondaire susceptibles d’y passer quatre ans et des milliers de dollars… mais c’est de bonne guerre. Et à vrai dire, ça me faisait presque plaisir d’aider à vanter les mérites de l’UfO. On est un ancien ou on ne l’est pas…
Ceci dit, je suis resté un peu estomaqué à voir le calibre des autres animateurs d’atelier: Un conseiller principal du sous-ministre à Ressources humaines Canada; le directeur de l’Institut des Études Canadiennes; le Conservateur de l’archéologie du Québec au Musée Canadien des Civilisations; le chef des relations médiatiques à l’Université d’Ottawa; et un bloggueur. Trouvez l’intrus. (Pouet.)
C’est donc ainsi que je me suis retrouvé dans la salle 402 du pavillon Simard (un édifice où l’on m’a jadis enseigné l’histoire, le français, la mathématique et les sciences informatiques), à attendre les participants d’un atelier en “Tourisme et Lettres Françaises”.
Premier atelier: sept personnes (deux groupes). Deuxième atelier: dix-huit personnes (quatre groupes).
Heureusement, tout semble s’être bien déroulé, en autant qu’il est possible de le savoir avec un public de 15-16 ans. Ils et elles sont restés attentifs, ont bien participé à l’activité (bien que de les convaincre à parler français entre eux durant les groupes de discussion s’est avéré futile) et ont présenté quelques prévisions sagaces.
J’ai noté les points forts de l’an 2056 tel que vu par les six groupes d’adolescents. Sachant fort bien que mes “quelques tendances” énumérées plus haut risquaient d’être reprises telles quelles, voici comment ils et elles perçoivent l’avenir:
(Les futurs présentés par cinq des six groupes de discussion étaient remarquablement similaires, sans doute un artefact de mes “quelques tendances” un peu trop précises. Un seul groupe s’est démarqué de la norme en proposant un scénario où, suivant la fonte des glaces et l’invasion/occupation d’extraterrestres, quelques îles resteraient les seuls endroits propices à la vie sur terre ferme. Des aéroglisseurs seraient le mode de transport principal, surtout pour les riches. “Hmm, quelqu’un a vu WATERWORLD” ais-je fait remarquer, mais non sans imaginer deux ou trois trames dramatiques prometteuses.)
Le monde de 2056 sera définitivement plus chaud: “Températures tropicales” à Ottawa selon certains, “un hiver de deux semaines” selon d’autres. Besoin de “solar suits” (par opposition aux “snow suits“) et de passes de montagne à 100$ pour la très courte période de ski. Une population accrue au nord du pays est envisagée, tout comme des problèmes accrus avec les maladies dues au soleil. Un groupe a recommandé des pilules d’oxygènes aux voyageurs temporels, pour pallier à l’air raréfié de 2056.
Deux groupes différents se sont entendus pour dire que la musique de l’avenir sera du techno. (Je leur ai encouragé à écouter le remix Disco du thème de Star Wars pour les dissuader)
Un groupe a prédit la fin des écoles, l’intelligence et l’éducation des individus étant améliorées à l’aide de traitements biotechnologiques. (L’Université d’Ottawa en cinq injections faciles?)
En géopolitique, la Chine semble destinée à dominer le monde dans deux des six 2056s explorés: Deux allaient même jusqu’à dire que le chinois deviendrait une langue essentielle. (On n’a pas précisé s’il s’agirait du cantonais ou du mandarin.) Un groupe a suggéré que l’on y copierait l’essentiel de nos styles et de nos modes. Et pourtant, un groupe entrevoit un 2056 beaucoup moins diversifié — non pas par ségrégation, mais comme résultat logique d’unions d’ethnicités différentes. Pratiquement aucun groupe n’a mentionné de bon rôle pour les États-Unis, un d’entre eux allant jusqu’à suggérer que le pays serait physiquement séparés du Canada (impossible d’y conduire, seulement d’y voler) et que nous serions plus puissants que notre voisin du sud à cause de nos ressources naturelles et de notre capacité à les protéger. (À cet égard, je remarque sans aucun autre commentaire que les groupes étaient beaucoup plus cinglants à ce sujet en discussions que dans leurs conclusions finales.)
Il va sans dire qu’en 2056, tout le monde sera jeune et beau. (Ce que je qualifierais de service public.) Deux groupes différents ont prévu un 2056 où les chirurgies esthétiques seraient aussi communes qu’une visite chez le docteur. Autre souhait commun: que la nourriture ne serait pas seulement organique et bonne pour nous, mais anti-obésité. La technologie médicale avancée figurait dans la vaste majorité des futurs, allant de traitements contre le sida et le cancer, aux remplacements d’organes jusqu’à la longévité accrue. Les fumeurs ont 50 ans pour se réformer, car selon deux des six groupes, il sera illégal ou impensable de fumer. (Ceci dit, un groupe a également prédit que des pilules non spécifiées deviendraient tout aussi irrésistibles que la cigarette.) Les carnivores ont aussi peu de temps pour se réformer: la viande synthétique sera la norme, et la consommation de “vraie” viande sera très mal vue.
