Congres 2008: Voyage dans le sud et le sublime
Devinez où j’étais il y a deux semaines? Bon, d’accord, je vous donne trois indices :
Hé oui, j’étais à Orlando pour la vingt-neuvième International Conference on the Fantastic in the Arts (ICFA), un congrès académique avec comme sujet d’étude principal les genres de l’imaginaire. Tant qu’à être en Floride, j’en ai profité pour aller faire un tour à Miami et au Kennedy Space Center. Cette dernière destination trouvait même une certain résonance avec le thème du congrès de cette année : « The Fantastic in the Sublime », ce qui est une façon intello comme une autre de dire « SF et wow! ».
Précisons d’abord une chose : ICFA n’est pas une convention de simples fans de SF. C’est avant tout un congrès d’académiciens qui ont une passion (et un intérêt professionnel) en littératures de l’imaginaire. Si vous avez déjà suivi un cours de SF à l’université, votre prof fait partie de l’audience-cible d’ICFA. Le programme du congrès comporte des tables rondes, mais six des huit courants de programmation sont dédiés à des présentations académiques : trois présentations de vingt minutes portant sur un thème plus ou moins commun, suivi d’une courte période de questions. Pour une idée des thèmes discutés, jetez un coup d’œil ébahi au programme. (Pour un effet saisissant, lisez plusieurs titres au hasard.) Pas de doute : dans le monde de la fiction spéculative, ICFA est un événement pour les grosses pointures intellectuelles.
Mais ne croyez pas pour autant que l’on s’y ennuie. Honte à vous si vous avez encore l’image d’un académicien comme intellectuel poussiéreux et hautain : ICFA est, me dit-on, un des événements les plus sympathiques du circuit académique, et c’est pour cette raisons que s’est peu à peu greffé un groupe d’auteurs et de « chercheurs indépendants » qui se retrouvent à ICFA pour aborder les genres sous une lentille plus rigoureuse que les publications faniques. Une trentaine d’auteurs bien cotés s’y trouvaient cette année (Robert J. Sawyer, Vernor Vinge, James Morrow, Peter Straub…), en plus de plusieurs critiques respectés (John Clute, Gary K. Wolfe, Cheryl Morgan…) et autres acteurs du milieu, dont l’équipe du New York Review of Science Fiction et Locus -qui fait toujours bonne place à l’ICFA dans ses pages. Bref, si Readercon est le congrès SF le plus intello, ICFA est le plus SF-aimable des congrès académiques. Pour quelqu’un comme moi, sans formation académique littéraire mais passionné des mécanismes de la fiction de genre, il s’agissait d’une destination inévitable.
De plus, il ne faut pas négliger le fait qu’ICFA a lieu en Floride, en mars. Ce n’est pas original de s’envoler pour la Floride durant l’hiver (je viens d’entrevoir ma retraite!) et il est exaspérant de corriger tous mes collègues qui assument que j’y allais pour Spring Break, mais une semaine déconnectée de l’hiver n’est pas une épreuve. (Sauf au retour : j’ai pris une semaine à écrire ce compte-rendu entre reniflements et toussotements, le mélange international de microbes et la fatigue du voyage ayant pris sa charge.)
C’était également ma première visite en Floride, d’où quelques détours loin d’Orlando. Mais parlons d’abord du congrès. Donnée essentielle : c’était la première fois que l’ICFA avait lieu au Marriott Orlando Airport après deux décennies à Fort Lauderdale. Mais l’hôtel auquel était habitué le congrès avait considérablement périclité depuis leur achat par (dit-on) des fondamentalistes plus intéressés en une clientèle retraité que de dangereux et étranges académiciens. Après des années de frictions, d’histoires d’horreur (y compris des blessures causées par des chambres d’hôtel mal entretenues), ICFA a déménagé ses pénates. Aux dires de ceux qui pouvaient décrire la différence, Orlando fut un rêve comparé à Fort Lauderdale : heures d’ouverture généreuses, personnel bien intentionné, chambres bien entretenues et salles bien disposées —si éloignées. Les repas servis étaient délicieux et le restaurant moins cher qu’anticipé, bien que la notion de coût perds rapidement son sens dans des hôtels dédiés aux congressistes : en ce qui me concerne, j’ai ragé contre le service Internet dispendieux de l’hôtel avant de faire ma paix avec un forfait de sept jours plus convenables que toutes les autres alternatives.
