Prix Hugo 2005: Commentaires sur les oeuvres en nomination

(Les billets suivants furent originalement publiés sur fractale-framboise.com en juin 2005)
Introduction
Rappelons d’abord quelque évidences: Les Prix Hugos sont remis à chaque année depuis 1953-54 par les membres de la “World Science Fiction Society” (essentiellement; les membres de la Worldcon). Certains y réfèrent comme étant le grand “prix du public” de la SF, surtout si l’on considère que seuls les fans invétérés ont les moyens d’assister, année après année, à la Worldcon. Ma propre obsession monomaniaque pour la SF ne sera pas suffisante pour me faire embarquer en direction de Glasgow, où se tiendra Intersection, la Worldcon 2005 et la remise des Prix Hugo. Heureusement, je n’ai pas besoin d’y être pour pouvoir voter: Ma présence à Noreascon4 (Worldcon 2004) m’a donné le droit de vote pour 2004 et 2005.
Je ne vous ennuierai pas avec les modalités de nomination ou les subtilités du vote préférentiel utilisé pour déterminer le gagnant. Je partagerai seulement avec vous mes réflexions de lecture, puisque je suis parvenu à lire presque toutes les oeuvres de fiction en nomination. Peu importe ce que l’on pense des prix en général (il y en a toujours un dans l’audience pour révéler que tous les prix ne sont que concours de popularité, qu’ils n’ont aucun rapport avec le mérite, etc.), les roman en nomination cette année sont généralement de bonne qualité et permettent d’obtenir un aperçu de l’état du genre, circa 2004. Il ne s’agit pas nécessairement des cinq meilleur livres de l’année, mais il s’agit certainement de cinq bons livres.
Cette semaine sera donc la semaine “Prix Hugo 2005” chez Fractale Framboise alors que je vais vous livrer des billets sur les cinq livres en nomination pour le Prix Hugo du meilleur roman, puis un autre sur les autres catégories où j’y connais quelque chose.
Au programme:
- Lundi: Iron Sunrise, Charles Stross
- Mardi: River of Gods, Ian McDonald
- Mercredi: The Algebraist, Iain M. Banks
- Jeudi: Iron Council, China Miéville
- Vendredi: Jonathan Strange & Mr Norrell, Susanna Clarke
- Samedi: Les nouvelles
- Dimanche: Le reste, et quelques conclusions
Si vous voulez un aperçu complet de ce qui sera discuté, allez consulter la liste des oeuvre en nomination (une liste qui contient des liens au texte de presque toutes les nouvelles). Pour d’autres avis sur les Prix Hugos 2005, allez consulter la fabuleuse liste de critiques compilée par Nicholas Whyte.
Iron Sunrise, Charles Stross
Notre première oeuvre en nomination pour les Prix Hugos 2005 est une bonne grosse oeuvre de science-fiction assez classique, réalisée avec l’énergie d’un jeune auteur bourré de talent. Iron Sunrise de Charles Stross commence avec la détonation intentionnelle d’un soleil (avec toutes les conséquences néfastes que l’on peut imaginer) et le reste du livre ne démord pas souvent.
Ceux qui ont lu Singularity Sky ne seront pas dépaysés, puisqu’Iron Sunrise se déroule dans le même univers “Eschaton” et suit une autre aventure du même couple d’agents spéciaux qui avaient fait le bonheur du premier livre de la série. Au menu: un univers post-Singularité où des Nazis ReFaits ont l’intention ferme de s’attaquer aux quasi-dieux qui contrôlent (peut-être) les milliers de McMondes où sont répartis l’humanité au vingt-cinquième siècle. Mettez une jeune adolescente, un journaliste d’expérience et notre couple d’agents secrets au centre de cet affrontement, et vous obtenez une aventure SF selon les nouvelles règles de l’art.
