Congres 2007: World Fantasy Convention 2007
(Les billets suivants sont originalement parus sur fractale-framboise.com en avril 2007)
Vous allez dire qu’après seulement une journée de sept heures (sur quatre jours et quelques trente-six heures de programmation formelle), c’est un peu tôt pour déclarer le succès d’un congrès.
Mais la World Fantasy Convention (WFC) 2007 est le genre d’événement à laisser une excellente première impression.
De un, il y a le contexte, à la fois global et personnel: Souvenez-vous que la Worldcon a eu lieu au Japon cette année et que plusieurs professionnels de l’industrie de la SF&F n’ont pas eu les moyens de s’y rendre. Ensuite, réalisez que la WFC 2007 a lieu à Saratoga Springs, NY, une destination de villégiature traditionelle pour les New Yorkais… et que l’industrie de l’édition américaine est en grande partie dirigée à partir de New York. Puis, considérez qu’à moins de quatre heures de Montréal, la WFC a de quoi attirer un petit groupe de francophones (en plus de Jean “Moebius” Giraud, un des invités d’honneur du congrès). Finalement, considérez ma préférence pour les événements professionnels centrés sur la prose, et souvenez-vous que j’ai passé deux des trois dernières fin de semaines à des congrès généralistes locaux.
De deux, considérez l’endroit. La plupart d’entre vous lirez “Saratoga Springs” en n’associant aucune image particulière à la ville. Si j’ajoute “Upstate New York”, ça vous précise peut-être un portrait lacs-et-forêts pas trop loin des Adirondacks. Je n’avais certainement aucune attente particulière, mais après une demi-journée passée ici… je dois dire que les organisateurs de la WFC 2007 on bien choisi leur endroit: Le centre des congrès où se déroule l’événement est à une extrémité de la Rue Principale de la ville (Broadway), et celle-ci est bourrée de restaurants, de petites boutiques, de franchises connues (Gap, Starbucks, Borders) et d’un charme imbattable.
La ville est tout simplement remplie de chevaux. Boston a eu ses vaches et Saratoga Springs a ses chevaux: Des sculptures de fibre de verre à chaque pâté de maison, des photos de chevaux, des magasins à saveur Western, etc. Dans notre hôtel, la note nous enjoignant à utiliser moins d’eau nous fait valoir que moins d’eau pour nous veut dire plus d’eau pour les chevaux. Bref, il y a ici un mélange de Country/Western infusé d’atmosphère très New England. L’architecture sur Broadway a été soigneusement entretenue pour évoquer la brique, les corniches et les balcons parfois extravagants des pionniers de la Nouvelle Angleterre, et l’effet Disneyland est convaincant pour quelques rues. (Ailleurs, c’est du banlieusard Amerloquien aussi désolant qu’ordinaire.) Saratoga Springs, joyau caché? Pas pour le millier de congressistes qui envahiront la ville pour les trois prochains jours!
Car, de trois, la WFC est l’événement de l’année pour l’industrie des genres de l’imaginaire écrits. Ce sera la World Fantasy Convention la plus peuplée de l’histoire de l’événement avec 1,100+ congressistes (il n’y a aucune inscription à l’entrée!), et j’estime qu’au moins la moitié d’entre eux sont rénumérés pour ce qu’ils font pour la F&SF: Écrivains, éditeurs, directeurs littéraires, agents, illustrateurs, voire même ces misérables critiques… Il se tient un montant phénoménal de business à la WFC: rencontres entre auteurs et agents, réseautage entre auteurs et éditeurs, promotion d’ouvrages, lectures, discussions enjouées au bar de l’hôtel… Votre reporter à peu près aussi bas dans l’échelle qu’il est possible de l’être ici, et pourtant la journée a été remplie de rencontres et discussions (toujours trop brèves) avec des gens tels Cliff Samuels, Peter Halasz, L.E. Modesitt, Guy Gavriel Kay, Walter Jon Williams, Linda L. Donahue, Jim Minz, Randy McCharles, Derryl Murphy, Claude Lalumière, Alaya Dawn Johnson (qui a très bien lu de son oeuvre), Joël Champetier, le légendaire «Frozen Frog» Benoit Girard, Nathalie Mallet, David Louis Edelman… et ça ne fait que commencer! (Et, pire encore, ce sont souvent des gens qui viennent me dire bonjour.)