Signe que l’on était en Floride : l’affiche qui nous déconseillait de nourrir les alligators dans l’étang près de l’hôtel. Étant donné la température bien clémente entre 20-25c, il était possible de s’étendre pour lire près de la piscine… mais j’ai préféré ne pas tenter le coup de soleil. (Grâce à d’heureuses coïncidences météorologiques, je suis d’ailleurs revenu de Floride sans bronzage ni brulures.)
Quelques autres notes sur les lieux :
- L’hôtel était doté d’une « salle de lecture » dans un coin du deuxième étage. Sympathique!
- Des petites salles, un désavantage? Pas dans un congrès ou l’audience à une présentation se chiffre souvent à la douzaine : une petite salle bondée devient alors réconfortante!
- ICFA était doté d’une petite mais excellente salle de vente tenue par David Hartwell, Joe Berlant et Peter Halasz. Étant limité par le volume de mes bagages, je n’ai pas pu en profiter beaucoup -comme vous allez pouvoir le lire plus loin, j’ai même dû laisser des livres gratuits sur place. Mais j’y ai tout de même trouvé quelques rares trouvailles. Le dimanche suivant le congrès, j’ai profité d’un avant-midi libre pour aider à démanteler la salle de vente, ce qui m’a valu d’en apprendre beaucoup sur les techniques de stockage de livres. Et j’ai même eu un rare aperçu de la Caverne d’Entreposage Secrète des bouquinistes d’ICFA.
Hélas, l’hôtel était en plein autopie : un vaste parc commercial situé près de l’aéroport, jonché d’hôtels de convenance pour les lignes aériennes et d’édifices commerciaux abritant des entreprises de haute technologie. La marche était découragée, d’autant plus qu’il n’y avait pratiquement rien (pas de dépanneurs, encore moins d’épicerie ou de centre commercial) à distance facile d’accès. Il était au moins possible de se rendre à des restaurant Denny’s, Bennigan’s, Tony Roma’s et Chilli’s en moins de dix minutes, mais autrement, oubliez les instincts de marcheurs et espérez pour des amis avec une automobile. (J’ai dû prendre des taxis pour rejoindre mon point d’embarquement pour mes tours guidés, et ai profité d’une expédition de groupe pour aller dîner un peu plus loin le vendredi soir.) Bref : Heureusement que l’hôtel était satisfaisant, parce qu’il n’y avait pas de palliatifs dans le voisinage désert.
Mais le programme ne laissait pas souvent l’occasion de s’ennuyer : en plus d’une pleine programmation de 8h30 à 22h+, trois repas étaient organisés pour les congressistes (moyennant quelques coûts). Ces repas mettaient habituellement en vedette des invités d’honneur du congrès : Un lunch en l’honneur de Vernor Vinge (une copie de son Rainbows End distribuée à chaque convive), un autre pour entendre l’académicien Roger Luckhurst donner une présentation fort intéressante (avec un autre livre laissé sur notre siège) et finalement un souper pour célébrer la fin du congrès et les remises de prix (avec un troisième hardcover sous nos assiettes.) (Oui, j’ai laissé trois première éditions cartonnées en Floride plutôt que tenter de les mettre dans mon bagage à main.) En plus de la programmation, il y avait toutes les discussions en marge du congrès : le patio couvert près de la piscine extérieure agissait comme pôle d’attraction pour ceux qui trouvaient la programmation trop ordinaire.
Plusieurs choses se sont produites dans le grand monde de la SF durant ICFA, et ces événements ont souvent eu un impact sur la conférence.