Ce n’est pas un secret que Stross est un écrivain en voie de béatification à Fractale Framboise, et Iron Sunrise ne fait que confirmer pourquoi il nous intéresse autant: Écrit avec audace et astuce, voila un roman SF peu prétentieux avec un rythme soutenu et une maîtrise à peu près parfaite des conventions de la SF de genre. Branché, accessible et lisible d’un trait, impossible de s’ennuyer au long de ce livre. Entre autres trouvailles, ont note une scène où les protagonistes parviennent à déjouer des capteurs qui captent littéralement leurs moindres faits et gestes. L’écriture de Stross ne cesse de s’améliorer, et la description horrifique d’une insurrection matée compte parmi les meilleurs passages de sa carrière. L’univers “Eschaton” inventé pour les deux livres de la série a ses aspects à la fois fascinants et troublants, laissant toute la place à des vieux conflits ethniques au beau milieu d’un univers optimiste où le voyage FTL est possible…
Si le roman a des points faibles, c’est qu’il est parfois un peu trop branché, et certains détails ne survivront pas très bien au passage du temps. Appeler un journaliste un “warblogger” est une affectation qui sera désuète d’ici cinq ans, pas cinq cent. De plus, Stross s’adresse comme d’habitude à un public bien précis. Si l’expression “Someone set us up the bomb” ne vous dit rien, ou vous agace, dites-vous que vous n’êtes peut-être pas le public cible du livre… public cible qui, de toute façon, sera vraisemblablement déjà bien calé dans les conventions du genre: Iron Sunrise est de la SF de genre avouée, sans tentative d’aller chercher un public plus général.
Néanmoins, voilà une aventure SF légère, bien menée, dotée du quota requis de bonnes idées et animée par des personnages bien sympathiques. L’écriture est mieux maîtrisée que pour Singularity Sky, et le tout se termine par un retournement qui rehausse l’énergie du livre au moment même où l’on pense que tout était terminé. Sans aspirer à quelque chose de plus qu’un bon divertissement, Iron Sunrise livre toute la marchandise. De la SF de genre à son état pur.
River of Gods, Ian McDonald
Deuxième oeuvre de cinq pour la catégorie “Meilleur Roman” des Prix Hugos 2005: River of Gods d’Ian McDonald, jusqu’à nouvel ordre disponible uniquement au sein du Commonwealth Britannique. Dommage qu’il n’y ai pas encore d’édition américaine, parce que voici un roman aux antipodes de ce que nous imaginons comme étant la bonne grosse SF made-in-USA, tout en ne reniant aucunement les racines les plus intéressantes du genre.
La différence est évidente dès les premières pages, car River of Gods se déroule principalement en Inde, avec une intrigue partagée entre dix personnages qui s’affairent à survivre lors du centième anniversaire de l’indépendance du pays. Centenaire difficile, alors que les IAs sauvages pullulent, que le pays est fracturé en douze nations prêtes à s’entretuer pour des réserves d’eau potable, qu’un troisième sexe dérange tout le monde et qu’un astéroïde en orbite terrestre révèle aux scientifiques un objet impossible.
Il y a des échos cyberpunks dans la fragmentation du récit en une douzaine de personnages, dans l’attention bienvenue portée au tiers-monde, dans l’atmosphère très street-level des technologies explorées ici. Drogues, sexe(s), raves et crimes sont monnaie courante dans ce futur à moyen-terme savamment extrapolé. Alors qu’une bonne partie de la SF contemporaine semble s’enfermer dans des futurs convenus, une partie du plaisir de River of Gods est de voir combien de poncifs SF sont réutilisés de façon astucieuse par McDonald pour construire son Inde circa 2047. Pas beaucoup d’idées originales, mais ce que c’est bien mis ensemble!
Côté technique, le livre est rien de moins qu’époustouflant: Les dix personnages sont tous très bien réalisés, l’écriture est presque toujours limpide et le tout ne cesse de devenir de plus en plus intéressant. Le montant de recherche que McDonald a du effectuer pour parvenir à présenter une vision aussi vivide de l’Inde a du être phénoménal. Heureusement, le roman n’en souffre pas pour autant. Quantité de scènes mémorables se succèdent, rehaussées par le fait qu’elles impliquent des personnages pour qui nous avons développé un certain attachement.
