Essai: Congrès – Le guide du parfait panéliste
(Note: Le congrès Boréal approche à grands pas! La programmation est maintenant en ligne, et ceux qui s’intéressent à l’élaboration d’un tel événement peuvent maintenant lire Les Secrets du Grand Programmeur, originalement paru dans Brins d’éternité #4. Le billet suivant s’inscrit dans la même veine…)
Avec l’approche du congrès Boréal, je me suis dit qu’il s’agissait du moment idéal pour réunir à un seul endroit une bonne partie des trucs et des astuces que j’ai appris au fil des années sur comment participer à une table ronde (un “panel”, pour utiliser un anglicisme). Les tables rondes, après tout, sont “la viande et les patates” de n’importe quel congrès: Elles sont rarement stupéfiantes, mais elles sont accessibles et meublent l’essentiel du temps passé à un congrès. Si on est chanceux, on y apprend même quelque chose.
Mais participer à une table ronde n’est pas quelque chose qui s’improvise ou qui s’invente. Chaque table ronde demande quelques minutes de préparation, une préparation d’autant plus importante si le panéliste manque d’expérience dans ce genre de choses. Ce billet vise à fournir une méthode essentiellement infaillible pour faire de quiconque un panéliste acceptable. Être un excellent panéliste demande des habiletés personnelles particulières (talents d’orateur; sens de l’improvisation; connaissances poussées du sujet) mais bien paraître en avant d’une audience est quelque chose qui est à la portée de tous. Suivez la méthode après la (suite…) et vous serez à 80% prêt pour rencontrer votre audience.
Qui suis-je pour prodiguer de tels conseils? Quelqu’un avec un peu d’expérience. Depuis 1997, j’ai dû participer, comme animateur ou participant, à des douzaines de tables rondes à presque autant de congrès. Depuis 2003, je suis le directeur de programmation du congrès Boréal. Des observateurs impartiaux s’entendent pour dire que mes talents oratoires ne laissent pas à désirer. Il me reste encore des choses à apprendre, mais ce qui suit s’inspire des méthodes qui ont fonctionné pour moi jusqu’ici.
(Note: Cette méthode est optimisée pour les petits et moyens congrès de science-fiction. Il existe des différences importantes lorsque l’audience d’une table ronde dépasse la centaine de personnes, ou bien quand on établit une différence fondamentale entre l’animateur et les participants. Dans ce cas-ci, la méthode est conçue pour convenir à une table ronde modeste.)
Première étape: Bien choisir ses tables rondes.
La théorie du chaos fait tout un plat au sujet du potentiel destructeur des papillons chinois, mais reste curieusement silencieuse sur la décision de participer à une table ronde ou pas. Dans certains congrès, on vous demandera de choisir les tables rondes qui vous intéressent. Dans d’autres cas, on sollicitera votre présence à des discussions particulières, basées sur votre expérience et votre réputation.
Ceci pourrait amener les membres les plus timides de notre audience à se demander pourquoi un être humain normalement constitué voudrait bien participer à une table ronde. Les raisons diffèrent d’une circonstance à l’autre, mais en voici quelques unes: Démontrer son expertise; faire acte d’autopromotion; livrer un message à une assemblée réunie; contribuer au succès d’un congrès; profiter de l’adoration d’une foule; et ainsi de suite. Ce à quoi j’ajouterai “rencontrer des gens”: faire bonne impression à une table ronde est une excellente façon de faire de nouvelles connaissances: il n’a pas à être surpris quand, suite à une table ronde, les gens vous arrêtent en plein milieu d’un corridor pour vous féliciter d’une bonne intervention. Si vous cherchez une bonne façon de vous intégrer à un congrès…
Mais l’essentiel de cette étape est de choisir un sujet avec soin: Vous devez être raisonnablement confiant que votre expérience ou vos connaissances vous permettent d’en avoir assez à dire sur ce sujet. Si vous vous retrouvez seul à présenter (ça m’est arrivé!), êtes-vous capable de livrer au moins trente minutes de réflexions raisonnablement intéressantes sur le sujet?