- La mort d’Arthur C. Clarke le premier jour du congrès a eu une influence directe sur la programmation, alors que l’on a recruté un panel émérite composé de Gary K. Wolfe, John Clute, Joe Haldeman et Charles Brown (en plus de David Hartwell dans l’audience) pour discuter de leurs rencontres avec l’écrivain, de l’impact de son œuvre et d’un regard critique sur sa carrière. Une excellent table-ronde impromptue qui a bien démontré la profondeur des gens disponibles à pied levé à ICFA.
- Plus tard durant le congrès, les nominations aux Hugos ont été annoncées, ce qui a valu des mains d’applaudissement aux (nombreux) nominés qui étaient sur place. (Mon histoire au sujet des Hugos est plus amusante : Ayant appris tard le vendredi matin que les nominations avaient été mises en ligne, j’ai attendu à la fin des panels matinaux pour courir à ma chambre d’hôtel, trouver la liste des nominations, prendre en photo numérique les écrans des nominations, puis dépêcher me trouver une place au banquet du midi où j’ai lu en détail les nominations sur mon appareil photo. Techno-geeeek.)
- Finalement, l’annonce de la remise des prix BSFA a fini par surprendre Brian Aldiss qui a appris au dernier banquet d’ICFA que son roman Non-Stop avait remporté un honneur rétroactif.
- (Et c’est sans compter « Zombie Jesus Day » -que les mondains appellent toujours Pâques- et la pleine lune! Wouf!)
Mais personne ne sera surpris d’apprendre que j’ai abordé l’atmosphère ICFA avec une lentille d’anthropologue amateur : qui sont ces académiciens? Pourquoi sont-ils ici? Qu’est-ce qui différencie ICFA des autres congrès d’intérêt aux fans de SF?
Chose certaine, j’étais moi-même un étrange spécimen dans cet environnement : La première question qu’on me posait était soit « Qu’est-ce que tu présente au congrès? » ou « Quelle est ton affiliation académique? ». Répondre que j’étais sur place de mon propre chef, sans compte de dépense de recherche ni présentation à l’horaire avait de quoi surprendre et inquiéter. « Oh, tu es un fan-fan ! » s’est éventuellement exclamée une de mes interlocutrices les plus sympathiques. Les « érudits autonomes » (« Independent scholars ») sont bienvenus à ICFA, mais la plupart d’entre eux ont tendance à être reconnus de par leurs écrits dans Locus, NYRSF ou autres blogs/publications reconnues. Fractale Framboise avait une audience d’exactement deux personnes à ICFA. Et je vous ferai grâce des expressions confuses quand j’essayais d’expliquer que mon « vrai travail » était celui d’informaticien… Ça m’a presque donné envie de retourner aux études.
Mais je n’ai pas perçu de grandes différences de classe entre les académiciens et les érudits autonomes. (Enfin, pas en public : j’ai cependant entendu une académicienne faire référence au fait qu’elle avait mené une table-ronde durant la matinée avec « des écrivains ». Pouah!) Tous ceux avec une contribution à faire sont bienvenus, et entretenir une conversation sur la SF avec des académiciens est parfois plus facile que l’on pense : le sale petit secret de l’étude académique des genres littéraires est qu’elle privilégie la profondeur et la rigueur plutôt que le type de lecture massif et omnivore que pratique le fan typique de SF écrite. Il est ridiculement facile de suggérer des titres intéressants à un académicien ayant passé vingt minutes à décortiquer la signification de deux textes, parce que pour eux, deux textes sont suffisants. En revanche, le fan de SF bien lu peut dresser des liens ténus mais plus contextuels avec une plus grande variété d’œuvres. La différence d’approche est frappante : les références SF les plus récentes de certains académiciens semblent être Neuromancer (1984), ou plus rarement Snow Crash (1992).
