Congres 2006: Readercon 17
Dans l’écosystème des congrès de science-fiction, Readercon s’est taillé une niche bien spécifique: Il s’agit d’un congrès dédié à la forme littéraire du genre. Pas de Klingons, de mascarade, d’animé, de jeux de rôle ou de filking à l’horizon: La salle de vente est carrément appelée une librairie et la SF media est reléguée à une ou deux table rondes bien spécifiques.
Bref, ça ressemble beaucoup à un congrès Boréal. Sauf que Readercon s’adresse au public anglophone du nord-est américain, ce qui veut dire une audience de 400-500 personnes, une centaine d’auteurs, des invités d’honneur tels James Morrow et China Miéville, des participants tels John Clute, David G. Hartwell et Thomas M. Disch ainsi que des auteurs invités tels Barry N. Malzberg, Kelly Link et John Scalzi. Quarante-huit heures intenses de discussions sur l’état des genres, le fonctionnement de l’industrie et la relation entre l’œuvre et le lecteur. Bref, du rêve pour les amateurs purs et durs des genres de l’imaginaire.
Readercon 17 s’est paisiblement déroulé du 7 au 9 juillet 2006. Voici mon rapport fragmentaire de ce qui s’y est passé.
Les Etats-Unis, Boston et les environs
Mais avant de s’attaquer à la convention elle-même, quelques mots sur un voyage en terre étrangère.
On dira ce que l’on veut sur le manque de différence entre le Canada et les États-Unis, il y a toujours une certaine tension à se rendre au sud de la frontière. L’infâme système impérial; la monnaie américaine avec ses billets indifférenciables et son manque distinct de pièces de un et deux dollars; le militarisme sous-jacent; et ainsi de suite. De plus, la région bostonienne est reconnue pour le manque de savoir-vivre de ses conducteurs et de ses piétons, une affliction causée par une signalisation routière soit absente ou bien mensongère.
Mais Boston est peut-être la plus canadienne des villes américaines, ce qui explique pourquoi j’ai pris plaisir à y retourner deux ans après une visite initiale dans le cadre de Noreascon4. Le centre-ville de Boston est un mélange étonnant de neuf et de traditionnel, des gratte-ciels vitrés côtoyant des édifices datant de la révolution américaine. Boston est une ville à la fois riche et intelligente : on ne s’étonnera donc pas d’y voir une métropole dominé par un fort sens civique. Marcher à travers le centre-ville est toujours une aventure plaisante.
Deux ans après la fin des travaux du Big Dig, le centre-ville est encore marqué par des travaux de construction. Si le « monstre vert » de l’autoroute surélevée est disparu, les terrains vagues laissé derrière attendent encore d’être réutilisés. Des débris jonchent encore cette section du centre-ville.
Je suis passé à deux reprises au centre-ville durant mon séjour à Boston pour Readercon 17 : La première fois, je suis passé près du célèbre Garden peu avant un spectacle de Madonna. Les limousines abondaient. Ma deuxième visite au centre-ville a eu lieu tout juste après la victoire de l’Italie à la Coupe du Monde. Klaxons et drapeaux italiens étaient évidemment au rendez-vous.
Mais Readercon 17 n’avait pas lieu au centre-ville de Boston. Loin de là, en fait, à une trentaine de kilomètres au nord dans une petite ville du nom de Burlington. De l’enfer de la circulation Bostonienne, nous sommes passé au purgatoire de la banlieue américaine. Impossible d’aller où que ce soit sans une automobile et beaucoup de temps, l’hôtel étant isolé au milieu de nulle part. Un centre commercial et un restaurant italien de l’autre côté de l’autoroute repoussaient les limites de ce que l’on peut considérer comme « à distance de marche ». En ce qui concerne le transport en commun… oubliez ça : Même la station de métro était à vingt minutes d’automobile.
Mais bon. Une fois commencé le congrès, pourquoi mettre le nez dehors?
Tout au sujet du programme
Malgré quelque cafouillis pré-congrès (manque de confirmation d’inscription, absence de rapport d’étape #2, mises à jour tardives du site web), Readercon 17 n’a pas fait démentir sa réputation d’événement bien rodé. Une inscription efficace, des salles bien indiqués et de nombreux détails fait pour nous mettre à l’aise : ce n’est pas la première fois que l’équipe de Readercon fait ce travail.
Le confort est tout aussi évident si vous jetez un œil au programme de la convention. Clairement, ces tables rondes s’adressent à un public qui n’en est pas à ses premières excursions en genres imaginaires : ici, on s’intéresse aux mécaniques de la littérature, aux rapports profonds entre l’écriture et l’expression, aux liens qui unissent livres et idées. Le niveau de discussion à Readercon est beaucoup plus élevé qu’à des conventions d’une grosseur comparable parce qu’elle s’adresse justement à un public spécialisé. Si vous n’avez pas envie de vous inscrire au congrès en lisant le programme, c’est que Readercon ne s’adresse pas à vous… et votre absence sera d’une aide précieuse à la convention.
