Prix Hugo 2006: Hugomania!
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Ou: Commentaires sur la course dans la catégorie du meilleur roman, tel que présenté sous forme de retranscription d’un tournoi de lutte télédiffusé.
(Ouverture à l’aide de logo numériques et d’une introduction musicale forte en cymbales: Ceci est une présentation de l’unité des sports de Fractale Framboise. Woosh! Woosh! Des couvertures de livres explosent à l’écran, représentant une succession des grands romans de science-fiction de 1951 à aujourd’hui. Les logos et la musique, une version à peine modifiée du thème de la Soirée du Hockey, cèdent progressivement la place à nos deux animateurs: Ron Fournier et Gilles Tremblay.)
Gilles: Bonjour mesdames et messiers et bienvenue à Hugomania 2006! Soirée excitante ici même à Anaheim alors que quatre des livres en lices pour le Hugo du meilleur roman vont se taper dessus pour décider lesquels méritent de rentrer à la maison avec la grosse fusée.
Ron: Rappelons tout de même, cher Gilles, que tout ceci se déroule exclusivement dans la tête de l’auteur de ce billet.
Gilles: Et donc que le résultat n’a aucune valeur en ce vrai monde, à part peut-être celle du divertissement.
Ron: Et encore là.
Gilles: Mais décrivons ce qui va se passer ce soir.
Ron: Il s’agit d’un tournoi d’élimination où les mérites des livres seront comparés l’un à l’autre en deux rondes, passant de quatre livres à deux, puis au grand gagnant.
Gilles: Le tirage au sort a donc décidé que la première ronde serait jouée continent par continent.
Ron: Tout à fait exact, mon Gilles: Nous allons commencer par un affrontement écossais entre Accelerando de Charles Stross et Learning the World de Ken MacLeod, suivi d’une classique américaine alors que le canadien Robert Charles Wilson va mesurer son Spin contre Old Man’s War de John Scalzi. Puis les gagnants des deux rondes vont s’affronter dans un match à cage fermée où un seul en ressortira digne de repartir avec un superbe symbole phallique.
Gilles: Remarquons qu’un des cinq romans en nomination n’est pas présent ce soir.
Ron: Il n’y aura effectivement aucune mention d’A Feast of Crow de George R.R. Martin, sous prétexte que c’est la première moitié d’un quatrième volume d’une série qui ne se conclura pas avant 2020 et que l’auteur de ce billet a d’autre chose à faire dans la vie que de se taper trois mille pages pour attendre encore quatorze ans que ça se termine. En plus, c’est de la fantasy.
Gilles: Ouache.
Ron: Tu l’as bien dit, mon Gilles.
Gilles: Sans plus attendre, voici Céline Dion pour la présentation des hymnes nationaux.
(Céline Dion entre dans l’arène où se dérouleront les combats, puis est lapidée à coups de gros romans de fantasy lancés par des fans impatients. On la retire via civière.)
Gilles: Je crois qu’il n’y aura pas d’hymnes nationaux ce soir.
Ron: La carrière de Robert Jordan aura au moins servi à ça.
Gilles: Voici donc venu le temps de signaler la première ronde!
Première ronde: Accelerando de Charles Stross versus Learning the World de Ken MacLeod
Gilles et Ron: Ding!
Ron: La foule retient son souffle en attendant l’entrée en scène des deux combattants.
(Enters Ken MacLeod. Quelques applaudissements polis.)
Ron: Et voila donc Ken Macleod, le bouledogue socialiste d’Edinburgh.
Gilles: Alors qu’il se prépare, admirez le profil court et élégant de Learning the World, un roman abordant le thème classique du contact entre les humains et les extraterrestres.
Ron: À entendre la foule, MacLeod semble récolter une appréciation polie mais réservée.
Gilles: Tout à fait exact, mon Ron : Bien que la plupart des critiques s’entendent pour dire que Learning the World est parfaitement adéquat, l’impression reste que l’on a nominé MacLeod surtout pour ses romans précédents, ainsi que pour un sentiment de culpabilité de ne jamais lui avoir décerné le Hugo malgré plusieurs nominations.
(Enters Charles Stross. La foule hurle de délire. Des affiches sont brandies : «Stross rocks», «Acceleright-on», «Eat me, fluffy Cthulhu», etc.)