Malgré quelques longueurs (tous ne seront pas également épris des dix-douze protagonistes), River of Gods est le genre de livre auquel la SF devrait aspirer plus souvent; un regard politiquement informé sur un futur possible, présenté de façon magistrale et éminemment accessible à tous. Le livre fait feu des clichés, rehausse l’image de la SF et pourrait être présenté sans embarras à quelqu’un qui ne s’y connaît pas trop en science-fiction. Ça ne m’a pris que quelques pages pour m’enthousiasmer pour ce livre et comme vous pouvez le constater, cet enthousiasme s’est à peine dissipé quelques semaines plus tard. River of Gods est ce que l’on imagine lorsqu’on dit “un des cinq meilleurs romans SF de l’année.”
The Algebraist, Iain M. Banks
J’avoue avoir abordé ce troisième nominé Hugo avec une certaine trépidation: Mes expériences avec Iain M. Banks s’étant avérées bien mitigées jusqu’ici, je doutait un peu d’avoir à subir un autre roman très long, aux subtilités valant à peine l’effort de lecture.
Heureusement, ça n’a pas été le cas. Malgré quelques longueurs assez importantes, The Algebraist demeure vif, divertissant, bien écrit et surtout très drôle. Ce n’est pas une comédie, et pourtant tout est conté avec un flegme britannique fort jovial, surtout pour un space opera bien épuré.
Je passerai rapidement sur l’histoire, notant rapidement au passage qu’il s’agit d’un livre se suffisant à lui-même et ne faisant pas partie d’aucune série précédente. Ce départ à neuf donne à Banks l’occasion de se laisser aller, d’explorer de nouvelles choses et, surtout, de tout faire sauter lorsque ça lui plaît. Il y a quelque chose de classique et de satisfaisant dans cette histoire de découverte, alors que le protagoniste se voit forcé d’enquêter sur un mystère qui force une révélation après une autre, jusqu’aux plus grands secrets de ce nouvel univers. Une bonne partie des clichés des space operas à grand déploiement sont réutilisés au passage: Intelligences artificielles, empires galactiques, batailles spatiales, races extraterrestres étranges et ainsi de suite.
Heureusement, il y a des idées —pleines d’idées, certaines jetées au passage alors que la narration veut en arriver à autre chose. Et il y a le style: une narration pince-sans-rire qui oscille dangereusement entre l’humour et l’aventure, sans pour autant verser dans la farce. (Citation exemplaire après la (suite…))
Dommage, donc, que le livre s’égare souvent dans des détours inutiles: Au moins cent des 500 pages sont gaspillées sur des tangentes sur la jeunesse du protagoniste qui ne mènent à rien et nous éloignent des véritables attraits du livre. L’autre bémol qu’il faut apporter, c’est que The Algebraist s’adresse principalement à ceux qui ont beaucoup lu d’aventures spatiales. Voila un livre sans doute impénétrable à ceux qui n’ont pas déjà de bonnes connaissances en gadgets SF: non seulement faut-il connaître la quincaillerie utilisée, mais il faut être familier avec le matériel source lorsqu’il est parodié…
The Algebraist ne sera peut-être pas au goût de tout le monde, mais il sera difficile de trouver un meilleur space opera cette année. Si la perspective d’un univers d’empires galactiques tout neuf vous fait déjà plaisir, précipitez-vous sur le livre et amusez-vous bien!