Une note aux auteurs: ce n’est pas parce que vous avez un livre à vendre que vous devez vous porter volontaire à chaque table ronde. La première audience à satisfaire, c’est le directeur de la programmation: Ne lui donnez pas de raisons pour vous éliminer de la course.
Ceci dit, vous en savez sans doute plus sur un sujet que vous ne le croyez. Dans le doute, choisissez vos batailles (ne vous portez pas volontaire pour des tables rondes où vous auriez de la difficulté à vous sentir à l’aise avec le sujet) et soyez confiant.
Deuxième étape: Comprendre le sujet
Ça y est: le directeur de la programmation vous a confirmé que vous êtes sur une table ronde spécifique, comme animateur ou participant. Vous devez maintenant comprendre le sujet.
Contrairement à ce que vous pouvez penser, le titre et l’énoncé d’une table ronde ne décrivent pas le contenu d’une table ronde, mais bien le terrain au-dessus duquel la discussion aura lieu. Relisez le titre et l’énoncé. Comprenez l’étendue et les limites d’un sujet. Ne restez pas prisonniers des énoncés spécifiques où des questions explicites posées dans l’énoncé: profitez des pistes d’idées suggérées par l’énoncé. Un truc assez répandu des directeurs de programmation est de saupoudrer l’énoncé d’affirmations ridicules conçues pour vous faire réagir. Assurez-vous alors d’avoir un développement constructif à livrer, au-delà du simple déni. (“Je ne suis pas d’accord avec l’énoncé, mais ça m’amène à dire que…”)
Toute table ronde demande un peu de recherche. Ça ne vous fera pas mal de rafraîchir votre mémoire en anticipation d’une table ronde. Lisez donc un ou deux livres de vos co-panélistes pour mieux connaître leurs opinions. Au bas mot, chaque heure de table ronde devrait vous demander au moins une heure de recherche, et habituellement deux ou trois fois ça. Profitez des semaines avant le congrès pour approfondir le sujet, lire ce que vous avez à lire et vous préparer convenablement. Pour cela, il vous faudra probablement…
Troisième étape: Votre feuille de route
…une humble feuille papier sur laquelle vous noterez votre plan de route. Peu importe si vous êtres un participant ou un animateur: préparez-vous quelques interventions reliées au sujet. Ébauchez une introduction qui expliquera pourquoi vous méritez d’être présent à cette table ronde. Si vous pouvez penser à deux ou trois bonnes zingers au sujet de votre sujet, n’hésitez pas à les noter. Finalement, préparez-vous un bon mot d’esprit de sortie quand viendra le moment de terminer la table ronde. Si vous ressentez le besoin de citer des auteurs, de faire appel à des références, notez-les sur votre feuille de route.
Mes feuilles comportent toujours quelques informations de base en en-tête: La salle, la date et l’heure de l’événement, suivi des participants et de l’énoncé de la table ronde. Le reste est consacré à mon matériel, généralement arrangé en ordre de développement. L’image à droite est une feuille de route pour une table ronde au sujet des livres électroniques, telle que préparé pour Westercon58. Comme vous pouvez le voir, elle a été élaborée à la main: pas besoin de se fier sur son traitement de texte, surtout quand vous essayez d’organiser vos idées principales.
En plus de vous assurer un minimum de matériel intéressant, votre feuille de route fait également double emploi durant la table ronde en agissant comme bloc-notes pour noter vos meilleures idées en attendant qu’on vous cède la parole. C’est comme une serviette: ne partez pas sans elle!
