Congres 2007: World Horror Convention 2007

[Dans la grande tradition des rapports de congrès en retard, voici quelque notes sur la World Horror Convention 2007, qui a eu lieu du 30 mars au 2 avril dernier. Vous aurez deviné que Boréal est venu bouffer le temps qui aurait dû aller à la réécriture du texte.]
Se rendre à un congrès littéraire demande intérêt et opportunité. Dans le cas de la World Horror Convention 2007, l’opportunité était équivalente à l’intérêt: l’événement, après tout, prenait exceptionnellement place à Toronto. Peu importe mon intérêt secondaire pour le fantastique, une occasion pareille ne se présenterait pas de sitôt. De plus, quelle meilleure occasion que la WHC pour en apprendre plus sur le sujet?
C’est donc ainsi que je me suis retrouvé à la gare d’Ottawa, jeudi matin le 29 mars, à prendre le train pour Toronto. Destination: Le Marriott Eaton Center, tout près de l’hôtel de ville de Toronto. Un endroit approprié pour une World Horror Convention, étant donné que l’avant-dernière fois que l’on a vu le voisinage au grand écran, c’était dans le rôle des quartiers généraux d’Umbrella Corporation à la fin de Resident Evil: Apocalypse.
Où est Milla Jovovich quand on en a besoin?
Mais il ne fallait pas s’attendre à comparer Toronto et Raccoon City durant la convention. La World Horror Convention, après tout, est un événement majoritairement littéraire et dédié aux professionnels du milieu plutôt qu’aux fans. La WHC occupe un rôle beaucoup plus près de la World Fantasy Convention (800 inscrits, surtout des professionnels) que de la World Science Fiction Convention (5000 inscrits, surtout des fans). Le fantastique étant un genre beaucoup plus raréfié que ses deux comparses en littérature de l’imagination, la WHC parvient rarement à dépasser les 600 inscrits: l’événement donne parfois l’impression d’une grande réunion de famille. Une famille qui a vu des jours meilleurs.
Car peu importe la table ronde, la discussion, le tome de référence que l’on consulte pour en apprendre sur le fantastique anglo-saxon, il est impossible d’échapper à La Grande Tragédie de ce genre littéraire: Le boom des années 1980 (nourri du succès de Stephen King), suivi assez rapidement de la débandade qui a pratiquement tué le genre au tournant des années 1990s. Parlez aux écrivains sur place et vous obtiendrez des réponses similaires au sujet de leur éveil au genre: “…et là, j’ai découvert King, Straub, Barker…”. Ce n’est pas un accident si la démographie des congressistes à la WHC comporte une proportion surprenante d’hommes dans leur mi-trentaine: faites les bons calculs, et vous trouverez des adolescents banlieusards qui sont tombés dans la marmite au bon âge, et qui ne s’en sont heureusement pas remis.
La Grande Tragédie du fantastique littéraire anglo-saxon entraîne avec elle une boutade emblématique: “Tu demande aux gens si ils lisent du fantastique, et ils disent ‘Oh non’, puis tu leur demande ce qu’ils lisent et ils répondent ‘Stephen King, Dean Koontz…’”. Cette rengaine, que j’ai dû entendre au moins quatre fois de quatre personnes différentes durant le congrès, trahit une vérité déprimante: le fantastique anglo-saxon est un genre à la recherche de lecteurs. Comme tous les genres marginaux (y compris la SF), le fantastique se plaît à croire qu’il existe des masses de fans potentiels un peu partout, prêt à jeter leur dévolu sur le genre s’ils en connaissaient la véritable nature. Ici et là, Worldcon ou WHC, on entend la même complainte: Ah, si seulement Hollywood pouvait arrêter d’être aussi stupide en racontant nos histoires; ah, si seulement les gens lisaient plus; ah, si il y avait plus/moins d’étiquettes; ah, si les “grands écrivains” du genre cessaient de nier leur véritable nature…
Mais la conséquence la plus pernicieuse d’un passage à la WHC dans ces conditions, c’est qu’il est possible d’en ressortir avec l’impression que c’est un congrès pour les semi professionnels, pour ne pas utiliser le mot “wannabee” avec trop d’indélicatesse. Suivez la logique d’une rencontre dispendieuse et intimiste où on peut faire des contacts à l’intérieur de l’industrie. Peu de fans, beaucoup d’écrivains; peu de professionnels établis, beaucoup de jeunes auteurs cherchant à percer. Tôt durant la première journée du congrès, j’ai commis l’erreur de me taper pratiquement coup sur coup deux tables rondes au sujet de l’écriture. J’en suis ressorti horripilé de l’emphase sur les questions de type “comment puis-je vendre?”, jurant de me tenir loin des table rondes dédiées à l’écriture pour un moment.