Je n’ai pas pu résister à l’envie d’envoyer le passage suivant à quelques correspondants:
Picking a fight with a species as widespread, long-lived, irascible and -when it suited them- single-minded as the Dwellers too often meant that just when -or even geological ages after when- you thought that the dust had long since settled, bygones were bygones and any unfortunate disputes were all ancient history, a small planet appeared without warning in your home system, accompanied by a fleet of moons, themselves surrounded with multitudes of asteroid-sized chunks, each of those riding cocooned in a fuzzy shell made up of untold numbers of decently hefty rocks, every one of them traveling surrounded by a large landslide’s worth of still smaller rocks and pebbles, the whole ghastly collection traveling at so close to the speed of light that the amount of warning even an especially wary and observant species would have generally amounted to just about sufficient time to gasp the local equivalent of `What the fu-?’ before they disappeared in an impressive if wasteful blaze of radiation. [P.160]
Iron Council, China Miéville
Ceux qui nominent des oeuvres pour les Prix Hugos (et qui, plus tard, votent pour déterminer le gagnant) ont des goûts souvent très prévisibles. Neil Gaiman, Lois McMaster Bujold et Robert Charles Wilson peuvent compter sur des fans invétérés qui assurent pratiquement leur nomination, année après année. China Miéville fait maintenant partie de ce groupe d’auteurs privilégiés, après de bonnes prestations pour Perdido Street Station et The Scar au ballot final.
Hélas, les fans peuvent parfois laisser leur affection d’un auteur chouchou prendre le dessus sur la qualité des oeuvres individuelles. Entendons nous bien: Iron Council n’est pas un mauvais livre. Mais après lecture, il est difficile de ne pas croire que la réputation de Miéville (et le regret de ne pas lui avoir décerné un prix pour un des deux livres précédents) a compensé pour les faiblesses de son roman le plus récent.
Iron Council est un retour à l’univers Bas-Lag, même s’il n’y a pour ainsi dire aucun personnage commun entre les trois livres de la série. Aucun, à l’exception de la cité de New Crobuzon, bien sûr; une fantastique métropole qui domine l’imaginaire de la série même in absentia. Mais dans Iron Council, les choses changent. Le gouvernement totalitaire de la ville va payer pour ses excès: Après des décennies d’oppression, la population de la ville est prête à se rebeller. Ne manque qu’un catalyseur, le conseil d’acier, un groupe ayant réussi à s’échapper dans la nature avec un train…
Les forces du roman sont évidentes: Une écriture époustouflante, des images saisissantes et une maturité politique loin de ce que l’on est habitué à lire en fantasy. L’image finale du livre en est une qui restera longtemps gravée dans la mémoire des lecteurs.
Et pourtant, le résultat final laisse froid. Les merveilles de Bas-Lag commencent à être familières après trois gros romans. Ce qui n’aide pas, c’est que Miéville est maintenant déterminé à utiliser dix mots quand cinq auraient suffis: Son écriture traîne non seulement au niveau phrase-par-phrase, mais souffre également d’égarement structurel. On s’ennuie un peu et on passe un bon moment à se demander quand l’histoire se mettra en marche. De façon plus problématique, Iron Council ne peut pas dépendre sur un protagoniste sympathique comme c’était le cas lors des deux premiers livres de la série. Le golemiste Cutter est à la fois trop puissant et trop absent pour nous impliquer. L’histoire reste donc un peu détachée, privée d’un point de vue solide par lequel on peut saisir toute l’importance des événements.
Dommage; j’étais pourtant bien disposé devant ce livre, et l’idée que Miéville est prêt à changer son univers est tout à fait admirable. Mais en fin de compte, il semble faiblir au dernier moment, et compenser en mettant trop de détail. Une déception légère, soit, mais une déception quand même.
Jonathan Strange & Mr Norrell, Susanna Clarke
Nous achevons notre tournée des romans en nomination pour les Prix Hugos 2005 avec un authentique bestseller international. Non pas que la chose soit complètement insolite dans les quelques cinquante ans d’existence des Hugos: Cherchez dans la liste des oeuvres gagnantes et vous y verrez des livres biens connus tels Dune, Starship Troopers, Neuromancer et Harry Potter. Mais le fossé entre les genres et le mainstream étant ce qu’il est, il n’est pas déplaisant de voir qu’un des romans les plus populaires de 2004 puisse trouver sa place au coeur du fandom SF.