Ron: Quelle réception! Stross, le technomage shaolin d’Edinburgh, n’a cessé de cultiver les affections du fandom depuis ses débuts faniques au milieu des années 1980. Ils l’ont récompensé en 2005 pour «The Concrete Jungle».
Gilles: Alors que les deux combattant terminent leur préparatifs, mentionnons le cas unique d’Accelerando, un fix-up de neuf nouvelles précédemment publiées dans Asimov’s, décrivant le passage de l’humanité à travers la singularité technologique.
Ron: Oooh, la méchante singularité.
Gilles: Accelerando a été extrêmement bien reçu par la critique, bien que certains sont restés déçu par le manque de chaleur des personnages.
Ron: Ce qui est à peu près aussi utile que de critiquer la chapelle Sixtine pour son manque de tapis.
Gilles: Mais taisons-nous alors que l’arbitre donne le signal du combat.
Robbie le robot: Bip.
Ron: Et c’est parti! Oh! MacLeod ouvre son jeu en assénant un solide coup de poing à l’estomac de Stross : Learning the World, après tout, est un des romans les plus accessibles de l’auteur jusqu’ici, qui semble avoir privilégié un nombre modeste d’idées pour une écriture plus limpide. Une droite tout à fait dans les règles du marquis de Queensbury!
Gilles: Mais Stross reste de glace! Le coup l’a à peine fait sourciller, ce qui n’est pas surprenant étant donné la densité dangereuse d’Accelerando. Mais va-t-il répliquer? Jusqu’ici, rien de bouge-
(Et vlan : MacLeod est par terre.)
Ron: Ho! Qu’est-ce qui s’est passé là?
Gilles: Passons à la reprise en ralenti.
(La reprise au ralenti n’est qu’un nuage indistinct.)
Gilles: Toujours trop vite! Passons à la reprise au nano-ralenti!
(Une série d’images fixes montrent la scène alors que Stross bute sa tête dans l’estomac de MacLeod, le projette en l’air, le pilonne de coups de poings à deux mètres au-dessus du sol, et a le temps d’écrire un autre roman avant que le corps de son adversaire ne retombe à terre. Comme indignité finale, Stross conduit une tondeuse sur le corps de MacLeod.)
(La foule reste hébétée pendant un moment.)
Gilles (éventuellement): Incroyable!
Ron: Le roman écrit par Stross pendant l’affrontement a même eu le temps d’être nominé aux prix Hugo de l’an prochain.
Gilles: Stross a tout simplement zidanné son adversaire.
Ron: Est-ce que les juges ont décidés?
Gilles: Ils trouvent ça génial! La ronde va à Stross!
(Hurlements enthousiastes de la foule alors que Stross quitte l’arène.)
Deuxième ronde : Old Man’s War de John Scalzi versus Spin de Robert Charles Wilson
Ron et Gilles: Ding!
Ron: C’est un autre affrontement entre le Canada et les États-Unis à rivaliser la guerre commerciale au sujet du bois d’oeuvre.
(Enters John Scalzi, bondissant. Des centaines de fans se portent spontanément volontaires pour le bodysurfer jusqu’à l’arène.)
Ron: Que dire au sujet du début fracassant de Scalzi?
Gilles: Rien, si ce n’est que de souligner l’incroyable portée de Scalzi via son blog. Old Man’s War en édition cartonnée s’est tellement bien vendu par Amazon.com que les librairies traditionnelles ont eu de la difficulté à se procurer des exemplaires du distributeur! Pour un premier roman, il s’agit d’un résultat exceptionnel.
(Scalzi continue de gesticuler à la foule, qui en redemande. Surchargé d’énergie, Scalzi se permet même un peu de krumping.)
Ron: Scalzi est entouré de milliers d’amis, preuve étonnante de son accession rapide au centre du discours SF contemporain, surtout sur le web. Mais qu’en est-il d’Old Man’s War?
Gilles: Consciemment écrit pour calquer Heinlein et prendre avantage de la vague de SF militaire, Old Man’s War a récolté d’excellentes critiques qui ont su reconnaître ce que Scalzi tentait d’accomplir avec ce premier roman.
(Enters Robert Charles Wilson. La foule applaudit poliment.)