Mais attention! Il faut interrompre cet élan triomphaliste avec un humble aveu : L’académicien dont nous utilisons ici le stéréotype est nettement plus apte à étayer ses jugements. Le fossé principal entre le fan et l’académicien n’en est pas un de références, mais d’instincts d’approche : Le fan peut prendre et laisser des livres au gré de ses humeurs, mais l’académicien a été professionnellement formé à approcher des œuvres, des auteurs et des textes avec des méthodes précises, informées par la théorie et pratiquées par de nombreuses communications. C’est pourquoi les présentations qui forment l’essentiel d’ICFA peuvent parfois être tellement déconcertantes : À quoi bon passer vingt minutes à décrire avec un langage obtus ce qui est parfaitement évident à n’importe quel lecteur avec un pouls? C’est que pour l’académicien, l’évidence n’est pas suffisante : la démonstration est nécessaire, selon la même rigueur nécessaire pour prouver des théorèmes mathématiques. Que dire de plus, tel que rapporté par Cheryl Morgan, au sujet d’un débat pour distinguer « technoculture » de « techno-culture »?
Bref, ces sacrés académiciens m’ont parfois exaspéré, mais la principale constatation que je retire d’ICFA est un respect grandissant pour la façon dont ils perçoivent les genres de l’imaginaire. Aussi ridicule que leur pointillage peut sembler à un fan-fan, leur approche peut souvent déloger des perles critiques qui échappent au lecteur moins rigoureux. Et leur familiarité avec le reste du canon littéraire peut apporter un éclairage différent sur certaines questions : C’est en écoutant Alexandre Donald discuter de The Wild Shore de Kim Stanley Robinson que j’ai appris la filiation du roman avec The Scarlett Plague de Jack London, chose qui m’avait complètement échappée lors de ma lecture récente du roman.
Les explications détaillées des académiciens ne sont pas toujours inutiles, surtout si elles abordent des sujets avec lesquels on n’est pas nécessairement familier. Dans une session dédiée à la fan fiction et les règles économiques du milieu fanique, nous avons pu entendre une présentation lucide sur la communauté fanique qui s’est formé autour du Black Phoenix Alchemy Labs, et de la débâcle entourant fanlib.com. (La troisième et tout aussi excellente présentation, elle, fut livrée par une goth allemande étudiant des liaisons sexuelles illicites en slash Harry Potter. Sympa!)
De plus, plusieurs académiciens ont un bon sens de l’humour au sujet de leur profession: La dernière journée de la conférence, deux jeunes académiciens nous ont offert «To the Axis Mundi», un survol fascinant de Disneyworld tel que vu de leur perspective : références culturelles sans significations et ontologies aplaties figuraient au menu de leurs constatations amusantes.
D’autres excellentes présentations sont venues ponctuer le congrès.
- Roger Luckhurst a présenté une superbe présentation intitulée « Une photographie SF est-elle possible? », et la réponse est un oui définitif, même sans manipulation numérique.
- Ailleurs durant le congrès, je me souviens d’une présentation intrigante de Liam R. Watts sur « la mort de la SF », initialement présenté à la manière d’un épisode de HOUSE.
- David Swanger, l’auteur d’un excellent article paru dans le NYRSF sur la résonance neurologique des genres hybrides («Shock and Awe», Février 2008), a poursuivi ses réflexions en vingt minutes trop courtes.
- Patrick D. Murphy m’a redonné espoir dans les présentations purement académiques avec un excellent survol critique de la SF eco-apocalyptique.
- Finalement, je garde un bon souvenir d’une présentation de John Fast qui a tenté de démontrer la nécessité d’une troisième dimension d’idéologie politique post-humaine à un moment où nous approchons la Singularité. (Présentation d’autant plus remarquable qu’elle fut un succès complet malgré le manque de présentation PowerPoint qu’avait préparé l’auteur.)