Oui, Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke a bien vendu à travers le monde. Et pour cause: malgré un propos fantastique assez évident (le livre décrit une uchronie où, au début du dix-neuvième siècle, la magie réapparaît en Angleterre par l’entremise des deux magiciens titulaires.) le tout est réalisé avec un style pseudo-Regency bien accessible aux lecteurs de littérature mainstream. Ceux qui s’ennuyaient des livres à la Jane Austen (peu importe leur attachement à la fantasy) se régaleront à la lecture de cette brique: 782 pages, ce n’est pas rien, surtout quand la narration se veut lente et délibérée.
Vous ne serez donc pas surpris de m’entendre dire que peu importe l’excellence de l’écriture, trop c’est trop: Si on se laisse emporter par le style pendant quelques centaines de pages, le charme s’évapore lentement et avant peu on est naufragé à la page 500, trop investi pour abandonner la lecture mais exaspéré par le rythme hoquetant de l’ouvrage. Certaines sous-intrigues ne décollent jamais et les digressions initialement charmantes finissent par provoquer des roulements d’yeux. Je suppose que les lecteurs avec plus de tolérance pour la fantasy, le style vieillot et les livres interminables auront une meilleure opinion du livre.
Mais je m’en voudrais de paraître rejeter ce livre du revers d’une main fatiguée: En vérité, je reste assez impressionné par l’ambition de Clarke (recréer les guerres napoléoniennes, ce n’est pas rien!) et le style vaut le détour. La narration très British est tout à fait intrusive et ce de façon très plaisante: on imagine l’auteur (comme personnage créé par Clarke) s’offusquer pour nous à la description des événements du livre, et faire sa part pour préserver l’image de marque de l’Empire Britannique. Le roman est doté de notes en bas de page ahurissantes, bourré de références factices et s’étalant parfois sur plusieurs pages.
Très amusant, mais cinq cent pages de ce type de choses auraient été plus divertissant que huit cent pages. Au moins l’intrigue tient debout même si elle n’est nullement la raison pour laquelle lire l’ouvrage. En y regardant deux fois, j’y vois même une allégorie au sujet de Microsoft et du mouvement open-source, mais il est possible que j’imagine ici des choses pour mon amusement personnel. Quel qu’il en soit, je demeure assez ambivalent au sujet du livre: Si je ne suis pas mécontent d’avoir lu Jonathan Strange & Mr Norrell, j’hésiterait à le recommander… et je ne m’imagine pas le relire de sitôt.
Les nouvelles
Après ce tour d’horizon des romans en nomination pour les Prix Hugos 2005, passons rapidement sur les nouvelles en compétition pour le prix de la novella (17,500-40,000 mots), de la novelette (7,500-17,500 mots) et de la short story (moins de 7,500 mots) de l’année.
Je dis “rapidement” parce ce que, franchement, je suis plus à l’aise à commenter des romans: Plus de matériel à couvrir, plus de choses à dire. Cela n’aide en rien que les nouvelles en nomination ne m’ont pas impressionné outre mesure. Le temps aura son mot à dire, mais je ne crois pas qu’il y a un classique ou un chef-d’oeuvre intemporel dans la sélection de 2005.
Rappel: Quatorze des quinze nouvelles présentement en nomination sont disponibles gratuitement en ligne à partir de la page officielle des Prix Hugos. (La quinzième est disponible pour un prix modique, mais rien de ce que j’ai pu lire au sujet de l’oeuvre ne m’indique qu’elle a des chances d’attirer ma faveur.) Si ça vous dit d’avoir un coup d’oeil représentatif sur l’état de la SF de nos jours, vous savez où aller… mais dépêchez-vous, parce que rien n’indique que les histoires resteront disponibles après la fin de la période de vote.