Toronto a été détruite par deux des six groupes (probablement trois, si on inclut le scénario d’invasion extraterrestre cité ci haut.): Dans un cas, on a tout simplement recommandé aux voyageurs temporels d’éviter l’endroit pour cause de pollution atmosphérique, alors que dans un autre on a précisé que la ville fut abandonné après une épidémie catastrophique causée par des aliments génétiquement modifiés. (Attack of the Killer Tomatoes?) Le même groupe a prédit un réalignement de la population canadienne aux extrémités du pays, avec Saint-John’s comme nouvelle métropole canadienne.
La fin de l’ère du pétrole aura des conséquences profondes sur nos modes de transport, mais personne ne s’est entendu sur la forme de ces changements. “Espadrilles aéroglissantes” a dit un groupe, “transport en commun en montagnes russes” a dit un autre. (Whee! Ce même groupe a aussi suggéré “le centre d’achat mobile”, où les gens pourraient magasiner entre la maison et le travail. La combinaison de ce concept avec les montagnes russes m’apparaît imbattable.) En ce qui concerne les automobiles privées, nous sommes dus pour une époque où elles fonctionnent à l’électricité, l’eau ou les panneaux solaires. (Et pourquoi pas les trois, tiens?)
Un groupe récolte le prix de la prédiction la plus vaguement juste en prédisant une guerre, sans trop savoir où. (Mais pas au Canada, se sont-ils empressés de préciser.)
Sommes-nous murs pour une société de loisir? Un groupe prédit la fin du travail; un autre, une semaine de seulement trois jours (grâce aux robots, qui se chargeraient d’ailleurs des tâches ménagères). En matière de divertissement, un groupe s’est amusé à parler de télévision vraiment interactive, menant à une vision d’un épisode de Canadian Idol où un participant se ferait dire You suck! en plein visage… par 500,000 personnes. Si manger est votre plaisir, attendez le frigomatique, qui confectionne tout ce que vous voulez selon vos spécifications. (La nanotechnologie est une chose merveilleuse.)
L’économie n’est pas toujours la préoccupation principale des adolescents, ce qui explique peut-être la variété d’opinions en ce qui concerne l’argent. Les avis étaient divers: “plus d’argent – les choses se construisent d’eux-mêmes, même l’argent”; “tout coûtera plus cher”; “monnaie mondiale” et deux instances d’identifications biométriques (ou de puces implantées) prenant la place de la monnaie. Ceux qui pensent que les pirates informatiques pourraient prendre avantage de ce système ont avantage à y repenser, puisque le hacking sera un des crimes les plus sévèrement punis de 2056.
Dans la catégorie “dépassé par le présent”, un autre groupe a prédit que l’avènement de gadgets de divertissement personnel comme la télé sur cellulaire allaient promouvoir l’isolement social, et un autre que la mémorisation ne serait plus essentielle dû aux gadgets chargés de tout se souvenir pour nous.
Mais je m’en voudrais de sembler trop sévère, parce que quelques belles formules sont ressorties des discussions. Je suis encore épris de l’expression “petits gadgets et big brother” employé par une participante. Un autre groupe a imaginé le téléphone du futur: Une tige plantée dans l’oreille (comme pour un casque d’écoute), qui projetterait l’hologramme de l’interlocuteur en face de l’oeil.
Bref, de bonnes idées en deux ateliers. Les futuristes aguerris critiqueront la naïveté des prédictions, les emprunts à la SF média, le manque de cohérence interne des scénarios ou bien les nombreux emprunts aux pistes d’idées lancées durant la présentation de l’atelier. Mais pour des groupes d’adolescents parfois distraits, ce n’est vraiment pas mal. J’ai conclus en disant que je n’étais pas seulement content d’eux, mais fier d’eux.
Les ateliers ayant pris fins, il ne restait plus qu’une chose à faire: profiter du lunch gratuit offert par l’événement, question de prouver que le bloggage peut nourrir son homme, au moins une fois par année.
(Ne me reste qu’à remercier Catherine Charbonneau et Jennifer Feschuk pour la partie visible de l’organisation du forum, les gens de l’école secondaire St. Pius X avec qui j’ai passé un excellent lunch et, bien sur, les participants à mes deux ateliers. Si un cynique invétéré de ma sorte peut trouver son compte à un événement de ce type, il y a amplement de lauriers à partager entre tous!)