Ron: Et voilà que s’avance son adversaire. Contrairement à Scalzi, Wilson est un vieux routier. Il écrit régulièrement depuis A Hidden Place en 1986, mais ce n’est qu’après le succès de The Harvest en 1992 et de Darwinia en 1999 qu’il a attiré l’attention critique, puis populaire. Ses romans sont régulièrement en nomination pour le Hugo depuis lors et Spin a reçu des critiques élogieuses, mais est-ce que cette année sera son année?
(Wilson incline de la tête vers la foule.)
Gilles: Chose certaine, il s’agit de deux écrivains très différents.
Ron: Scalzi est un Américain hyperactif, alors que Wilson est un Canadien réservé. Le symbolisme me pue au nez.
Robbie le robot: Bip.
Gilles: Et vlan! Scalzi décoche un premier coup avec son rythme d’enfer et un premier chapitre très astucieux.
Ron: Oh! Wilson réplique par une ouverture plus subtile, mais tout aussi efficace à entretenir le mystère.
Gilles: Pow! Scalzi exploite les résidus mémoriels de Henlein pour plonger ses lecteurs dans un bain chaud de confort SF.
Ron: Smash! Wilson a une écriture qui nous révèle des personnages complexes qui ne seraient pas déplacés dans un roman mainstream!
Gilles: Bang! Scalzi sait reformuler les gadgets au goût du jour!
Ron: Croink! Wilson réplique par des concepts science-fictionnels repiqués et améliorés d’Asimov et d’Egan!
Gilles: Ka-Blam! Scalzi sait écrire des scènes d’action sensass!
Ron: Kablouiee! Wilson répond avec des séquences qui combinent les émotions avec de la hard-Science!
Gilles: Le combat est féroce! Scalzi continue de prendre l’initiative, mais Wilson est capable de tout encaisser! Est-ce que le combat ira en deuxième ronde?
(Les deux combattants sont exténués, se regardant tout en essayant de ne pas s’effondrer par terre. Finalement, Wilson décoche un coup de pieds aux parties sensible de Scalzi, qui s’effondre par terre.)
Gilles: Wow! Scalzi a beau être un jeune punk ambitieux, il vient d’apprendre que rien ne vaut un peu d’expérience en sales coups!
Ron: Les juges semblent être d’accord! Wilson passe en finale!
Ronde finale : Accelerando de Charles Stross versus Spin de Robert Charles Wilson
Ron et Gilles: Ding!
Gilles: Et ça y est! La ronde finale! Le grand combat transatlantique!
Ron: Il n’y aura aucune pitié pour nos combattants alors que la cage est installée au-dessus de l’arène!
Gilles: C’est un affrontement à mort! À intervalles irréguliers, des scorpions, et des serpents, des porcs-épics venimeux et des steaks saignants seront relâchés du haut de la cage!
Ron: Steaks dans l’arène!
Gilles: Et si le combat dure plus de cinq minutes, dix des critiques littéraires les plus baveux seront aussi relâchés dans la cage!
Ron: Ils sont tellement frêles qu’ils ne seront d’aucun danger aux combattants, mais ce devrait être amusant de les voir se faire attaquer par les porcs-épics.
Robbie le robot: Danger! Danger!
Gilles: Le combat est imminent alors que Stross et Wilson sont descendus dans la cage à l’aide de plateformes télécommandées.
Ron: C’est le moment parfait pour rappeler que toute reproduction de ce match est interdite à moins d’autorisation écrite des producteurs. Et beaucoup d’argent.
Robbie le robot: Bip!
Gilles: Les deux combattants sont déjà affairés à se taper dessus! Stross est toujours frais et dispos après sa victoire éclatante sur MacLeod, et on dirait qu’il utilise chaque partie de son corps pour taper sur son adversaire!
Ron: En revanche, admirez comment Wilson, en vétéran aguerri, sait raffiner sa technique pour parer à l’attaque de Stross.
Gilles: Voici que Stross utilise de son style à haute bande passante pour asséner quinze coups par page!
Ron: Et voilà que Wilson réplique par l’humanisme de ses personnages! Quelle parade!
Gilles: Stross contre-attaque avec une corde électrique régurgitée pour démontrer à quel point il est branché!
