Essai: Question de noms
Lorsqu’on n’a pas le temps d’écrire des billets profondément songés, on en revient au vieux classique: Se plaindre au sujet de peccadilles. C’est donc dans la lignée de cette honorable tradition que je me permet une petite montée de lait au sujet d’un enjeu tout à fait inconséquent: Les personnages aux noms similaires.
J’étais plus précisément en train de lire un roman de fantasy il y a quelques jours quand je me suis rendu compte que trois personnages avaient des noms se ressemblant beaucoup. Puis j’ai rencontré le passage suivant:
—Lyntas aura posté des archers sur les toits autour de la grande-place et nous mourrons avant d’atteindre Léane, riposta Dansec d’un ton lugubre.
— Nous? Parce que tu comptes nous aider? » s’étonna Léonte.
Hé oui! Trente-trois mots trouvant moyen de mentionner trois personnages aux noms de 5-6 lettres commençant par L, dont deux partageant la construction initiale “Lé…”
(Par respect pour l’auteur et l’éditeur, je tairai le titre de l’oeuvre afin de ne pas les associer à un billet sans conséquences, et j’encourage ceux qui voudraient commenter à satisfaire leur curiosité avec une recherche Google élémentaire, puis demeurer aussi discrets dans leurs interventions.)
Comme lecteur, c’est le genre de chose qui m’agace. Je ne suis sans doute pas le seul, en lecture rapide, à reconnaître les noms inventés selon leur forme plutôt qu’à les lire au long. Mentalement, “Dansec” devient à peu près “Dxxxxx” et “Nantor” devient “NxxXxx.” Pour Lyntas, Léane et Léonte, vous pouvez imaginer que le réflexe ne tiens plus: J’ai tendance à réduire soit à Lxxxx, ou LxxxXx ou Léxxxx, qui ont tous plus qu’un analogue.
Je prends ces trois noms comme exemples, mais vous aurez compris que cette montée de lait s’attaque à tout le phénomène des personnages aux noms similaires. Comme lecteur, c’est le genre de chose qui affecte ma lecture, et jamais dans une direction positive.
La science-fiction et la fantasy sont des genres particulièrement susceptibles à de tels difficultés étant donné l’habitude de mettre en vedette des noms sans aucun référent dans nos vies. Je parie qu’aucun lecteur canadien-français n’aurait de difficulté à distinguer Marc et Michel, sans doute parce que nous connaissons des Marcs et des Michels. Mais différencier au premier coup d’œil trois noms qui ne veulent rien dire de concret? Moins facile.
Je sais que les auteurs ont habituellement d’excellentes raisons de donner tel ou tel nom à des personnages. En discussion avec Jo Walton à Boréal (dont l’excellent Tooth and Claw comportait néanmoins des doublons tels Avan/Amer et Sebeth/Selendra), elle a avoué avoir tenté de résoudre ce qu’elle reconnaissait comme étant un problème, sans succès.
Hélas, ceci fait partie du grand fossé qui sépare parfois les lecteurs des auteurs, et quand vient le moment de vendre des livres, ce sont les lecteurs qui ont raison. (Pour fins de référence, je ne crois pas à l’excuse “mais je veut que les lecteurs portent plus attention”: Si les lecteurs sont intéressés, ils porteront attention. Sinon, ce ne sont pas des trucs de la sorte qui vont magiquement les convertir à votre talent.)
Pour les curieux: Je ne suis certainement pas le seul à décrier cette pratique. Une recherche rapide pour “similar names” nous révèle plein de conseils encore plus éloquents que les miens:
- En fantastique: As a rule of thumb, similar-sounding names are taboo in fiction because they can confuse readers.
- En meurtre-et-mystère: Don’t give similar names to your characters, like Bill and Bob and Bret. Don’t confuse the reader.
- Au sein d’un article sur comment nommer des personages: When writing a story populated with a cast of characters, make sure the names differ. It will confuse the reader if several characters have names beginning with the same letter of the alphabet, or if character names begin with the same first and last letters, such as Jack Tyler and Jake Trask.
- Et finalement, une chronique dédiée au sujet: You’d think authors would naturally be aware that similar names might confuse their readers. Not so: I read a novel where the author gave me a Jenny, a Janey and a Janine. I kept breaking away to remind myself who was who. And a reader who pulls away from a story is bad news for the author, who ought to want to keep the reader gripped.
On peut imaginer des situations où il serait raisonnable ou pratique (voire même habile) d’avoir des quasi-homonymes. Dans un des romans comiques de Ludlum, si je me souviens bien, on pouvait trouver deux personnages tertiaires (des cousins) au même nom hautement improbable, et la confusion entre les deux était une source d’embarras soutenu pour le protagoniste. Kim Stanley Robinson, dans Years of Rice and Salt, utilisait cette confusion à son avantage: Au fil des réincarnation de ses personnages, “B” et “K” conservaient la même première lettre de leurs noms. (Bold, Bistami, Butterfly, Bahram; Kyu, Katima, Kheim, Khalid…) Dans les deux cas, vous remarquerez que l’auteur connaissait le potentiel à confusion et l’utilisait à son avantage.
Mais pour la vaste majorité des œuvres et des auteurs, la morale de l’histoire reste la même: Assurez-vous de différencier vos personnages au premier coup d’œil!