Sur ce, entrons dans les détails…
Novella
Cinq histoires en nomination, dont “Winterfair Gifts” de Lois McMaster Bujold –la seule histoire qui n’est pas disponible gratuitement en ligne. Pas une grande perte en ce qui me concerne: McMaster Bujold écrit de façon exemplaire, mais sa SF est trop souvent du comfort food pour une audience de fans déjà acquis. Ces fans voteront de façon prévisible (elle a déjà beaucoup trop de Hugos sur son étagère) et je n’ai pas besoin d’y contribuer.
Charles Stross n’a rien de moins que deux histoires en nomination dans cette catégorie, sauf qu’il s’agit de fragments de séries existantes: “The Concrete Jungle” est une suite à “The Atrocity Archive” et “Elector” est le huitième segment (de neuf) de la série Accelerando. Je n’ai que des bonnes choses à dire sur ces novellas et sur ces séries (The Atrocity Archives était mon livre favori de 2004, et Accelerando sera vraisemblablement le livre SF de 2005. J’en reparlerai.), mais je suis d’avis qu’il est toujours préférable de voter pour une histoire qui se tient debout. Quel qu’il en soit, je dois dire que je me suis énormément amusé à relire “The Atrocity Archives” (caméras de surveillance, vaches en béton, batailles bureaucratiques, effet méduse, geekspeak et zombies, ouh-la-la!) et “Elector” est une véritable dose de future-shock concentré. Le “FAQ pour personnalités reconstruites” m’a bien fait rire.
Reste deux novellas indépendantes, toutes deux des histoires convenues exécutées d’une façon délibérément sentimentale. “Sergeant Chip” de Bradley Denton est de la SF militaire fortement teintée par les réalités de l’occupation iraquienne, racontée du point de vue d’un chien. Pas mauvais (et j’aime beaucoup la rage montante qui infuse la toute fin de l’histoire), mais on reste avec un triomphe d’atmosphère sur la substance. “Time Ablaze” de Michael A. Burstein laisse une impression similaire: C’est une histoire de voyage dans le temps tout ce qu’il y a d’ordinaire, mais écrit avec une clarté parfois boiteuse, et affligé par une finale où les convictions des personnages fondent comme neige au soleil dans le but d’offrir un happy ending plaisant mais sans relief.
Novelette
Je reste également sur ma faim en ce qui concerne les nouvelles en nomination dans cette catégorie. Généralement parlant, ces cinq histoires me laissent avec une même impression, à mi-chemin entre le haussement d’épaule et le manque d’intérêt.
“The Clapping Hands of God” de Michael F. Flynn est la nouvelle qui a laissé la moindre impression sur moi. Des explorateurs sur une autre planète subissent quelques aventures. Boaf. “The Faery Handbag” de Kelly Link (peut-être la seule histoire de fantasy explicite des quinze nouvelles en nomination) laisse une impression similaire: Alors que l’héroïne raconte des anecdotes au sujet de sa grand-mère et de son sac à main magique, on reste sous le charme de la narration, mais l’histoire s’évapore sitôt terminé la lecture. On imagine une grand-maman dire justement “that’s very nice, dear, but then what?”
Paolo Bacigalupi est un peu plus audacieux avec “The People of Sand and Slag”, alors que ses super-protagonistes prennent plaisir à se faire mal, conscient que se sera sans conséquence. La découverte insolite d’un chien (hé oui, une autre histoire de chien…) n’aura pas les répercussions que l’on imagine… Pas mal, mais ça prends du temps à arriver au coeur de la nouvelle, et le tout ne laisse pas vraiment une impression marquante.
Hélas, c’est aussi le sort qui afflige “The Voluntary State” de Christopher Rowe, peut-être ma plus grand déception des quatorze nouvelles. La réputation de l’oeuvre l’avait précédé (à Noreascon4, c’était un choix unanime d’un panel comme étant une des Grande Nouvelles de 2004), mais je me suis retrouvé confronté à une autre histoire d’un future post-nano-singulaire où le psychédélisme est de rigueur (voir les romans de Kathleen Ann Goonan) et mon intérêt tombe à plat. Peut-être ais-je manqué quelque chose: Je verrai si j’ai le temps de relire l’histoire avant de finaliser mon ballot de vote.