Quatrième étape: Une fois arrivé au congrès…
Une fois sur place durant le congrès, tentez d’accomplir deux choses: De un, rencontrez vos co-panélistes pour discuter du sujet et de votre approche commune. Si vous êtes un animateur, tentez de rencontrer chacun de vos participants. Si vous êtes un participant, tentez de rencontrer l’animateur. Ne soyez pas timide: c’est facile d’aborder quelqu’un en lui disant “nous allons être sur une table ronde ensemble; comment vouliez-vous approcher le sujet?” Si rien d’autre, ces rencontres vous familiarisent avec vos co-panélistes et vous permettent d’arriver à une table en sachant quelque chose sur ceux qui sont assis à côté de vous. (Note: les avertissement habituels s’appliquent lorsque vous tentez de rencontrer quelqu’un à un congrès: utilisez de votre discrétion pour l’aborder et assurez-vous de ne rien interrompre.)
L’autre chose que vous devriez tenter d’accomplir, c’est de jeter un coup d’œil sur l’endroit où se tiendra votre table ronde. S’agit-il d’une petite pièce où d’une grande salle? Aurez-vous besoin d’un micro? Quelle est la taille maximale de l’audience? Si possible, tentez d’assister à une table ronde se déroulant dans la même pièce pour voir comment se débrouillent les participants. Si un micro ne fonctionne pas très bien, il est préférable de le savoir avant d’essayer de l’utiliser, n’est-ce pas?
Cinquième étape: Les premières minutes de la table ronde
Ça y est: vous êtes à l’avant de la pièce et la foule vous regarde! La table ronde est en jeu et si l’animateur a bien fait son travail, il fait un survol de ses panélistes, en demandant une première question qui se résume essentiellement à “mais qu’est-ce qui vous qualifie pour parler de ce sujet?” Ne lui en voulez-en pas pour sa candeur: saisissez la balle au bond.
Vous avez à peu près une minute pour établir vos compétences et obtenir la sympathie de votre audience. Heureusement, une minute -c’est long! Profitez-en pour souligner vos compétences (travaillez-vous dans le domaine? Avez-vous écrit sur le sujet? Un épisode de votre biographie est-il particulièrement approprié à cette discussion?), pour établir votre crédibilité, pour réconforter votre audience d’être au bon endroit et donner un aperçu de ce que vous comptez bien établir au cours de la discussion qui va suivre. La plupart des premières interventions sont prévisibles: Profitez de votre préparation pour trouver un bon mot d’esprit qui mettra tout le monde à l’aise. Si vous pouvez faire rire votre audience et l’intéresser à ce que vous avez à dire, vous avez réussi.
Sixième étape: Participer à la discussion
Si vous avez eu l’occasion de discuter de la table ronde avec vos co-panélistes avant l’événement, vous avez une bonne idée de la direction que prendra la discussion. Profitez-en pour déballer vos arguments lorsque approprié. À ce stade-ci, votre pire danger est d’être trop fidèle à votre feuille de route. Souvenez-vous qu’elle n’est pas là pour être suivie mot à mot, mais pour vous familiariser avec le sujet et vous fournir un filet de secours si les choses tournent mal. Si la discussion s’engage dans une voie intéressante, ne soyez pas celui qui refuse de jouer!
En revanche, si la discussion dévie loin du sujet de la table ronde, assurez-vous de ne pas empirer la situation. “Tout cela m’intéresse beaucoup, mais si je peut me permettre de faire le lien avec le sujet de la table ronde…” est un début de phrase qui fait des merveilles. L’audience appréciera votre tentative de ne pas perdre leur temps.
En discussion, privilégiez les phrases courtes et directes, les interventions amusantes et une forte densité d’information. Vous n’êtes pas en train d’écrire un article pour une revue savante: vous êtes là pour divertir une audience qui, le plus souvent, a payé pour être divertie. Partagez vos connaissances, mais assurez-vous de ne pas gaspiller l’attention de la foule. Ne pas être l’animateur n’est pas une raison pour éviter de poser des questions à vos co-panéliste si vous pensez que cela pourrait bénéficier la discussion.