- Et Farah Medlesohn était dans une classe à part avec la présentation des quelques résultats de son sondage sur les habitudes de lecture de jeunesse des amateurs de SF au cours des décennies. (Habile intégration des résultats avec ce que l’on sait du développement intellectuel des préadolescents : Entre autres constatations contre-intuitives, il semblerait que le problème de « former » des lecteurs adultes de SF n’est pas de les attirer à la SF à l’adolescence, mais de les empêcher de laisser tomber le genre lorsqu’ils solidifient leurs intérêts. Un livre sur le sujet sera bientôt disponible.)
De temps en temps, ICFA adopte un mode de fonctionnement plus familier aux amateurs de congrès de SF : les tables-rondes avec auteurs-experts. La qualité des discussions, bien sûr, était fort variable.
- Une discussion sur « La politique et la Singularité » a oscillé autour d’une douzaine d’enjeux fascinants tout en laissant insatisfait.
- Une table-ronde sur le « Global Fantastique » a dégénéré en une série d’anecdotes sans exploration des enjeux proposés par l’animateur James Morrow. (Mais j’ai pris des notes, et les questions deviendront des tables rondes pour Anticipation.)
- Une autre table-ronde sur le cyberpunk mettait en scène trois écrivains qui œuvraient dans le milieu au début des années 1980… et Ted Chiang, qui a récolté un éclat de rire de l’audience en avouant qu’il « n’était pas là » durant la période tant discutée.
Comme toujours, on peut dépendre sur la performance de certains auteurs : James Patrick Kelly est irrépressible, Robert J. Sawyer est un panéliste hors-pair et la paire John Clute / Gary K. Wolfe ne trône pas au sommet de la pyramide critique de la SF pour rien.
En ce qui me concerne, j’ai profité du congrès pour renouer quelques contacts, faire connaissances avec des gens intéressants et mettre en place quelques éléments d’Anticipation 2009. Entre autres discussions marquantes, j’ai réussi à soutirer trente secondes de l’horaire chargé de Farah Mendlesohn (présidente de l’IAFA, mais aussi directrice de la programmation pour Anticipation) pour dire bonjour… et immédiatement me faire introduire à mes collègues-programmateur Chrissie Mains, Andy Duncan et Sydney Duncan. Tout du bien bon monde : j’ai hâte de travailler pour et avec eux. Il y avait quelques visages connus via Boréal : Amy Ransom (qui a présenté une étude sur le sublime dans les œuvres de Bolduc, Sernine et Rochon), Alexandre Donald, David Hartwell, Guy Gavriel Kay, James Morrow… Bref, je n’étais pas perdu au milieu d’une foule, et tout le monde semblait pressé de m’introduire à d’autres personnes. (J’ai fini par m’engager à livrer un survol des académiciens SFQ à Dale Knickerbocker et Chrissie Mains.)
Sans nécessairement m’abonner à ICFA à chaque année, il est fort probable que je vais y retourner à un moment ou un autre : le niveau de la discussion est variable mais stimulant, et je suis particulièrement charmé du mélange d’enthousiasme, de rigueur et d’accessibilité qui semble distinguer ICFA. Alors que, de plus en plus, je ne trouve plus mon compte dans les congrès fanique, ICFA (et Readercon, et World Fantasy, et Boréal) offre le divertissement intello sans les niaiseries faniques : peut-être pas un mélange pour tous, mais certainement ce que je recherche. Et, que vois-je? Les invités du congrès de l’an prochain sont Guy Gavriel Kay et Robert Charles Wilson…
De façon plus indépendante, j’ai profité de mon voyage au sud pour aller visiter deux endroits d’une signification particulière pour moi : Miami et le Kennedy Space Center.
Miami fait partie de ces villes que tous pensent connaître par la seule force des références culturelles : De Miami Vice à CSI, de Scarface à Bad Boys II, Miami est une des villes le plus souvent illustrées en culture populaire américaine, en grande partie parce qu’il s’agit d’un endroit unique, à mi-chemin entre la richesse américaine et l’influence antillo-cubaine. À en croire les films, il ne pleut jamais à Miami, et on doit bousculer les filles en bikini pour se déplacer sur les trottoirs.