Non pas que c’était là la seule manifestation du côté semi professionnel de l’événement. Une table ronde sur “ce qu’il faut faire à votre première convention” a passé une fraction importante de sa durée à discuter de la bonne façon d’aborder un éditeur, alors qu’une autre discussion au sujet des blogs et sites web professionnels comportait des participants qui semblaient prêts à spammer tous les usagers de MySpace pour obtenir une vente de plus. (MySpace? MySpace?!?!) J’en suis venu à me demander si j’étais la seule personne sur place avec aucune intention d’écrire ou de vendre le moindre texte de fantastique. “Peu d’élus, beaucoup d’appelés et ils sont tous ici” semblait être momentanément être la devise officielle de WHC.
Une salle sombre pour discuter de ce qu’il faut faire (ou ne pas faire) à sa première WHC.
En conversations, on m’a dit que c’était pire durant les WHC précédentes. Cette année, l’équipe de l’organisateur Stephen Jones a passé beaucoup de temps et d’effort à restreindre les participants les moins professionnels. La programmation était sur invitation seulement, les organisateurs choisissant sujets et panélistes. Les séances de signatures étaient restreintes à ceux qui avaient publié professionnellement. Des directives décourageaient la vente des œuvres à l’improviste dans les corridors. Ces mesures ont frustré plus d’un semi professionnel, une bonne partie d’entre eux n’hésitant pas à se plaindre longuement et passionnément sur les forums spécialisés tels Shocklines avant le congrès.
Je suis bien mal placé pour juger du résultat final, ne pouvant pas faire de différence “avant” et “après” la professionnalisation de la WHC. Je présume que ma réaction allergique en début de convention aurait pu être pire sans les correctifs apportés à l’événement. À entendre plusieurs professionnels établis, l’événement 2007 a réussi à combiner l’idéal professionnel d’un tel congrès à la bonne humeur parfois peu raffinée des habitués. (Ne demandez pas ce qu’est le “Gross-Out Contest”…) Mais pour ceux qui ne sont pas habitués aux blagues pour habitués, certains aspects du congrès pouvaient laisser songeur. J’ai été particulièrement déçu, par exemple, de la prestation de la maîtresse de cérémonie du congrès. Cabotinage, textes qui tombaient à plat, tendance à rire à ses propres blagues… Peut-être que j’aurais été en mesure de mieux apprécier la performance à mieux connaître les traditions, mais même un peu d’indulgence n’explique pas des dérapages tels la confusion qui a accompagné l’annonce du prix Stoker à Stephen King: Personne n’avait prévu de plan de contingence pour cette éventualité?
Mais bon. Il n’y a pas de convention parfaite.
Preuve supplémentaire: Le thème de WHC 2007 ayant été “la diversité de l’horreur”, je suppose qu’il y a un cheap shot évident à contempler un groupe lavé blanc discutant diversité, mais il s’agit également d’un constat que l’on relève dans tous les congrès de SF&F. Le hic, c’est que Toronto est probablement la meilleure ville au monde pour démontrer que les genres de l’imaginaire n’ont pas à être monochromatiques: Il suffisait de sortir de l’hôtel du congrès pour un moment pour être plongés dans une foule multiraciale qui se compare avantageusement à la “diversité” surtout blanche et anglo-saxonne assistant au congrès. Preuve supplémentaire que l’audience de la WHC reflète toujours le type d’adolescent banlieusard confortable qui lisait Stephen King durant les années 1980…
En tant qu’amateur éloigné de fantastique, j’ai préféré voir le congrès comme une occasion d’en apprendre beaucoup sur les us, coutumes, repères partagés et obsessions communes d’un fandom légèrement différent. J’ai donc ouvert les oreilles, sorti mon carnet de notes et tenté de percer le secret du fantastique.
La traditionelle table des freebies. Notez la prépondérance de noir et de rouge.