Mais pour les autres, Readercon frappe un juste milieu. Suspension d’incrédulité (voire même de philosophie), bibliolisme, utopies contradictoires, métafictions, « New Weird » et les liens entre la narration et la neurobiologie sont tous au programme trop vite terminé. Il y a toujours au moins trois choses intéressantes en même temps, et c’est sans compter les conversations dans les corridors.
Un de mes événements favoris du congrès a été le «Bookaholics Anonymous Annual Meeting», une rencontre thérapeutique où les biblioliques ont pu échanger leurs difficiles expériences à traiter de leur addiction favorite. Clairement, certains ont plus de chemin à franchir que d’autres, à entendre parler d’étables converties en bibliothèques, ou bien d’un collectionneur pris pendant deux heures sous les décombres d’une pile de bibliothèques effondrées comme des dominos. (Il s’en est tiré seul après avoir démonté les bibliothèques; il n’a pas eu une égratignure et un seul livre a souffert de l’effondrement.) Curieusement, on a constaté une absence complète de contrition chez les participants…
Il n’y a pas que les tables-rondes, bien sûr. En plus des lectures (plus de 75, la plupart des auteurs bénéficiant de trente minutes chacun), Readercon offre des kakkeclatches où l’on peut échanger avec des auteurs en groupes de huit, ainsi que des présentation où des auteurs peuvent disposer d’une audience attentive pour leur parler de ce qui leur tient à cœur. Ces présentations sont aussi variées que les auteurs qui se portent volontaires pour en donner. Par exemple, Jean-Louis Trudel a profité de l’occasion pour parler des origines historiques des petits bonhommes verts…
…alors que John Scalzi a décrit comment il a écrit The Ghost Brigades…
…pendant que Peter Watts, en bon représentant de FizerPharm, nous a livré les résultats des recherches qui visent à exploiter les retombées commerciales du vampirisme.
Mais ne parlons surtout pas de la librairie, des aubaines que l’on peut y trouver, des exemplaires rares qu’on y déniche ou bien des auteurs qui peuvent nous dédier des œuvres sur le champ. Ne parlons pas de la pureté d’une salle de vente où tous les vendeurs (sauf un) vendent du matériel à lire. Ne parlons surtout pas d’un endroit où le seul facteur limitatif est le seuil auquel les douanes considèrent que l’on est un revendeur de livres qui importe de la marchandise plutôt que quelqu’un qui aime vraiment, vraiment lire.
(En revanche, on peut parler de A Princess of Roumania de Paul Park, livre de poche distribué gratuitement à ceux qui étaient à Readercon. Premier roman d’une trilogie, bien sûr: Les gens de Tor savant ce qu’ils font en “donnant” un livre.)
Readercon comporte également quelques activités de marque, habituellement en fin de soirée. Le vendredi est marqué du « Meet the Pros(e) Party », durant lequel les professionnels peuvent littéralement échanger quelques mots avec les fans. Le samedi après-midi se termine par des entrevues avec les invités d’honneur. Dans ce cas-ci, China Miéville a tout cassé durant une heure à la fois hilarante, profane et songée (il ne fallait pas rater sa sortie contre les démocrates américains trop centristes. L’audience étant des environs de Boston, il a récolté un tonnerre d’applaudissements), alors que James Morrow s’est avéré l’égal de la personnalité sardonique et réfléchie que l’on déduit à la lecture de ses livres.
Mais le grand événement de Readercon, c’est le « Kirk Poland Memorial Bad Prose Competition », la version originale du « Concours de Maltraitement de texte » que l’on a déjà vu à Boréal. Jeu littéraire entre quatre auteurs et une audience de centaines de personnes, il s’agit de déceler de l’authentique mauvaise prose d’imitations faites sur mesure par les auteurs participants. Le jeu a de quoi intéresser l’audience canadienne de Fractale Framboise puisque Glenn Grant et Yves Meynard y participaient, ce dernier défendant sa victoire de l’an dernier.
Que de rires et de grincements de dent à entendre des bons mots mal agencés. Comparaisons douteuses, cohérence vacillante et répétitions inutiles étaient au menu du jour. Heureusement, un des quatre participants ne tente pas de remporter l’épreuve: Craig Shaw Gardner ignorer l’envie de berner l’auditoire pour s’attaquer directement à la rate de la foule. Son « Thank God we live in a city still run by Republicans! » a été un des grands rires de la soirée.