Le cliché n’est pas entièrement mensonger : Miami possède une atmosphère bien à elle, mais ce sera à chacun de déterminer si elle est plaisante. Paul Graham a tout un essai sur les facteurs qui font qu’une région réussit à développer une industrie de haute technologie ou pas. Il finit par proposer que pour réussir en haute technologie, une ville doit réussir à attirer argent et cerveaux. Ses exemples habituels sont Boston et San Francisco/San José, qui attirent diplômés et riches hommes d’affaire. Les villes qui attirent les cerveaux mais pas l’argent peuvent réussir à moitié (comme, ahem, Ottawa), mais les villes qui attirent l’argent sans les cerveaux, elles… et il cite Miami comme exemple. Ce qui explique sans doute ma réaction ennuyée à la ville.
Oh, ne vous y méprenez pas : Miami est une expérience spectaculaire. Le développement immobilier qui a transformé la ville depuis une quinzaine d’année a réussi à s’agencer avec un riche passé. Au niveau architectural, Miami est sensationnel : Le quartier d’affaire est dominé par des édifices aux formes audacieuses, brillamment peinturés et exhibé sans la moindre pudeur. Miami Beach a une densité exceptionnelle d’architecture art déco qui a extrêmement bien vieilli et ne semble pas trop menacé par le développement sauvage qui est en train de transformer l’extrémité sud de la péninsule. Et, bien sûr, le climat toujours doux de la ville fait en sorte que tout est fondamentalement différent des paysages familiers aux américains du nord-est : les poteaux sont en béton (pas de bois!) le ciment est perpétuellement blanchi par le soleil et la signalisation routière est plus homéopathique qu’utile. En tant que geek des transports en commun, je suis particulièrement épris du Metromover, système de rail surélevé parfaitement gratuit et d’une utilité indéniable pour les touristes de mon espèce. Et pour un grand, grand fan de Grand Theft Auto : Vice City comme moi, il y avait un effet d’étrangeté saisissant à reconnaître des endroits où je n’avais pourtant jamais mis les pieds.
Mais j’ai passé à peu près sept heures à Miami/Miami Beach, et je me suis ennuyé presque la moitié du temps. Une fois passé sur la plage, une fois parcouru le quartier financier et les environs du centre Bayside, la durée de ma visite ne permettait pas d’explorations plus poussée, et il y avait peu de raisons de rester plus longtemps. Peut-être que la ville demande un plus long séjour. Peut-être qu’il faut absolument aimer les plages et les boîtes de nuit. Mais peut-être que Miami n’est, tout simplement, pas conçu pour les intellos de passage à ICFA. Mon guide de voyage Fodor’s parle d’une ville qui a atteint son adolescence : attendons encore quelques années pour la voir grandir en maturité (et laisser terminer l’omniprésente construction.)
Bref, pour revenir au thème du congrès, Miami est définitivement plus vulgaire que sublime.
Mais le Kennedy Space Center était autre chose.
De un, ça fait longtemps que je voulais aller y faire un tour. J’ai pratiquement appris à lire l’anglais avec des articles portant sur le programme spatial américain, et le légendaire Kennedy Space Center y figurait avec une place d’honneur. Je sais toujours beaucoup trop de choses au sujet des programmes Mercury, Gemini et Apollo, pour ne rien dire des navettes spatiales. Je n’assisterai vraisemblablement jamais à un lancement de navette (n’en reste qu’une dizaine avant la fin du programme, et je ne me fait pas d’illusions sur mon horaire d’ici là), mais contempler les environs des plateformes de lancement n’était pas une compensation insignifiante.
