Lectures 2009
Il y a plus d’un an que je n’ai pas critiqué de livres sur Fractale Framboise, alors je me suis dit que je me referais la main avec un livre bien attendu. Car c’est effectivement hier qu’était lancé The Lost Symbol de Dan Brown, la suite longtemps attendue de l’infâme Da Vinci Code.
Ce n’est pas une exagération que de dire que c’est le livre le plus anticipé de l’année. Depuis 2003, The Da Vinci Code a vendu 80 millions de copies et les trois autres romans de Brown, depuis réédités, se sont également bien placés au palmarès des ventes. (Et c’est sans compter les films dont vous avez peut-être entendu parler.) Plus de cinq millions de copies en édition cartonnées de The Lost Symbol ont été imprimées, et les premier chiffres de vente nous informent qu’un million de copies du livre ont été vendues dès la première journée. J’ai fait partie des foules : après le travail, j’ai effectué une visite-éclair à un libraire du coin pour saisir une copie du livre, payer en comptant (pour rester anonyme!) et sortir. Temps total écoulé : 90 secondes, un record en ce qui concerne mes visites en librairies.
Ça m’a pris un peu plus de temps pour lire le livre du début jusqu’à la fin, mais c’est maintenant fait. 509 pages et 133 chapitres plus tard, que penser de cet effort de Brown attendu depuis six ans?
Hé bien… l’auteur ne se renouvelle pas. Ceux qui ont apprécié The Da Vinci Code seront tout à fait à l’aise avec cette nouvelle aventure. Robert Langdon, accompagné d’une jolie scientifique aux connaissances ésotériques, parcourt une grande ville pour réunir les indices historico-symboliques qui lui permettront de résoudre une énigme et empêcher des événements terribles. Pendant ce temps, un fanatique avec un penchant pour l’automutilation tue et manipule les actions de Langdon à son profit. Ça vous rappelle quelque chose?
L’atmosphère ne se renouvelle pas non plus (ou, si vous préférez, « offre les mêmes plaisirs au lecteur ») : Washington a remplacé Rome, Paris ou Londres, mais le « symbologue » Langdon est toujours en mesure de signaler à son audience que tel ou tel chose a une signification ou une origine inusitée. Les chapitres sont courts, les péripéties se succèdent, les lecteurs ont l’impression d’apprendre des choses et des spéculations démesurées laissent même les plus sceptiques un peu époustouflés. Les lecteurs avec de longues mémoires savent tout le bien que je pense de Brown, et The Lost Symbol ne fait qu’affirmer la recette perfectionnée au fil de ses romans.
En fait, il y a même une légère amélioration sur certains aspects. L’écriture n’est pas renversante, mais elle me semble un peu plus polie que celle de ses livres précédents. (Ce n’est pas du grand art, mais vos dents ne grinceront pas autant.) Brown abandonne également un de ses revirements préférés (« ne faites jamais confiance à des mentors ») et montre même un peu d’humour à ses dépends : Langdon devient par moment un alter-ego pour son auteur alors qu’on le félicite pour son livre controversé, qu’on critique ses turtlenecks ou bien que son éditeur lui demande quand son livre sera terminé (« You owe me a manuscript. » [P.176]).
A d’autres égards, bien sûr, le livre double la mise. Si l’empilement de connaissances occultes vous a amusé dans The Da Vinci Code, vous serez comblé par la bavardise encyclopédique de The Lost Symbol. C’est tellement bavard, en fait, que les premières cent pages passent bien lentement, et que le conflit principal se règle un bon cinquante pages avant la fin du livre. Pour le reste, imaginez des personnages se lisant des paragraphes de citations historiques et vous avez une bonne idée de l’expérience de ce dernier roman, en autant que vous imaginez des chapitres qui se terminent par « My God… I’ve made a terrible, terrible mistake! » [P.311] ou « Something terrible is happening! » [P.323]
Il ne faudrait pas lire ce roman pour la qualité de son suspense ou de sa construction d’intrigue. Sans renier les bons moments du livre (dont une excellente scène en parfaite obscurité, et un autre moment où il y a de quoi se demander comment Brown va parvenir à résoudre l’apparente mort d’un personnage), les frissons sont tout à fait conventionnels, rehaussée par un montage (parfois parallèle) un peu plus habile que sa réalisation. On ne lit pas Brown parce qu’il est un maitre du suspense; on le lit pour les secrets qu’il révèle chapitre par chapitre.