Mais (de quatre), ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire pour ces cochons de fans de mon espèce. Le niveau des discussion des tables rondes est stratosphérique, et les organisateurs de la WFC ont un don pour choisir leur panélistes. Robert J. Sawyer, Holly Black et Doselle Young restent des participants immanquables (je les ai déja mentionné en parlant de congrès précédents), mais ce sont tous les panélistes qui tirent bien leur épingle du jeu. J’ai attrapé la fin de trois table-rondes différentes (“Treasures in the Wastebacket: Collectable Ephemera”, “Belief vs Non-Belief On the Part of the Author”, “The Fantasy Graphic Novel”) et, dans les trois cas, aurait souhaité avoir assisté à tout l’événement.
Et, de cinq, la journée de demain promet mieux encore.
Je vous en reparlerai.
Deuxième journée
Alors, qu’est-ce qui était au programme de la World Fantasy Convention aujourd’hui? Quelques moments forts:
Un peu de tourisme à Saratoga Springs: On a beau se promener sur Broadway pour aller et revenir entre l’hôtel, le centre des congrès et les restaurants, rien de tout cela ne perd son charme. (Et à propos des restaurants, pas de plaintes: Un bon bagel pour déjeuner, des pâtes satisfaisantes pour dîner et un buffet asiatique tout à fait convenable pour souper. Et c’est sans compter les fromages et hors-d’oeuvres fournis par le congrès en soirée. Ais-je mentionné qu’il s’agit d’un congrès pour professionnels?) En revanche, nous sommes conscient d’être sur un pan de rue méticuleusement planifié pour évoquer cet effet: Il ne suffit que de s’éloigner de Broadway pour découvrir des ruelles beaucoup moins sympathiques.
Assister à des tables rondes fascinante: Les détectives avec des pouvoirs paranormaux vous intéressent? Il y a une table-ronde sur le sujet. Vous voulez vous interroger sur le lien entre l’auteur, son oeuvre et sa réputation? Il y a également une discussion là-dessus, agrémenté de nombreuses anecdotes et de questions sans réponses. Vous voulez entendre parler Kim Newman et Jean Giraud? Ça aussi, c’est disponible. Fantômes exotiques, illustrations couvertures, Lovecraft ou Gilbert & Sullivan? Oui, oui, oui et oui. Et ça, de la part des spécialistes.
Prendre des choses gratuites: Si le sac promotionnel n’a pas suffi, si les nombreux dépliants ne vous satisfassent pas, vous pouviez toujours remercier les éditions Night Shade pour des boites de copies gratuites de Trial of Flowers (Jay Lake) et The Princes of the Golden Cage (de la canadienne-française Nathalie Mallet). Pendant ce temps, tout le monde attend le moment où les sacs promotionnels restants seront vendus…
Contempler le cirque du “Mass Autograph Party”: Imaginez un congrès avec des centaines d’auteurs. Imaginez les difficultés logistiques à coordonner des séances de signatures. Imaginez une solution qui résout tout d’un coup: la séance de dédicaces de masse, où auteurs prennent place derrière des tables et attendent leurs fans. Parfois humiliant, parfois enrichissant (dépendant du nombre de fans et de ce qu’ils ont à vous dire). Oui, j’ai fait dédicacer ma part de livres. Oui, j’ai parfois fait un parfait fou de moi-même en ce faisant. Les détails sombreront heureusement dans l’oubli.
Et c’est ainsi que nous arrivons à la moitié du congrès. Alors: moitié plein ou moitié rempli?