Ce qui nous laisse avec (grande respiration) “Biographical Notes to ‘A Discourse on the Nature of Causality, with Air-Planes’ by Benjamin Rosenbaum” de Benjamin Rosenbaum, une histoire trop longue mais relativement amusante où un écrivain (dans une uchronie où les dirigeables sont de rigueur) subit une aventure tout en réfléchissant sur la nature des aventures présentées sous forme de nouvelle. Peut-être un peu trop joli et autoréférentiel pour être un succès… et l’écriture légèrement verbeuse ne rends pas justice au concept.
Short Story
Ici aussi, plein de comfort food pour le fan aguerri. Des nouvelles conçues pour plaire à l’amateur, pour le flatter dans le bon sens du poil, pour le féliciter d’être abonné à la SF. Prenez “A Princess of Earth” de Mike Resnick, tiens: Un homme solitaire découvre John Carter (de Burroughs) sur sa pelouse enneigée. S’ensuit une discussion, une révélation et une conclusion qui peut être interprété comme un effondrement psychotique du narrateur. Contenu purement science fictionnel: zéro.
Les mêmes fautes affligent “Travels with My Cats” du même Mike Resnick: La fascination d’un jeune homme pour un livre mène à (au choix), un peu de voyage dans le temps, ou bien un départ du narrateur pour coucou-land. Mais c’est raconté dans un style charmant et accessible, de la part d’un narrateur qui, je déteste admettre, semble calqué sur le profil typique d’un fan. Mais encore là, ce n’est pas une histoire de SF autant que c’est une histoire exploitant la SF.
“The Best Christmas Ever” de James Patrick Kelly ne m’a laissé aucune impression. N’en parlons donc pas.
“Decisions” de Michael A. Burstein réutilise une idée bien éculée, mais réussit à faire feu avec du petit bois: Cette histoire d’astronaute naufragé dans le temps et l’espace aurait pu être écrite à n’importe quel moment depuis quarante ans (comme la plupart des histoires de Burstein, mais bon…), y compris le style clair et un peu maladroit.
Finalement, on y trouve “Shed Skin” de Robert J. Sawyer, le noyau de ce qui allait plus tard devenir son roman Mindscan. Si vous avez déjà lu des nouvelles de Sawyer, vous savez qu’il n’est pas à son meilleur sur de courtes distances. En ce qui me concerne, j’ai été incapable de lire l’histoire sans avoir l’impression de relire le roman en accéléré, et ce même si la conclusion est assez différente.
Voilà donc pour les nouvelles. Conclusion de la série demain, alors que je passerai brièvement sur le reste des catégories.
Autres catégories
Pour mettre fin à notre tour d’horizon des Prix Hugos 2005, nous allons terminer la semaine avec un survol des autres catégories, un dernier examen comparatif des livres en lice pour le prix du meilleur roman et quelque prédictions gratuites.
Si les spéculations ne vous intéressent pas vraiment, dites-vous que nous ne reparlerons pas des Hugos avant le dimanche 7 août, date de la cérémonie de remise des prix. Avec un peu de chance et la réalité des fuseaux horaires, nous serons alors en mesure de terminer la fin de semaine avec un peu d’indignation prévisible.
En attendant, quelques pensées au sujet des autres catégories des Prix Hugos:
Meilleure présentation dramatique (film): Hmm… Si ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND était le film de SF le plus solide de la liste, et si SKY CAPTAIN AND THE WORLD OF TOMORROW avait une rétro-esthétique époustouflante, THE INCREDIBLES atteint, je crois, le meilleur équilibre populaire entre style et fond, accessibilité et plaisir de visionnement. SPIDERMAN 2 et HARRY POTTER 3 ont beau avoir été de bons succès, je ne vois pas assez de contenu ici pour susciter beaucoup d’enthousiasme.