Qui a remporté l’épreuve? demandez-vous avec suspense. Hé bien, après une remontée foudroyante et de nombreux moments hilares, Yves Meynard a de nouveau remporté la compétition, battant son compatriote Glenn Grant de quelques voix.
Pour conclure, quelques constatations
Ce qui frappe le plus de Readercon, c’est la pureté de la convention et la profondeur des discussions.
Dans mon cas, l’expérience de Readercon n’est pas dramatiquement différente de l’expérience que je retire habituellement d’une Worldcon. Un assortiment de tables rondes, de kaffeeklatsches, de rencontres avec les auteurs et de multiples visites à la salle de vente. Mais ce qui est différent, c’est qu’il n’y a que ça : Pas de détours pour s’éloigner des filkers, pas de noyade au milieu des fans de SF média, pas d’accommodations pour la mascarade, etc. Readercon est tout ce que je veux d’une convention et rien de plus. L’atmosphère est moins carnavalesque, ce qui n’est pas toujours un avantage –mais qui change du manque de spécificité d’une convention régionale généraliste telle Ad Astra.
Cette spécialisation entraîne avec elle la possibilité de plonger en profondeur dans un sujet donné. Les discussions de Readercon sont une coche au-dessus de ce que l’on peut retrouver ailleurs, surtout parce que la convention peut se permettre d’assumer de vastes connaissances de la part de son auditoire. Readercon se targue de poser « la prochaine question » et quand il n’y a effectivement pas à réinventer la singularité pour l’auditoire, cela permet d’aborder des enjeux qui seraient trop raréfiés pour les autres conventions. Et cela, bien sûr, avec un mélange d’humour et d’intellectualisme tout à fait accessible.
En ce qui me concerne, j’ai pu accompagner « la gang de Montréal » (Glenn Grant, René Walling, Yves Meynard et Jean-Louis Trudel), revoir quelques pros de la région torontoise (Peter Watts, Peter Halasz, Karl Schroeder et sa famille) et glisser quelques mots à plusieurs auteurs qui ont retenus mon attention depuis quelques temps (John Scalzi, Shariann Lewitt, David Louis Edelman) Ce fut également une occasion de revoir quelques professionnels que je considère quasi-légendaires (John Clute, Thomas M. Disch, China Miéville, David Hartwell) et d’en rencontrer des nouveaux. J’ai été particulièrement impressionné par R. Scott Bakker, éminemment sympathique et d’un air surfer dude aux antipodes de sa production littéraire. (Ne le sous-estimez pas: il est d’une intelligence terrifiante.) Mais la preuve la plus étonnante de la densité professionnelle de Readercon, c’est le nombre d’auteurs présent que je n’ai pas pu rencontrer malgré de bonnes intentions : Elizabeth Bear, Nick Mamatas, Gordon van Gelder, Matthew Cheney et autres. En revanche, la fin de semaine a été pleine de moments étranges où j’ai reconnu des noms ou des pseudonymes de bloggueurs. Petit monde!
Mais en plus du côté social de la chose, Readercon est surtout une occasion de rechargement pour auteurs, critiques et lecteurs. La conversation est de haut niveau, les thèmes explorés sont fascinants et l’intensité des découvertes ne cesse pratiquement pas durant toute la durée de la convention. Un tour à Readercon est comme se faire livrer une tonne de nouvelles idées, prêtes à se laisser digérer pendant quelque temps. Post-Readercon, j’envisage mes critiques de manière légèrement différente, un peu mieux informé de l’état des choses et prêt à explorer deux ou trois méthodes différentes d’approcher les choses. Il y a quelque chose de réconfortant à participer à des discussion où l’on est tout à fait capable de contribuer à un niveau égal à celui des participants, mais il y a quelques chose de tout aussi motivant à écouter des discussions d’un niveau supérieur en se demandant comment on peut s’améliorer pour en arriver là.
Bref, Readercon est une poussée d’adrénaline pour tous ceux qui s’intéressent vraiment aux genres. Ce n’est pas une convention pour les dilettantes et les nouveaux venus, mais c’est en grande partie ce qui fait son charme. Un retour à Readercon 18 n’est pas impossible.
Ailleurs sur le web
- Le rapport de convention de Jean Louis Trudel, en trois morceaux (y compris une aventure à la fin).
- Rapport de convention de grimmwire en deux parties: des détails sur le concours Kirk Poland et sur l’aventure automobile des Montréalais (avec photos)
- William Lexner a le courage de dire ce qu’il pense (et bien et en mal) de ce qu’il a vu à Readercon. Diantre, j’en ai manqué des bouts.
- Pour ceux qui veulent une description détaillée du niveau de conversation à Readercon, Kate Nepveu a des compte-rendus complets de trois tables rondes.