Une ébauche de réponse demain.
Troisième journée
Il y a toujours quelque chose à faire durant la troisième journée d’un congrès, mais il y n’y a pas autant de choses à dire. Le rythme de l’événement est bien établi, les rencontres initiales sont faites, les paramètres physiques des lieux sont connus et la routine s’installe un peu. On croise des écrivains connus sur le trottoir d’une petite ville de la Nouvelle Angleterre et c’est tout à fait normal.
Bref, le fantastique est maintenant mondain. Et les petits irritants commencent à poindre.
Au niveau technique, par exemple, le système audio est cruellement insuffisant. “Il faut mordre les micros pour être entendus” disait une panéliste au début de la journée. Plus tard, Joe Haldeman s’est amusé à protester le fait qu’il était le seul des cinq panélistes sans microphone. Les petits haut-parleurs, placés trop bas, n’aident pas beaucoup: Dès que la foule aux panels s’accumule (et certaines tables rondes de la journée étaient effectivement standing-room only), les bruits de fond prennent le dessus. Et c’est sans compter les portes qui ouvrent, qui se verrouillent, etc. Mais rares sont les congrès qui évitent ces désagréments.
Plus sérieusement, les modérateurs ne semblent pas particulièrement discipliné à terminer leurs discussions à la bonne heure. Une table ronde en soirée a connue une finale particulièrement ignoble quand une responsable de la programmation s’est mise à remplacer les panneaux-noms des panélistes par ceux de l’événement suivant… alors qu’ils parlaient toujours! Cette anecdote-là est unique, mais la tendance à ne pas terminer fermement au moins cinq minutes avant l’heure n’est pas rare, entraînant des foules, des délais et du mouvement inutile.
À un niveau un peu plus abstrait, l’emphase de la programmation sur (spécifiquement) les histoires de fantômes de la Nouvelle Angleterre lasse un peu. Il y a un certain sentiment de déjà-vu à voir toutes ces permutations sur un seul thème, à constater des trous occasionnels où rien à l’horaire ne parait intéressant, à voir des panels surchargés de thèmes plus larges. C’est ainsi que le seul panel portant spécifiquement sur la relation entre la SF et la fantasy a attiré beaucoup plus d’une centaine de personnes (excédant la capacité assise de la salle) —à 22:00. Bref, ceci n’est pas la World Horror Convention –la fantasy est un genre aux multiples configurations, alors un peu de variété serait appropriée.
Mais bon. Il faut chercher loin pour trouver ces plaintes, parce que le reste de la WFC est irréprochable. On y fait d’excellentes rencontres, on a amplement de temps et de choix pour aller manger (huit repas à Saratoga jusqu’ici, et pas plus d’un au même restaurant!), la salle des ventes renferme toujours des merveilles (ma trouvaille de la journée: une édition pas trop dispendieuse de An Unusual Angle, le premier-premier roman de Greg Egan), on a distribué d’autres livres gratuits et personne ne semble s’ennuyer. En soirée, on a même servi de la nourriture dans le cadre d’une réception pour la salle d’arts visuels. (Pour ceux qui tiennent compte, c’est trois bordées de desserts et d’apéritifs en trois soirs. C’est ainsi que se justifient des inscriptions à 200$+)
Parmi les autres moments forts de la journée, je compte une présence appréciée de Joël Champetier à une table ronde sur les mondes fantastiques (et ce, devant une salle comble), une table ronde délicieusement incompréhensible sur le surréalisme, un panel “Best of 2007” agrémenté du cabotinage amusant de Charles N. Brown, une discussion sur le New Weird dominée par Kathryn Cramer, et un panel extrêmement satisfaisant sur les différences entre la SF et la fantasy avec cinq excellent panélistes aux avis parfois tranchés.