Mon approche avait ses failles: il va sans dire que les tables rondes et autre événements programmés ne sont qu’une très mince fraction de la véritable nature des interactions possibles à la WHC. Le bar de l’hôtel était un endroit populaire de rencontre, pour ne rien dire des corridors, du lobby ou bien des diverses fêtes de chambre. Alors que s’amorce le congrès, les habitués de la WHC arrivent en groupe, retrouvent leur cercle social et discutent avec leurs éditeurs et collaborateurs. La plupart des rapports élogieux à propos de la WHC torontoise ont en commun une emphase sur les rencontres personnelles et une indifférence devant les tables rondes.
Mais ça ne veut pas nécessairement dire que les événements au programme étaient inutiles. Comme dans les autres congrès où se rencontrent une foule de professionnels, les meilleures discussions ont tendance à réunir des gens qui connaissent leur sujet. Où ailleurs est-il possible de voir Ellen Datlow et Stephen Jones discuter de la façon dont on assemble une anthologie des meilleures nouvelles fantastiques de l’année? Où ailleurs entendre David Wellington et Brian Keene discuter de la nature des zombies? Même pour les ignares de mon espèce, il était évident que l’équipe de programmation a fait des choix éclairés en assignant les participants à leurs tables rondes.
Une table ronde sur les anthologies des meilleures nouvelles de l’année, en compagnie de ???, Ellen Datlow, F. Paul Wilson, Stephen Jones et Ramsay Campbell
Non pas que chaque événement était aussi spectaculaire. La discussion sur “science fiction et horreur” n’a pas dépassé les évidences, encore moins abordé les particularités de l’horreur en mode SF. Ce n’était pas un mauvais moment dû à la modération astucieuse de Robert J. Sawyer et le charisme de Vincent Churchill (“This is my first panel. Be gentle… but not too gentle.”), mais un peu de préparation n’aurait pas fait de tort, surtout considérant la longue tradition SF d’horreur existentielle, ou de la capacité de la SF à créer une terreur convaincante par l’emploi d’axiomes logiques. (J’en reparlerai séparément.)
La succursale de la bibliothèque publique de Toronto abritant la légendaire collection Merril. La WHC s’y est momentanément déplacée le temps d’un lancement.
J’ai eu des objections plus substantielles au contenu de la discussion au sujet des sites web, surtout quand un des panélistes a abordé comment “se procurer un outil pour acheter des amis sur MySpace”. Heureusement que Nick Kaufmann était sur place pour remettre les pendules à l’heure: “I don’t like MySpace because I’m not a 16-year-old boy looking to ‘hook up’ at an April Lavigne concert, okay? I don’t want to generalize, but if you’re using MySpace, you’re a (bleep)ing idiot.” Le super-pro Roger Turner a renchérit en ajoutant “I’m past the stage in my life where I care about Social Networking.” (Nick Kaufmann était, de loin, le participant le plus divertissant et raisonnable de cette table ronde: Ce n’est pas une coïncidence si son blog est particulièrement divertissant à lire.)
J’ai constaté un contraste intéressant entre les tables rondes portant sur les vampires et les zombies. Les vampires sont, bien sûr, les monstres en première place du palmarès du fantastique, à un point tel qu’une libraire de la collection Merril a révélé que depuis une dizaine d’années, de 5 à 10% des arrivées mensuelles à la collection (SF&F&H confondus) portent sur les vampires. Nancy Kilpatrick a “vécu assez longtemps pour voir l’évolution du vampire” et n’aime pas ce qui est arrivé à la créature: le résultat actuel est trop dilué pour être efficace. Les panélistes se sont amusés à imaginer “Johnny Fangs”, le vampire moderne identique à l’adolescent normal, à l’exception des dents acérées. Ils et elles prédisent un retour au “mythe original” du vampire d’ici peu. En revanche, les spécialistes du zombie voient un monstre en danger d’être dilué comme l’a été le vampire. Est-ce que les prochaines années verront la création d’un tas de “Johnny Undead”?
Table ronde: Vampires, avec Stephanie Bedwell-Grime, Nancy Kilpatrick, David Thomas Lord, Christopher Golden et Kelley Armstrong
Table ronde: Zombies, avec Lynne Hansen, Brian Keene, David Wellington, Kim Paffenroth et Scott Edelman
L’événement le plus couru du congrès était sans doute la soirée des Prix Strokers, un banquet suivi de la remise des dits prix. Prenant place dans la plus grande salle du congrès, a cérémonie a attiré la plus grande foule de la fin de semaine (comparé à des audiences moyennes de 30-70 personnes par table ronde). Étant arrivé en retard après un dîner avec amis, j’ai pu me faufiler à l’arrière de la pièce à temps pour assister à la dernière demi-heure de l’événement. Plusieurs blagues pour initiés, pratiquement incompréhensibles pour les civils. En revanche, certains des discours de remerciements avaient de la gueule: “As long as I see freaks and weirdoes here, I will continue to do my best work!”