Ron: Mais Wilson vient de lui faire le coup de la narration à la première personne sans détachement ironique!
Gilles: Les vieilles techniques restent les meilleures. Voyez comment Wilson encaisse les envolées de Stross et se paie le luxe de lui égratigner l’ongle du petit doigt en arrière de l’oreille!
Ron: Un geste subtil qui montre bien la différence entre le charme classique amélioré de Wilson et le style grossièrement hyperactif de Stross.
Gilles: Les foulées d’yeux de Stross semblent affliger Wilson!
Ron: Mais celui-ci répond en disant qu’il n’y a pas de sadomasochisme dans le premier chapitre de son livre.
(La foule s’exclame d’un soupir surpris.)
Gilles: Un coup bas, Ron, un coup très bas.
Ron: Mais une manoeuvre efficace, Gilles, alors que Stross se défend en montrant le troisième quart mou de Spin.
Gilles: Décidément, la bataille devient vicieuse.
Ron: Et voilà que Wilson fait ravaler à Stross qu’Accelerando n’est qu’un gros tas d’exposition qui n’est accessible qu’aux fanas attardés de Slashdot.
Gilles: Et à Stross de répondre que Wilson a tout volé d’autres auteurs ou de ses livres précédents et que Spin n’est bon qu’à endormir les enfants. Tout aussi attardés, de préférence.
Ron: Que l’audience à la maison pardonne cette descente disgracieuse dans le niveau de lutte littéraire ici démontré.
Gilles: Mais Stross, encouragé par la foule, change de tactique et hurle qu’Accelerando est l’exemple parfait de la SF telle qu’elle devrait l’être, montrant un futur possible et plein de dangers!
Ron: Wilson, de son côté, maintient que c’est Spin qui montre le mieux la SF telle qu’elle devrait être conçue, en hybride parfait entre la littérature générale et les merveilles de la science!
Gilles: Ce combat s’éternise et ne montre aucun signe de se terminer! Trouvera-t-on un gagnant avant la sortie éventuelle des Last Dangerous Visions?
Ron: La foule menace de déclencher une émeute! Les fans ne cessent de hurler et de lancer des choses sur la cage!
Gilles: De nouveaux nés, des DVDs de Firefly, des premières éditions de Heinlein, oh l’humanité!
Ron: Mais Cheryl Morgan vient de lancer une bouteille de Jolt au centre de l’arène! La bouteille s’immobilise entre les deux participants!
Gilles: Stross s’empare de la bouteille, arrache le capuchon avec ses dents et avale le liquide d’une traite!
Ron: Jackie Chan est devenu célèbre grâce à la boxe saoularde, mais je crois que nous allons maintenant assister à de la lutte littéraire hypercafféinée-
(Un flash et un bruit de tonnerre. La fumée se disperse…)
Gilles: Stross vient de se transformer en monstre tentaculaire!
Ron: Il vient d’avaler Wilson! Il empiffre la cage, les scorpions, les porcs-épics, les steaks et les critiques!
Gilles: Il avance sur la foule et bouffe la première rangée de spectateurs!
Ron: Ceci pourrait affecter ses chances de nomination aux prochains Prix Hugo.
Gilles: Tout à fait, mais peut-être pas de la manière que l’on pourrait initialement l’anticiper.
Ron: Alors que Stross s’empiffre de l’audience du Anaheim Convention Center, ici Ron Fournier et Gilles Tremblay qui s’apprêtent à suivre le reste de la galerie de presse vers la sortie.
Gilles: Nous vous remercions d’avoir été des nôtres et espérons vous revoir l’an prochain.
Ron: S’il reste quelqu’un sur terre l’an prochain.
Gilles: Et nous profitons pour préciser que ceci n’était qu’un texte d’humour et qu’aucune insulte aux véritables célébrités mentionnés ici n’est voulue.
Ron: À part le bout avec Céline Dion, que nous aimerions vraiment voir lapidée à coups de romans de fantasy.
Gilles: Mais peu importe ces précisions, parce que personne n’aura eu la patience de lire jusqu’ici.
Ron: À la prochaine!
Gilles: Que le grand Cthulhu nous préserve!
(Générique de fermeture, éventuellement remplacé par les hurlements de la foule digérée.)