En théorie, mon « tour guidé » d’Orlando au KSC n’offrait rien de plus qu’un trajet d’autobus et un billet d’entrée : À partir de ce moment, nous serions entre les mains de l’infrastructure touristique du centre, qui a construit tout un système d’autobus et d’attractions coexistant à côté du travail quotidien de la NASA. Mais en pratique, notre autobus d’Orlando au KSC était conduit par un chauffeur « dingue de la NASA » qui a profité du trajet d’une heure pour vanter les vertus de l’exploration spatiale, houspiller ceux qui veulent gaspiller l’argent dédié à la recherche scientifique sur des programmes sociaux, et plaindre le fait que 50 millions de touristes vont voir Mickey à chaque année alors que seulement 2 millions vont à « un des endroits les importants pour la race humaine! ». Je garde un souvenir particulièrement heureux d’un monologue de cinq minutes où il a récité, à la mitraille, tous les produits dérivés de la recherche spatiale américaine. C’était une merveilleuse introduction à la journée : imaginez un animateur de talk-show particulièrement en forme, mais pour La Science! plutôt qu’une cause politique ou sportive comme une autre. Je vous souhaite le même guide lors de votre expédition. (Ou peut-être pas : un de mes problèmes principaux durant ma visite au KSC, c’est que peu de visiteurs semblaient exhiber un émerveillement suffisant. Tous, évidemment, ne sont pas aussi « dingues de la NASA » que le conducteur ou moi.)
Les visites au KSC se divisent plus ou moins en quatre parties : Le centre d’accueil aux visiteurs qui offre une bonne variété d’activités, puis trois autres sites distincts accessibles par autobus :
- Une plate-forme d’observation où l’on peux voir une bonne fraction des plateformes de lancement,
- Un complexe qui offre un regard du le programme Apollo, et
- Une aire d’observation sur les laboratoires où ils dorlotent les modules destinés à la station spatiale internationale.
Il y a de quoi confortablement meubler une journée : je suis un visiteur rapide, et il y a une ou deux choses que je n’ai pas eu le temps de faire. (C’est pourquoi le billet d’entrée est valide pour deux jours.) Étant donné la proximité de Mickey, Universal et MGM, the Kennedy Space Center sait livrer compétition d’un point de vue purement ludique : le centre offre autant d’attractions pour enfants que pour adultes, et il n’y a pas de quoi s’ennuyer.
(En fait, il y en aurait sans doute long à dire sur la tendance à infantiliser tout ce qui a trait à la science, et pas seulement au KSC, mais dans pratiquement tous les « musées des sciences » ouverts au grand public : pratiquement une abdication devant le faux canard que « la science est trop compliquée pour le grand public » et que la seule façon de faire passer la pilule est de démontrer que « même un enfant de huit ans peux comprendre ça! ». L’hypocrisie est parfois stupéfiante : si la plupart des parents hocheront sagement de la tête quand on leur demande si leur enfant devrait en savoir plus sur la science, ils rechigneront si on leur demande de faire un effort eux-mêmes. Mais je m’égare, et concèderai au moins une chose : science bien expliquée mène à l’émerveillement devant le sublime naturel, et c’est un état émotionnel souvent inaccessible à l’adulte rendu cynique par le poids des trivialités superficielles de la vie moderne. Peut-être est-il essentiel de redevenir un enfant pour vraiment comprendre le message véhiculé par des endroits tels le KSC.)
Un des aspects les plus surprenants du Kennedy Space Center est de voir comment il est complètement intégré à une très grande réserve sauvage : les centres de technologie du KSC sont séparés par de vastes étendues de faune et de flore floridienne, maintenant protégées par la nécessité de garder le programme spatial américain loin des masses civiles. Cette union entre la technologie et la nature semble parfaitement appropriée : Je suis certain que Kim Stanley Robinson approuverait. (Je noterai que les seuls alligators que j’ai brièvement aperçus durant mon voyage floridien se trouvaient entre les stations d’étape du KSC.)
De tous les points d’intérêt au KSC, je noterai particulièrement le centre d’interprétation Apollo, qui est orchestré en trois étapes distinctes.