Remise des prix Stokers
Les invités d’honneur du congrès étaient particulièrement bien choisis. Michael Marshall Smith, John Picacio, Peter Atkins, Graham Wilson, Joe Landsdale et Peter Crowther sont des professionnels à la fois articulés, variés et divertissants: Leur participation au programme fut particulièrement enrichissante. Un des points forts de la fin de semaine fut une table ronde “de vieux routiers” riche en sagesse accumulée et en interactions inusitées.
Qui d’autre a fait bonne impression durant les tables rondes? Mes choix: Christopher Golden, Brian Keene, David Wellington, David Morrell, Joe Landsdale et F. Paul Wilson restent en mémoire. Des noms à surveiller si vous vous intéressez au fantastique…
Table ronde: Nouvelles voix en horreur, avec Alexandra Sokoloff, Sarah Pinborough, Michael A. Arnzen, Sarah Langan et Violette Malan
Quelques oeuvres sont revenues à quelques reprises durant les discussions de la fin de semaine, trahissant peut-être un top-5 informel de ce qui est hot en matière de fantastique de nos jours: les romans The Road de Cormac McCarthy et Heart-Shaped Box de Joe Hill (depuis achetés), ainsi que les films The Host, The Descent et Pan’s Labyrinth. Les choix des professionnels!
Mes notes occupent des pages et des pages d’écriture en pattes de mouches, mais le message finit par être le même. WHC offre des discussions informées, avec une profondeur rare dans des conventions moins spécialisées. À cet égard, au moins, j’ai obtenu du congrès ce que j’étais venu y chercher.
J’ai mentionné, ci-dessus, La Grande Tragédie du fantastique anglo-saxon, et comment le genre oeuvre toujours sous l’ombre de cette période historique. Il y a des indications que la période des vaches maigres tire à sa fin: les auteurs sur place étaient relativement optimistes, soulignant l’apparition de plusieurs nouveaux écrivains dynamiques (Joe Hill, Brian Keene, David Wellington, etc. —les même noms reviennent, n’est-ce pas?), du regain d’intérêt des maisons d’édition, du potentiel d’un nouveau public de lecteurs formé de l’audience des films d’horreur, etc. Une partie de cet optimisme est inhérent à la masse critique nécessaire pour ce genre de congrès professionnel, mais une autre partie semble être tout à fait justifiée. L’horreur ne regagnera sans doute jamais sa popularité commerciale des années 1980, mais la plupart des commentateurs ne semblent pas souhaiter une telle chose non plus: Selon eux, le fantastique est plus efficace, plus intéressant lorsqu’il est menacé et prisé par les initiés. Leur pire cauchemar serait un genre inondé des médiocrités qui ont signalé la fin du boom fantastique. Il y a une là détermination féroce à survivre peu importe l’environnement commercial précaire. Est-ce que ça suggère qu’il y aura toujours une section “horreur”, ou bien un regain dans la catégorie fantastique sur lulu.com? Ce sera aux lecteurs (payants, de préférence) de déterminer.
Un bourdonnement de signatures au “Mass Autograph Party”
En ce qui me concerne, la fin de semaine a porté fruit. Je n’irai pas à la prochaine WHC (l’opportunité de me rendre à Salt Lake City n’étant pas aussi évidente), mais j’ai maintenant quelques livres à lire, quelques blogs à suivre et quelques auteurs à acheter. La communauté fantastique, toujours un peu plus distante des fandoms de SF et de fantasy, ne m’est plus aussi mystérieuse. En fait, je dois dire que le “fandom légèrement différent” de la WHC est tout à fait sympathique: un peu plus jeune, un peu plus direct, un peu moins intellectuel que le fandom SF, mais tout aussi convaincu de la valeur de son genre de prédilection. Comme quoi il y a des points communs pour tous les lecteurs de littérature de genre.
Toronto a survécu à l’experience
[Post scriptum: Les commentaires au sujet de la WHC 2007 ont été élogieux, qu’il s’agisse des apprentis écrivains ou des grands professionnels. Selon le site web officiel du congrès, approximativement 465 personnes sont passées sur place durant les quelques jours de l’événement. Toute une réunion de famille!]