Les catégories évidentes: Certaines personnes semblent abonnées à certaines récompenses. Peu importe de ce que l’on peut penser de leur contribution individuelle en 2004, il y a de bonnes chances que Locus, David Langford, Gardner Dozois et Emerald City récoltent les mêmes prix que l’an dernier. (Bien mérités dans tous les cas, bien que j’aimerais bien voir David G. Hartwell revenir à la maison avec un Hugo, un de ces jours…)
Meilleur artiste: Comment choisi parmi ces cinq peintres talentueux? Frank Kelly Freas est un choix sentimental étant donné sa mort plus tôt cette année, mais quelle a été sa production en 2004? Je suis bien content de voir John Picacio dans la liste des nominés, pour la première fois, mais tout se jouera entre Jim Burns, Bob Eggleton et Donato Giancola, avec peut-être un avantage à Eggleton étant donné sa popularité parmi les fans. (Moi, j’irais avec Giancola, mais sans être déçu si Burns l’emporte.) Une difficulté évidente dans cette catégorie est que l’on ne nous offre aucune œuvre concrète: Pas de listes de tableaux réalisés en 2004, tiens, ce qui nous oblige à voter sur un vague sens de “ce que le gars a fait récemment”, encourageant le pur fan-vote.
Pour les autres catégories, oubliez ça: Je ne m’y connais pas suffisamment, et mon intérêt pour certains prix (Meilleure présentation dramatique: Épisode de TV) est à peu près nul.
Mais pour en revenir à la catégorie du meilleur roman, il est clair que je préfère River of Gods aux quatre autres concurrents, suivi par Iron Sunrise et, un peu plus loin, The Algebraist. Mais chaque fan aura sa propre idée, ce qui ne m’empêchera pas d’évaluer les chances de chaque livre selon des critères indépendants à leur qualité. En effet, il faut aussi compter sur…
- …la fan-base: Ici, Susanna Clarke (méconnue au sein du fandom) souffre en comparaison du duo Miéville-Stross (le choix des jeunes fans branchés) et l’autre duo Banks-McDonald (deux vieux routiers bien établis avec d’excellentes réputations.) Heureusement, les cinq nominés sont du Royaume-Uni, ce qui nivelle les chances que, disons, un américain puisse dépendre du bloc de fans provenant des États-Unis.
- …la disponibilité de l’oeuvre. Désolé, Banks et McDonald: Pour que les fans américains puissent voter pour vous, il faut qu’ils puissent se procurer les livres en territoire américain. Stross a des éditions anglaises et américaines, mais son livre étaient classés dans la section “SF&F” alors que Clarke et Miéville étaient sur le bloc des best-sellers…
- …le sentiment qu’un prix est dû. Ici, on voit un clivage en trois parties identiques à celui de la fan-base. Banks a longtemps travaillé sans rien gagner pour ses efforts: Serait-ce son année? La même chose va pour McDonald, légèrement moins bien connu. Pour Miéville et Stross, hé bien ce n’est pas la première fois qu’ils sont nominés, mais il y a un sentiment que leur chef-d’oeuvre reste encore à venir. Pour Clarke, hé bien, aucune attente et aucune sentiment de redevance.
- …le buzz. Ici, on notera que Banks et Mieville ont reçus des critiques mitigées et parfois décevantes, alors que Stross et Clarke ont leur lot de critiques allant de moyennes-à-bonnes. Seul McDonald a récolté un tas de critiques élogieuses sans grande dissension.
- …le facteur-British. On peut dire ce que l’on veut de notre perspective nord-américaine, le fait est que ce sont ceux qui seront à la Worldcon qui vont voter, et que cette année il y a une proportion significative des fans qui ne sont pas américains. Comment ceci influera-t-il le vote? Impossible à dire. Dans diverses discussions ailleurs sur le web, on a pu lire des conclusions telles “Clark va gagner même si McDonald le mérite le plus.” Anticipation ou délusion? Le temps le dira.
En attendant, bonne lecture!