Il reste encore une journée…
Quatrième journée
Et pouf, c’est terminé: La World Fantasy Convention 2007 a pris fin aujourd’hui avec un dernier sursaut de programmation, suivi de la présentation des World Fantasy Awards. Préoccupé par la longueur des lignes d’attente aux frontières et la circulation montréalaise, j’ai préféré quitter peu après midi, suivant un excellent panel sur les tabous en fantasy (Sharyn November est une modératrice idéale) et un dernier regard à la salle de vente. Je n’ai donc pas beaucoup de matériel spécifique à cette quatrième journée à vous offrir, ce qui me laisse le loisir d’opiner quelques conclusions au sujet de l’événement.
C’est rafraichissant d’être entre les mains des professionnels : Oui, oui, le fandom des lecteurs représente les racines du milieu. Mais la WFC est menée autrement, par une équipe qui a le budget et la spécialisation nécessaire pour rehausser le cachet de l’événement. Tout le monde a été soufflé par le sac-souvenir offert aux participants, par les livres distribués gratuitement, par la nourriture offerte à chaque soir, par le professionnalisme de l’inscription, par la qualité de la salle de vente, par la ville-hôte, par la mécanique généralement bien huilée du congrès. Ce genre de raffinement laisse une excellente impression, surtout après tant de congrès régionaux qui semblent fonctionner avec de la broche à foin et de bonnes intentions.
La perfection n’existe pas : La WFC s’approche dangereusement près de la perfection en matière de congrès de genre, ce qui rend la présence de petits désagréments presque rassurante. Les micros défaillants ont frustré plus d’un panéliste; les salles étaient souvent trop petites; la programmation semblait monomaniaque; le manque de contrôle horaire des modérateurs était inexcusable. (Ce dernier détail me fait bien sourire, parce que la rigidité chronométrique de Boréal fut inspirée directement de la WFC 2001.) Mais bon : n’importe quelle convention rêverait de tels inconvénients mineurs.
Saratoga, ah, Saratoga : Je ne connaissais rien de Saratoga avant la WFC, mais je veux maintenant y retourner. Le quartier centre-ville de la ville où se situait le contre des congrès est resté charmant même après quatre jours, et l’atmosphère de la ville n’a pas perdu de son efficacité. Resterait, évidemment, à regarder dans les ruelles attenantes et le reste de la ville pour voir un peu plus que ces quatre pâtés de maison soigneusement bien entretenus. Mais en attendant, je garde une excellente impression de la ville et de la façon dont elle a accueillie 1100+ fantaisistes sans broncher. Comme quoi la WFC n’a pas besoin d’une métropole pour bien fonctionner.
Mais vous n’avez rien vu! Ça s’appelle une convention, mais la WFC est plutôt un trade show industriel. Les ignares de mon espèce (aucune fiction publiée, à peine quelques critiques professionnelles, un «blog» qui se perd parmi tant d’autres, etc) ne voient que la pointe publique de l’événement (les tables-rondes, le hall principal, la salle de vente, l’exposition artistique), entrevoient parfois l’essentiel (les conversations, les partys) et entendent rarement parler des véritables raisons pour lequel existe la WFC (les rencontres entre auteurs, éditeurs et agents, les contacts initiaux pour des ébauches de projets, les échanges entre professionnels d’un même niveau). Chaque congressiste à une expérience différente, et je vous encourage à aller voir les autres avis pour voir jusqu’à quel point chacun fait son propre congrès.
Et donc… Que dire de plus sur la WFC? Succès complet, expérience enrichissante, occasion inoubliable, etc. Ce n’est pas mon congrès favori de l’année (cela reste Boréal, tout de même), ou celui qui laissera l’impact le plus profond (Wiscon, bien sûr) ou celui qui m’aura fait découvrir tout un pan de genre différent (World Horror Convention), mais ce fut tout un aperçu dans les rouages de l’industrie F&SF, et ce dans un contexte qui ne sera jamais à la disposition d’un humble congrès généraliste régional. Des félicitations aux organisateurs de l’événement… et rendez-vous à Calgary pour la World Fantasy Convention 2008!