- La première est une salle ou l’on fait jouer un court film d’introduction qui m’a un peu exaspéré : je connais déjà tout ça, passons, passons…
- Les choses s’améliorent grandement lorsqu’on nous laisse entrer dans la deuxième salle, qui n’est rien de moins que le centre de commande où étaient supervisés les lancements des missions Apollo : les consoles d’origine y siègent toujours, même si un amphithéâtre y a été aménagé à l’arrière pour offrir aux touristes une recréation assez théâtrale du lancement d’Apollo 8. Pas mal!
- Mais le clou de la visite se trouve dans la troisième salle, un vaste hangar où une authentique fusée Saturn-V (composée de pièces-test et d’éléments inutilisés des missions Apollo annulées) est suspendue au plafond. Pour un nerd du programme spatial, c’est comme visiter une cathédrale. J’en suis resté le souffle coupé pendant quelques minutes. Quand je suis revenu de mon émerveillement, je suis passé à la cafétéria, me suis assis pour manger, levé les yeux… puis ai eu le souffle coupé à nouveau de me rendre compte que j’étais en train de manger un lunch sous une fusée Saturn-V. (Je n’ai rien acheté au « Space Shop » du KSC, mais j’ai conservé une serviette de papier marquée du logo du centre.)
Les autres moments forts de ma visite au Kennedy Space Center sont variés : Le modèle de navette spatiale grandeur-nature Explorer est fascinant à contempler et visiter (C’est un appareil qui semble nettement plus grand que je ne le croyais, même en connaissant toutes les dimensions des navettes). Dans un même registre, le Rocket Garden offre un regard sur l’ère héroïque du programme spatial américain dans un contexte quasi-zen. Mais un des points forts de ma visite n’est pas exclusif à la Floride : Une représentation IMAX-3D du documentaire Space Station était tout une conclusion aux expériences de la journée, mettant en contexte une bonne partie de ce que j’avais vu au troisième arrêt du tour guidé du KSC, et offrant une belle série d’images saisissantes tournée dans la station spatiale elle-même. Le film est disponible en DVD, mais il est possible qu’un cinéma Imax plus près de chez-vous soit en mesure d’offrir le film en pleine 3D : ne ratez pas l’occasion si elle se présente à vous.
Bref, entre Miami et le Kennedy Space Center, c’est le KSC qui m’a amené plus près du sublime tel que discuté durant l’ICFA. La sensation d’entrevoir, voire de commencer à comprendre quelque chose de plus vaste et de plus important que soi. (Et ce même si, ah-ha indice, les trois éléments les plus impressionnants de Miami, soit la plage, l’architecture et le transport en commun, relèvent du « plus grand que soi ») C’est cette même sensation qu’Arthur C. Clarke laissait entrevoir lorsqu’il laissait s’éteindre les étoiles, transcendait Frank Borman ou révélait que les Ramaens faisaient tout trois fois.
Le sublime n’est pas une émotion respectable de nos jours, c’est trop près de la religion pour être confortablement abordé par les masses, et les bien-pensants se pensent souvent trop bons pour avouer un tel sentiment. Seuls les enfants peuvent regarder ce qui se passe autour d’eux et ouvrir la bouche béante d’émerveillement. Il n’est pas avouable de parler d’une émotion si complexe, qui dépend autant de nos circuits éduqués pour les court-circuiter. Et si, se surprend-on à penser, la « vulgaire » SF côtoie les mêmes zones neurologiques que la religion ou bien les centres de plaisir intellectuels qui poussent des êtres humains à se consacrer à une vie académique? Ne nous construisons-nous pas tous une mythologie personnelle, indépendante des textes canoniques, où les plateformes de lancement Apollo côtoient le souvenir de Tales From the White Hart et le modèle virtuel de Vice City? L’ICFA a beau avoir traité en profondeur du sublime, le sujet est loin d’avoir été exploité, surtout lorsqu’on commence à considérer le sublime au personnel.
Mais ça, c’est autre histoire pour chacun…
Ailleurs sur la toile :
- Le rapport essentiel de Cheryl Morgan
- Karen Burham (1 2 3 4)
- Prosewitch:
- Mark Kelly, de Locusmag