Évidemment, c’est prenant. En fait, les amateurs aux cerveaux formés par la SF seront tout à fait à l’aise durant certains passages où l’émerveillement est à l‘honneur : Ce que les imitateurs de Brown ne comprennent pas toujours, c’est que Brown saisit le sublime et le présente au lecteur contemporain d’une manière assez spectaculaire : Le roman se termine par une magnifique révélation mystico-architecturale et il n’est pas exagéré de penser qu’une fois terminé le grossier conflit qui fait de cette fiction un thriller, c’est la découverte du monde telle que subie par Langdon qui devient l’apothéose du roman.
Tout ne fonctionnera pas aussi bien pour tout le monde. Brown explore à nouveau les relations entre science et foi; un sujet auquel je ne suis guère sensible. J’ai souvent pesté contre le doux mysticisme des écrivains de thrillers contemporains (Preston/Child, Rollins, etc.) qui contaminent de superstition reniable leurs thrillers pourtant bien menés et Brown ne fait pas exception : Puisqu’il s’adresse à un public américain, on voit fréquemment The Lost Symbol s’éparpiller dans des passages faisant la promotion (tout à fait sci-en-ti-fi-que, on nous l’assure) des pouvoirs psis et de « science noétique ». À son crédit, Brown résiste à la tentation de fonder des éléments cruciaux de son intrigue sur de tels dérapages, mais l’impression laissée par de tels passages est de nous faire murmurer « n’importe quoi… » : Préparez-vous à beaucoup de pseudoscience; ceux qui sont de tendance sceptique, rationnelle, matérialiste et pragmatique (je plaide coupable aux quatre accusations) resteront peu impressionnés par certains passages tangentiels.
Ceci dit, ne vous attendez pas à autant de controverse au sujet de ce roman tel que comparé au précédent : Pour une fiction portant en grande partie sur la confrérie des francs-maçons, celle-ci s’en sort très bien et devrait même récolter quelques nouveaux membres intrigués par le portrait d’une organisation bien raisonnable : même le vil antagoniste de l’intrigue n’est pas un véritable maçons et cherche à exploiter les secrets de l’organisation à son avantage. En revanche, l’adaptation cinématographique ne sera pas un défi facile : L’action du roman a beau se dérouler en quelques heures, il y a à peu près un flashback à chaque cinq chapitres, et le côté interminables des déductions sans cesse plus ésotériques risque de provoquer le même sentiment d’impatience que pour ceux qui ont vu Angels and Demons cet été.
En fait, The Lost Symbol invite plutôt les comparaisons aux deux films de la série National Treasure, et c’est une comparaison que les films de Bruckheimer supportent bien. En fait, les deux National Treasure semblent à la fois plus accessibles, plus amusants et plus enclins à exploiter toutes les possibilités délirantes d’une course au trésor à travers l’histoire de la capitale américaine. Mais bon; on ne commencera pas à bouder le plaisir de lecture d’un œuvre à succès, surtout quand les comparaisons film/livre ont de quoi nous ramener à la réalité. The Lost Symbol a peut-être vendu un millions d’exemplaires en une journée, on se rappellera avec sobriété qu’autant de spectateurs ont vu Underworld: Rise of the Lycans la première journée de sa sortie. Pour une fois, applaudissons donc la sortie d’un livre populaire.
Il n’est plus possible d’aborder Dan Brown sans voir !!!D-A-N B-R-O-W-N!!!, ou de penser aux mots « Da Vinci Code », ce qui est un peu dommage : Pris hors-contexte et considéré selon ses propres termes, The Lost Symbol est un thriller moyen mais intriguant, un mélange ingénieux de faits, de spéculation, de foutaises, de rythme et d’action. Dans un autre univers, Dan Brown est un romancier moyennement connu qui a ses adeptes convaincus —et qui a probablement publié autre chose que The Lost Symbol comme premier roman après six ans de silence. Dans cet univers-ci, cependant, nous avons The Lost Symbol, et le mieux qu’on puisse dire, c’est « Si vous avez aimé The Da Vinci Code… »
Il y a plus d’un an que je n’ai pas critiqué de livres sur Fractale Framboise, alors je me suis dit que je me referais la main avec un livre bien attendu. Car c’est effectivement hier qu’était lancé The Lost Symbol de Dan Brown, la suite longtemps attendue de l’infâme Da Vinci Code.