Profitons de ce moment pour souligner une chose importante: Tout ce que vous dites peut être retenu contre vous. Dans un effort de distraire l’assemblée réunie, peut-être allez-vous être tenté de dire des choses à demi réfléchies. Peut-être que vous possédez des opinions politiques définitives ou des jugements approfondis sur l’œuvre d’untel. À moins que cela ne soit strictement nécessaire, pensez-y à deux fois avant de dire des choses que vous pourriez regretter, surtout quand approche la période de question.
Septième étape: Répondre à l’audience
Si tout va bien, la discussion s’ouvrira progressivement à l’audience. Peut-être qu’un membre de la foule vous posera une question. Quoi que vous fassiez, gardez votre réponse courte, franche et à point. Ne tentez pas une introduction compliquée et n’essayez surtout pas d’éviter la question, même de façon comique. Si vous ignorez la réponse, soyez francs et avouez votre ignorance.
Il existe plusieurs types de mauvaises questions, et presque autant de mauvais questionneurs. Si vous êtes un animateur, il existe beaucoup de matériel disponible ailleurs pour vous aider à bien mener une discussion entre des centaines de personnes. (Une de mes favorites étant la “règle Jeopardy” de John Scalzi: Toute intervention de l’audience doit prendre la forme d’une question!) Peu importe ce qui se passe, pensez toujours en fonction de la majorité de l’audience: ne vous engagez pas dans une lutte à en finir avec un seul interlocuteur si vous soupçonnez que le reste de la foule veut passer à autre chose. Au besoin, offrez de poursuivre ce pan de la discussion en privé après la table ronde.
Si le tout se déroule de la bonne façon, votre table ronde en arrive à sa fin. Il est possible que l’animateur profitera de la dernière minute de l’événement pour un dernier tour de table, demandant aux panélistes ce qu’ils pensent de “la prochaine étape” ou s’il leur reste un dernier mot. S’il vous reste une excellente punchline laissée inutilisée, sortez-la de la façon la plus divertissante possible. Ceci dit, si la personne avant vous a réussi à terrasser l’audience avec une blague qui fait hurler de rire toute la salle, n’hésitez pas à passer votre tour en toute dignité.
Huitième étape: Suivant la table ronde.
Ouf! C’est terminé! L’audience se lève et se dirige vers les portes pour la prochaine table ronde. Toute l’audience? Que non! Peut-être voyez vous quelques irréductibles se diriger vers vous, dans l’espoir de demander un autographe ou bien une dernière question.
Soyez gracieux! Répondez aux demandes les plus immédiates, distribuez des cartes d’affaire si vous pensez que ça en vaut la peine et acceptez les compliments de bonne grâce. Si quelqu’un montre des signes de vouloir poursuivre la discussion un peu plus longtemps, offrez-lui de continuer à l’extérieur de la pièce: tâchez de ne pas bloquer le chemin des prochains panélistes.
Si vous en avez l’occasion, serrez la main de vos co-panélistes pour les féliciter du travail accompli.
Bravo! Une table ronde de complétée!
Éventuellement…
La méthode décrite ci haut n’est pas parfaite. Elle n’est pas non plus nécessaire si vous participez à des congrès depuis des décennies: Éventuellement, les congressistes professionnels internalisent leur plan de match et n’ont pas à dépendre d’une feuille de route. (Ceci dit, les professionnels ont également tendance à développer des routines et techniques oratoires qui peuvent être réutilisées d’une table ronde à une autre.)
Mais pour les débutants, ce qui précède n’est pas une mauvaise façon de fonctionner. Avec le temps et l’expérience, tout le monde développe un style unique. En attendant, n’hésitez pas à vous porter volontaire pour des tables rondes intéressantes, et tentez de bien paraître!
Deux liens intéressants:
- Panels, in moderation: Une façon d’animer des tables rondes (de l’univers des congrès d’écrivains de crime-fiction)
- The Art of Being on a Panel: du monde des panelistes professionnels en haute-technologie.