Ce n’est pas une exagération que de dire que c’est le livre le plus anticipé de l’année. Depuis 2003, The Da Vinci Code a vendu 80 millions de copies et les trois autres romans de Brown, depuis réédités, se sont également bien placés au palmarès des ventes. (Et c’est sans compter les films dont vous avez peut-être entendu parler.) Plus de cinq millions de copies en édition cartonnées de The Lost Symbol ont été imprimées, et les premier chiffres de vente nous informent qu’un million de copies du livre ont été vendues dès la première journée. J’ai fait partie des foules : après le travail, j’ai effectué une visite-éclair à un libraire du coin pour saisir une copie du livre, payer en comptant (pour rester anonyme!) et sortir. Temps total écoulé : 90 secondes, un record en ce qui concerne mes visites en librairies.
Ça m’a pris un peu plus de temps pour lire le livre du début jusqu’à la fin, mais c’est maintenant fait. 509 pages et 133 chapitres plus tard, que penser de cet effort de Brown attendu depuis six ans?
Hé bien… l’auteur ne se renouvelle pas. Ceux qui ont apprécié The Da Vinci Code seront tout à fait à l’aise avec cette nouvelle aventure. Robert Langdon, accompagné d’une jolie scientifique aux connaissances ésotériques, parcourt une grande ville pour réunir les indices historico-symboliques qui lui permettront de résoudre une énigme et empêcher des événements terribles. Pendant ce temps, un fanatique avec un penchant pour l’automutilation tue et manipule les actions de Langdon à son profit. Ça vous rappelle quelque chose?
L’atmosphère ne se renouvelle pas non plus (ou, si vous préférez, « offre les mêmes plaisirs au lecteur ») : Washington a remplacé Rome, Paris ou Londres, mais le « symbologue » Langdon est toujours en mesure de signaler à son audience que tel ou tel chose a une signification ou une origine inusitée. Les chapitres sont courts, les péripéties se succèdent, les lecteurs ont l’impression d’apprendre des choses et des spéculations démesurées laissent même les plus sceptiques un peu époustouflés. Les lecteurs avec de longues mémoires savent tout le bien que je pense de Brown, et The Lost Symbol ne fait qu’affirmer la recette perfectionnée au fil de ses romans.
En fait, il y a même une légère amélioration sur certains aspects. L’écriture n’est pas renversante, mais elle me semble un peu plus polie que celle de ses livres précédents. (Ce n’est pas du grand art, mais vos dents ne grinceront pas autant.) Brown abandonne également un de ses revirements préférés (« ne faites jamais confiance à des mentors ») et montre même un peu d’humour à ses dépends : Langdon devient par moment un alter-ego pour son auteur alors qu’on le félicite pour son livre controversé, qu’on critique ses turtlenecks ou bien que son éditeur lui demande quand son livre sera terminé (« You owe me a manuscript. » [P.176]).
A d’autres égards, bien sûr, le livre double la mise. Si l’empilement de connaissances occultes vous a amusé dans The Da Vinci Code, vous serez comblé par la bavardise encyclopédique de The Lost Symbol. C’est tellement bavard, en fait, que les premières cent pages passent bien lentement, et que le conflit principal se règle un bon cinquante pages avant la fin du livre. Pour le reste, imaginez des personnages se lisant des paragraphes de citations historiques et vous avez une bonne idée de l’expérience de ce dernier roman, en autant que vous imaginez des chapitres qui se terminent par « My God… I’ve made a terrible, terrible mistake! » [P.311] ou « Something terrible is happening! » [P.323]
Il ne faudrait pas lire ce roman pour la qualité de son suspense ou de sa construction d’intrigue. Sans renier les bons moments du livre (dont une excellente scène en parfaite obscurité, et un autre moment où il y a de quoi se demander comment Brown va parvenir à résoudre l’apparente mort d’un personnage), les frissons sont tout à fait conventionnels, rehaussée par un montage (parfois parallèle) un peu plus habile que sa réalisation. On ne lit pas Brown parce qu’il est un maitre du suspense; on le lit pour les secrets qu’il révèle chapitre par chapitre.
Évidemment, c’est prenant. En fait, les amateurs aux cerveaux formés par la SF seront tout à fait à l’aise durant certains passages où l’émerveillement est à l‘honneur : Ce que les imitateurs de Brown ne comprennent pas toujours, c’est que Brown saisit le sublime et le présente au lecteur contemporain d’une manière assez spectaculaire : Le roman se termine par une magnifique révélation mystico-architecturale et il n’est pas exagéré de penser qu’une fois terminé le grossier conflit qui fait de cette fiction un thriller, c’est la découverte du monde telle que subie par Langdon qui devient l’apothéose du roman.
Tout ne fonctionnera pas aussi bien pour tout le monde. Brown explore à nouveau les relations entre science et foi; un sujet auquel je ne suis guère sensible. J’ai souvent pesté contre le doux mysticisme des écrivains de thrillers contemporains (Preston/Child, Rollins, etc.) qui contaminent de superstition reniable leurs thrillers pourtant bien menés et Brown ne fait pas exception : Puisqu’il s’adresse à un public américain, on voit fréquemment The Lost Symbol s’éparpiller dans des passages faisant la promotion (tout à fait sci-en-ti-fi-que, on nous l’assure) des pouvoirs psis et de « science noétique ». À son crédit, Brown résiste à la tentation de fonder des éléments cruciaux de son intrigue sur de tels dérapages, mais l’impression laissée par de tels passages est de nous faire murmurer « n’importe quoi… » : Préparez-vous à beaucoup de pseudoscience; ceux qui sont de tendance sceptique, rationnelle, matérialiste et pragmatique (je plaide coupable aux quatre accusations) resteront peu impressionnés par certains passages tangentiels.
Ceci dit, ne vous attendez pas à autant de controverse au sujet de ce roman tel que comparé au précédent : Pour une fiction portant en grande partie sur la confrérie des francs-maçons, celle-ci s’en sort très bien et devrait même récolter quelques nouveaux membres intrigués par le portrait d’une organisation bien raisonnable : même le vil antagoniste de l’intrigue n’est pas un véritable maçons et cherche à exploiter les secrets de l’organisation à son avantage. En revanche, l’adaptation cinématographique ne sera pas un défi facile : L’action du roman a beau se dérouler en quelques heures, il y a à peu près un flashback à chaque cinq chapitres, et le côté interminables des déductions sans cesse plus ésotériques risque de provoquer le même sentiment d’impatience que pour ceux qui ont vu Angels and Demons cet été.
En fait, The Lost Symbol invite plutôt les comparaisons aux deux films de la série National Treasure, et c’est une comparaison que les films de Bruckheimer supportent bien. En fait, les deux National Treasure semblent à la fois plus accessibles, plus amusants et plus enclins à exploiter toutes les possibilités délirantes d’une course au trésor à travers l’histoire de la capitale américaine. Mais bon; on ne commencera pas à bouder le plaisir de lecture d’un œuvre à succès, surtout quand les comparaisons film/livre ont de quoi nous ramener à la réalité. The Lost Symbol a peut-être vendu un millions d’exemplaires en une journée, on se rappellera avec sobriété qu’autant de spectateurs ont vu Underworld: Rise of the Lycans la première journée de sa sortie. Pour une fois, applaudissons donc la sortie d’un livre populaire.
Il n’est plus possible d’aborder Dan Brown sans voir !!!D-A-N B-R-O-W-N!!!, ou de penser aux mots « Da Vinci Code », ce qui est un peu dommage : Pris hors-contexte et considéré selon ses propres termes, The Lost Symbol est un thriller moyen mais intriguant, un mélange ingénieux de faits, de spéculation, de foutaises, de rythme et d’action. Dans un autre univers, Dan Brown est un romancier moyennement connu qui a ses adeptes convaincus —et qui a probablement publié autre chose que The Lost Symbol comme premier roman après six ans de silence. Dans cet univers-ci, cependant, nous avons The Lost Symbol, et le mieux qu’on puisse dire, c’est « Si vous avez aimé The Da Vinci Code… »